Affaire Z vs ACER : la clause de retour de la machine déclarée abusive

jurisprudanceDans une nouvelle affaire opposant un consommateur à la société ACER, le Juge de proximité du PUY-EN-VELAY a rendu le 1er septembre 2010 un jugement aux termes duquel il a déclaré abusive la clause de la procédure de remboursement du constructeur qui impose le retour de la machine dans ses ateliers et l’a condamné à payer la somme de 50 € au titre du « remboursement » du système d’exploitation Microsoft.

Si ce rapide résumé démontre que les consommateurs ne relâchent pas la pression auprès des constructeurs pour faire valoir leurs droits, observons de plus près le cas soumis au juge.


1. Rappel des faits et de la procédure.

Le 20 janvier 2010, Monsieur Z a fait une déclaration au greffe du Juge de proximité en demandant notamment :

  • la condamnation de la société ACER à lui payer la somme de 130 € au titre du remboursement du système d’exploitation Microsoft Windows, outre 500 € pour compenser ses frais de procédure ;
  • la publication du jugement à intervenir dans un quotidien national et régional ainsi que sur le site de la société ACER ;
  • que la procédure de remboursement de ACER soit déclarée abusive et non écrite.

Le Juge a relevé que Monsieur Z soutenait :

  • que la procédure de remboursement des logiciels était abusive au sens des dispositions de l’article R. 132-1 du Code de la consommation au motif que le contrat n’était pas consultable avant l’achat et que le prix du logiciel n’était pas connu, ce qui engendrerait selon lui un déséquilibre entre les droits et les obligations des parties ;
  • que le fait de conditionner le remboursement du logiciel à la réexpédition du matériel sans qu’aucune contrepartie ne soit prévue était un procédé abusif dans la mesure où le matériel et les logiciels étaient deux produits distincts, ce qui engendrait un préjudice de jouissance ; il a ajouté que techniquement, ce renvoi n’était pas indispensable ;
  • que le montant du remboursement proposé par ACER (40 €) était trop faible car la jurisprudence habituelle en la matière situait le prix du logiciel Windows Vista autour de 100 € et les autres logiciels à 30 €.

À l’audience à laquelle il a comparu en personne, Monsieur Z a ajouté une demande de nullité de la vente des logiciels Microsoft pour vice du consentement, car il a estimé que constituait une violence le fait d’être contraint d’acquérir les logiciels avec l’ordinateur dont il avait besoin. Il a précisé que le vendeur de l’enseigne de grande distribution dans laquelle il avait acheté son ordinateur lui avait indiqué une estimation du prix des logiciels remboursables à hauteur de 50 € environ, ce qu’il a estimé insuffisant.

La société ACER a quant à elle demandé que Monsieur Z soit débouté de toutes ses demandes, en rappelant que selon elle :

  • la clause de remboursement n’avait aucun caractère abusif dans la mesure où elle prenait en charge les frais d’expédition aller et retour et que l’immobilisation ne dépassait pas 5 jours, ce qui était tout à fait raisonnable au regard du prix de la machine et du montant proposé ;
  • il n’était pas possible de désinstaller les logiciels sans intervention sur l’ordinateur et que Monsieur Z connaissait parfaitement cette procédure avant l’achat ;
  • l’article R. 132-1 du Code de la consommation n’était pas applicable en l’espèce car l’acheteur était libre de ne pas adhérer à ce contrat qu’il découvre en ouvrant l’ordinateur, ce qui avait été précisément le cas de Monsieur Z ;
  • le prix de la licence à rembourser ne pouvait se comparer au prix de la licence proposé aux particuliers et qu’elle assemblait des composants sur lesquels il y avait un prix de gros dont bénéficierait le consommateur (selon ses dires, environ 35 %) ;
  • Monsieur Z avait reconnu avoir été informé par le vendeur du prix de 50 € au titre du remboursement ;
  • l’objet de l’instance introduite par Monsieur Z consistait en réalité à acquérir un ordinateur gratuitement.

2. La motivation de la décision par le Juge de proximité.

a. Sur le vice du consentement et la nullité des contrats.

Le juge de proximité a d’abord rappelé que Monsieur Z invoquait un vice du consentement fondé sur les dispositions de l’article 1111 du Code civil. En effet, Monsieur Z a soutenu que le fait de ne pas pouvoir acquérir sur le marché un ordinateur conforme à ses désirs, à savoir sans logiciels préinstallés, constituait une violence car le consommateur devait se résoudre soit à accepter de acheter la configuration telle quelle avec des logiciels préinstallés et donc non conformes à ses besoins, soit ne rien acheter. La description de ce marché vicié exprimée par Monsieur Z était tout à fait exacte, ce qui a amené le juge à la reprendre dans la motivation de sa décision. Cependant, il a estimé qu’elle ne constituait pas une violence au sens des dispositions précitées :

« Cette alternative qui est réelle sur le marché des ordinateurs ne constitue pas pour autant une violence de la part du vendeur d’ordinateurs, au sens de l’article 1111 du Code civil. »

En effet, le Juge a estimé qu’il s’agissait simplement de « critères d’achats » que le consommateur devait arbitrer et que Monsieur Z avait fait ce choix en achetant du matériel ACER. Il a donc estimé que cela entraînait de facto le rejet des demandes en nullité des ventes de l’ordinateur et de la prestation de service définie par la mise à disposition d’un logiciel.

b. Sur le caractère abusif des clauses du contrat.

Le Juge a retenu que Monsieur Z n’avait effectivement bénéficié « d’aucune information quant à l’existence du CLUF lors de l’achat de son ordinateur » et que s’il souhaitait faire l’acquisition d’un ordinateur portable, il n’avait d’autre choix que de se soumettre à la procédure de remboursement s’il ne souhaitait pas adhérer au CLUF. Puis, après avoir rappelé les termes du CLUF, il a relevé que :

« Il ressort de ces termes que le CLUF est un nouveau contrat entre le consommateur et le fabricant et que le consommateur a la liberté d’y adhérer ou de ne pas y adhérer, de sorte que les conditions de l’article R. 132-1 du Code de la Consommation ne sont pas réunies. »

Après avoir exclu l’application des dispositions de l’article R. 132-1 du Code de la consommation, il a estimé devoir se pencher sur la procédure de remboursement de la société ACER pour savoir si elle était susceptible d’engendrer un déséquilibre significatif au détriment du consommateur et si la liberté laissée à ce dernier d’adhérer au CLUF était réelle. Il a alors rappelé que la société ACER prenait en charge les frais d’expédition et de renvoi de la machine et que l’immobilisation durait environ 5 jours, ce qui l’a amené à juger que :

« Cette procédure n’est donc ni coûteuse ni particulièrement longue. Toutefois, si l’atteinte au droit de propriété du consommateur sur son ordinateur peut se justifier par les règles de la propriété intellectuelle, l’indisponibilité de l’ordinateur pendant quelques jours, ne serait-ce que cinq, entraîne un trouble de jouissance incontestable pour son propriétaire. Aucune indemnisation pour ce préjudice n’est contractuellement prévue. »

Le Juge a donc estimé que cette procédure engendrait un déséquilibre significatif au détriment du consommateur et que dès lors, la clause qui imposait à ce dernier le retour de la machine devait être déclarée abusive et donc réputée non écrite.

c. Sur le montant du remboursement.

Pour les logiciels autres que le système d’exploitation, le Juge a vite balayé la question en estimant qu’ils n’étaient que des versions d’essai auxquelles le consommateur devait souscrire ultérieurement, « de sorte qu’ils sont gratuits et ne sauraient faire l’objet d’un quelconque remboursement à moins d’entraîner un enrichissement sans cause au profit du demandeur ».

Pour le système d’exploitation, le Juge a retenu que Monsieur Z avait été « informé par le vendeur sur le lieu de vente d’un prix prévisible de remboursement de 50 €, et c’est avec cette information, qui est à rapprocher du prix de l’ordinateur portable (399 €) qu’il a fait le choix de son achat ». C’est ainsi qu’il condamne la société ACER à lui payer la somme de 50 €.

d. Sur les autres demandes.

Monsieur Z a bien entendu été débouté de sa demande de publication et le Juge a condamné la société ACER à lui payer la somme de 250 € au titre de ses frais de procédure, résultant de ses frais de déplacements et de photocopies.

3. Quelques commentaires sur la portée de cette décision.

En préambule, je précise que Monsieur Z avait fait le choix de comparaître seul devant le Juge de proximité. Il avait présenté une argumentation sans cohérence, issue de l’interprétation erronée de nombreux articles du Code civil essentiellement et dénuée d’explications sur leur application en l’espèce. De tout cela, le juge a été contraint de faire un tri, ce qui a de toute évidence détourné son attention des problèmes essentiels qui se posent en la matière. La décision est donc un franc revers et Monsieur Z est passé à côté de son procès.

1. Sur le vice du consentement, par violence.

Monsieur Z a logiquement été débouté de sa demande fondée sur l’article 1111 du Code civil. Avoir le choix de son matériel sans être contraint d’acheter un logiciel ne relève pas du vice du consentement, tout du moins pas celui de l’article 1111 du Code civil qui traite de la violence dans les obligations. S’il peut y avoir, comme dans l’article précité, une certaine contrainte économique à devoir acheter un logiciel qu’on ne veut pas, cela ne relevait cependant pas de la violence dans les obligations et le juge l’a rapidement balayé en retenant que Monsieur Z avait en quelque sorte, fait un choix en connaissance de cause.

Mais il faut bien reconnaître que sur le terrain des obligations, cette motivation n’est pas satisfaisante car après avoir pourtant admis que le marché était vicié en ce que le consommateur devait se résoudre à acheter un ordinateur avec des logiciels préinstallés lorsqu’il fait le choix d’une configuration matérielle, il a néanmoins estimé que Monsieur Z avait fait « son choix »… C’est dévoyer l’élément déterminant de la vente (sur ce sujet, voir les commentaires des affaires T. contre MSI du 12 novembre 2009 et LEROUX / Packard Bell du 4 juin 2009) qui porte dans l’immense majorité des cas (tout du moins dans tous les cas où le système d’exploitation est systématiquement identique, comme par exemple les ordinateurs vendus avec Windows) exclusivement sur le matériel.

En réalité, la distorsion du marché à laquelle participe la société ACER devait être sanctionnée au titre des pratiques commerciales déloyales, trompeuses et agressives issues de la directive 2005/29/CE du parlement et du conseil du 11 mai 2005 ayant fait l’objet de plusieurs lois de transposition en France et insérées à ce titre dans le Code de la consommation.

Le principe de spécialité du droit français exprimé sous la forme de l’adage Speciala generalibus derogant signifie que s’il existe une règle spéciale prévue pour la situation juridique examinée, c’est la règle spéciale qui doit s’appliquer en primant la règle générale. La violence évoquée à l’article 1111 du Code civil étant une règle de droit commun, elle devait céder sa place à la notion de violence spécifiquement traitée dans le Code de la consommation au titre des pratiques commerciales agressives. Il y a donc là une erreur sur les arguments à invoquer pour faire sanctionner les pratiques commerciales abusives des constructeurs. C’est regrettable, car ces pratiques prohibées auraient pu fonder une demande de dommages et intérêts conséquente.

2. Le CLUF est-il abusif ?

De façon assez contradictoire, le Juge de proximité a retenu que le CLUF était « un nouveau contrat entre le consommateur et le fabricant et que le consommateur a la liberté d’y adhérer ou de ne pas y adhérer, de sorte que les conditions de l’article R. 132-1 du Code de la Consommation ne sont pas réunies ».

Pourquoi contradictoire ? Pour le comprendre, il faut d’abord rappeler le principe : l’article R. 132-1 du Code de la consommation prévoit que dans les contrats entre les professionnels et les consommateurs, sont irréfragablement présumées comme abusives les clauses ayant pour objet ou pour effet de constater l’adhésion du consommateur à des clauses qui ne figurent pas dans l’écrit qu’il accepte, ou qui sont reprises dans un autre document auquel il n’est pas fait expressément référence lors de la conclusion du contrat et dont il n’a pas eu connaissance avant sa conclusion. Ainsi, dès lors que le juge relève l’existence de telles clauses, elles doivent être déclarées abusives sans que le professionnel puisse en rapporter la preuve contraire (irréfragablement).

Le Juge de proximité a estimé qu’en ayant eu le choix de ne pas se conformer au CLUF, il ne pouvait y avoir le constat d’une adhésion du consommateur à des clauses clauses qui ne figuraient pas dans l’écrit auquel il n’a pas été fait référence lors de la conclusion du contrat.

Or, en adoptant une telle motivation, il est passé à côté du problème.

En effet, le Juge n’a pas relevé que lorsque le constructeur exige du consommateur le paiement immédiat de logiciels non souhaités au mépris de l’interdiction posée par le Code de la consommation, ce qui le contraint à devoir accepter la « procédure de remboursement » du constructeur pour se faire rembourser alors même qu’il a refusé le CLUF, il y a bien constat d’une adhésion forcée du consommateur à des clauses auxquelles il n’a pas été fait référence lors de la conclusion du contrat. Le Juge de proximité ne pouvait donc constater que le CLUF était un nouveau contrat sans relever son caractère abusif et par la même le caractère abusif de l’autre nouveau contrat imposé au consommateur qu’est la « procédure de remboursement » !

Cela était d’autant plus flagrant que le Juge de proximité a relevé en outre que Monsieur Z n’avait bénéficié d’aucune information précontractuelle sur l’existence du le CLUF ou les clauses qu’il contient. Le Code de la consommation impose pourtant au professionnel une obligation d’information en direction des consommateurs, portant sur les qualités essentielles du produit et des services (article L. 111-1 du Code de la consommation) et sur les prix (article L. 113-3 du Code de la consommation).

Le Juge ne pouvait donc pas à mon sens, paralyser l’efficacité de la règle posée par l’article R. 132-1 du Code de la consommation en considérant que le consommateur avait la possibilité de renoncer au CLUF. Si Monsieur Z avait réellement pu refuser le CLUF, il aurait dû être remboursé du montant qui lui avait été réellement facturé lors de l’achat au titre des logiciels sans que le constructeur puisse lui opposer la moindre condition pour ce faire. Mais on sait bien que cela n’est pas le cas.

3. La procédure de remboursement est-elle abusive ?

Vous l’avez compris, le Juge a examiné la validité d’une procédure de remboursement sans relever qu’elle était elle-même un nouveau contrat qui devait être déclaré abusif et donc inopposable à Monsieur Z, alors que le CLUF était lui-même un nouveau contrat soumis aux mêmes sanctions prévues par le Code de la consommation.

Elle est abusive à plusieurs titres.

D’abord, et comme le Juge de proximité l’a relevé, parce qu’elle ne compense pas le préjudice de jouissance qu’elle créé au détriment du consommateur qui voit sa machine immobilisée pendant plusieurs jours.

Ensuite et comme je l’ai souligné précédemment, parce que les consommateurs ne bénéficient en général d’aucune information sur l’existence d’une procédure de remboursement,des modalités qu’elle prévoit et qu’il s’agit aussi de la seule proposition du constructeur pour proposer un « remboursement ». Ce défaut d’information est totalement contraire aux obligations pensant sur les professionnels et issus des articles L. 111-1 et L. 113-3 du Code de la consommation.

Par ailleurs, le juge n’a pas non plus évoqué la question du montant du remboursement et n’a octroyé à Monsieur Z que la somme de 50 €. Il s’est en effet appuyé sur le fait qu’en magasin, le vendeur avait informé grosso modo Monsieur Z du montant probable du remboursement. Or et de toute évidence, cette somme forfaitaire évaluée « à la louche » par les constructeurs et opportunément donnée aux quelques magasins sensibilisés sur le sujet ne correspond en rien à un remboursement au sens du Code civil, car dans l’ignorance du prix auquel les logiciels vous ont été vendus, vous ne pouvez pas savoir quel est le montant du remboursement !

Pour compléter le tout, il aurait été opportun de discuter sur les conditions mêmes du retour en cas de casse du matériel, quand bien même les frais étaient pris en charge par ACER. En effet, le transfert des risques aurait été discuté si la machine était arrivée détériorée chez ACER… qui aurait certainement refusé de la prendre en charge ou qui aurait facturé la réparation à un prix automatiquement exorbitant compte tenu du prix d’un SAV aujourd’hui.

Enfin, la procédure de remboursement résultant de la vente forcée à l’achat d’un grand nombre de logiciels préinstallés non obligatoires, elle devait être considérée comme abusive et comme telle réputée non écrite.

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