Panorama des pratiques commerciales déloyales en informatique du premier semestre 2014

jurisprudanceL’actualité de l’année 2014 a été plutôt riche.

C’est principalement la Cour de cassation qui est à l’honneur, puisque l’année 2013 a été un mauvais cru pour les consommateurs qui ont été déboutés, voire sanctionnés par les juridictions du fond dans leurs procès intentés contre les pratiques commerciales des constructeurs informatique.

Je vous propose un tour d’horizon des derniers événements en la matière.

Prolégomènes.

Je rappelle à mes lecteurs que la Cour de cassation n’est pas là pour refaire le procès en fait et en droit, comme une juridiction du fond (par exemple, une juridiction de proximité, un tribunal d’instance ou de grande instance, ou encore Cour d’appel, etc.). Elle a seulement pour rôle de vérifier que les juges du fond ont correctement appliqué la règle de droit utilisée pour juger le procès en cause, au regard des faits qui ont été présentés. Et à ce titre, 2014 est assurément un cru de sanction des juridictions du fond…

L’année 2012 avait été un franc succès, les libertés informatiques ayant fait un bond en avant grâce à quelques juges de proximité. Le juge de proximité de Saint-Denis par exemple, qui avait fait preuve de beaucoup d’audace dans les jugements qu’il avait rendus.

Puis, est arrivé l’arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2012 dans l’affaire opposant l’UFC-Que-Choisir à la société Hewlett-Packard. Cet arrêt a été mal compris et surtout mal interprété par certains commentateurs comme je le soulignais, mais surtout par les juges du fond qui n’ont fait preuve d’aucune analyse critique et qui se sont contentés, avec beaucoup de facilité, de revenir sur leurs décisions dans des revirements parfois spectaculaires. Mes clients ont été injustement les victimes de ce manque de sérieux professionnel de la part des juges et des magistrats, et malgré de nombreuses pages d’explications sur la portée de cet arrêt, 2013 fut une catastrophe. C’est ainsi que la Cour d’appel de Versailles, qui avait rendu un arrêt intéressant et bien motivé le 5 mai 2011 et qui n’a été cassé que parce qu’il manquait quelques preuves dans le dossier, a rendu ultérieurement un arrêt totalement contraire en fin d’année 2013… Mais rassurez-vous, cet arrêt est déjà parti à la censure de la Cour de cassation.

Personnellement, je suis toujours choqué chaque fois que j’interviens devant une juridiction du fond, de la négligence avec laquelle ces affaires sont traitées. Les juges [non professionnels] mais également les magistrats [professionnels], n’imaginent pas les conséquences de leurs décisions sur l’économie et le choix des consommateurs.

J’ai donc entendu tous les subterfuges possibles : « Maître, je vous laisse 10 minutes pour plaider grand maximum, je connais votre dossier par cœur pour l’avoir examiné pendant plus de 20 heures » [sachant qu’il faut bien 30 minutes pour expliquer correctement le problème exposé à l’écrit en 40 pages] et qui aboutit à une décision ahurissante aux termes de laquelle on se rend bien compte que le juge n’a rien compris, ni en fait, ni en droit. Ou encore : « Maître, j’ai examiné votre dossier pendant 15 heures avant de venir et j’ai bien compris le problème : surprenez-moi ! » aboutissant là encore à un naufrage, comme par exemple cet arrêt de la Cour d’appel de Versailles que j’évoquais précédemment dont la motivation est aussi laconique que légère en droit.

Ce qui est certain, c’est que ni les juges ni les magistrats de la Cour de cassation ne perçoivent une donnée importante : ces procès sont très coûteux en raison de l’acharnement procédural des adversaires, constructeurs ou revendeurs, qui multiplient les procédures inutiles pour décourager les consommateurs. De même, lorsque la Cour de cassation rend une décision timide et se contente de renvoyer l’examen de l’affaire vers une troisième juridiction de proximité (oui, vous avez bien lu, 3), on ne peut que se rendre compte qu’il y a là un dysfonctionnement de la justice en France et une trop grande réserve des magistrats à prendre des décisions courageuses pour appliquer la loi dans toute sa rigueur, alors qu’elle est favorable aux consommateurs.

J’espère donc que 2014 et 2015 seront des années meilleures que 2013.

1. La saga de M. Guerby contre la société Darty & Fils.

dartylogoSouvenez-vous, en février 2014, je commentais le dernier arrêt de la Cour de cassation du 24 janvier 2014 dans cette affaire qui n’en finit plus. Comme je l’indiquais à l’époque, l’arrêt est heureux car il tend à éviter de longues démonstrations interminables sur la notion de « consommateur averti », invention des constructeurs pour affirmer que la directive du 11 mai 2005 ne leur serait pas applicable ou que compte tenu de leurs connaissances, ils auraient fait leur achat de matériel avec des logiciels Windows et autres en « connaissance de cause ».

Fort heureusement dans son arrêt, la Cour de cassation rappelle avec fermeté que « l’existence d’une omission trompeuse au sens de l’article 7 de la Directive doit être appréciée au regard d’un consommateur moyen, sans avoir égard aux qualités propres du consommateur ayant conclu le contrat litigieux. » Ce qui signifie qu’un professionnel de l’informatique ou un geek peut bénéficier de la protection de la directive lorsqu’il fait un achat pour ses besoins personnels comme le précise la directive.

En tout cas, la Cour rappelle que dans ce type de procès, il faut d’abord examiner si le comportement du professionnel correspond à une pratique commerciale déloyale, avant de considérer ensuite si le consommateur en cause peut bénéficier de la protection de la directive en ayant fait un achat pour ses besoins personnels ou non.

2. L’arrêt de la Cour de cassation du 4 juin 2014 : Khaliqui vs DELL.logodell

Dans le tout dernier arrêt de la première chambre civile, la Cour de cassation a sanctionné le jugement scandaleux rendu par la juge de proximité de DIJON le 19 décembre 2012. Monsieur Khaliqui était alors le premier à faire les frais de l’arrêt UFC vs HP du 12 juillet 2012 qui avait été âprement discuté avec DELL jusqu’au dernier moment.

La juge de DIJON avait non seulement débouté Monsieur Khaliqui de ses demandes relatives à la vente forcée et à la vente liée des logiciels fournis préchargés par le constructeur DELL, mais elle l’avait également condamné à lui payer la somme de 300 € pour l’indemniser de ses frais de procédure !!

Déconnexion totale du juge de la réalité juridique et économique du procès [1] ou errements d’appréciation de la part du juge ? Les deux à la fois sans aucun doute.

La Haute cour retient :


Attendu que, pour rejeter la demande, en ce qu’elle était fondée sur le grief de subordination de vente constitutive d’une pratique commerciale déloyale, le jugement énonce que M. Khaliqui avait acheté un ordinateur équipé de ses logiciels en toute connaissance de cause, qu’il est notoire que tout achat de ce type par un particulier s’effectue de la sorte, que les conditions générales de vente relatives à la vente litigieuse ont été portées à la connaissance de M. Khaliqui, qui ne peut prétendre qu’il n’a pas été informé puisqu’il indique qu’il a fait le choix d’un ordinateur Dell pour sa fiabilité au détriment d’un choix individuel des composants, que la société Dell indique clairement dans ses sites qu’elle propose à ses clients des produits finis prêts à fonctionner, qu’elle n’est pas un assembleur de différents produits informatiques et que ce type de commercialisation concerne les professionnels et non les consommateurs comme M. Khaliqui ;
Attendu qu’en se déterminant par de tels motifs, impropres à caractériser l’absence de vente subordonnée constitutive d’une pratique commerciale déloyale, la juridiction de proximité a privé sa décision de base légale.

Par cette motivation, la Cour de cassation met définitivement un terme au sempiternel argument des constructeurs selon lequel les consommateurs ayant fait l’achat de leur ordinateur en sachant que des logiciels d’exploitation et d’application étaient fournis préchargés, l’auraient fait « en connaissance de cause », de sorte qu’ils ne pourraient pas demander ensuite le remboursement de logiciels qu’ils ont eux-mêmes décidé d’acheter…

C’est aussi l’échec de l’argument selon lequel le constructeur (mais ils l’affirment tous sans exception) « propose à ses clients des produits prêts à fonctionner », alors qu’il est indifférent à la solution du litige dans la mesure où une pratique commerciale déloyale ne peut être « validée » par ce que l’auteur présente lui-même comme un avantage pour le consommateur ! Pire, la juge de proximité de DIJON avait suivi l’argumentation de DELL selon laquelle « il est notoire que tout achat de ce type par un particulier s’effectue de la sorte », alors que cet argument démontre au contraire que le marché de l’informatique grand public est totalement vicié par ces pratiques commerciales déloyales des grands constructeurs qui ne proposent pas autre chose que des ordinateurs fournis préchargés d’une ribambelle de logiciels qui ne sont pourtant que des prestations de services non obligatoires comme le retient la jurisprudence depuis longtemps.

Dans cet arrêt du 4 juin 1014, la Cour de cassation se montre toutefois très timide ; bien trop d’ailleurs.

En effet, sur la base de mes écrits de première instance et après un intense remue-méninges avec mon talentueux confrère Maître Rémy-Corlay, Avocat à la Cour de cassation, celle-ci avait développé trois branches au soutien d’un moyen unique de cassation :

  • le premier était tiré de l’existence d’une pratique commerciale déloyale de vente forcée, soit de fourniture de produits sans commande préalable prohibée par le point 29 de l’annexe 1 de la directive et par l’article L. 122-3 du Code de la consommation ;
  • le deuxième était tiré de l’existence d’une pratique commerciale déloyale de subordination de vente trompeuse et agressive ;
  • le troisième était présenté, presque « au cas où », et reprochait au juge de première instance un défaut de motivation de sa décision, laconique et inepte à bien des égards.

La Cour de cassation choisira le moyen le plus « facile » à trancher, soit le défaut de motivation, en estimant que les motifs retenus par le juge de DIJON selon lesquels Monsieur Khaliqui avait fait un achat « en connaissance de cause » et qu’il était « notoire que tout achat de ce type par un particulier s’effectue de la sorte » étaient « impropres à qualifier l’absence de vente subordonnée constitutive d’une pratique commerciale déloyale ».

Si la Cour de cassation diffère encore de trancher la question de la vente forcée, c’est sans aucun doute pour éviter les confusions dans les notions juridiques et inciter les juges du fond à mieux travailler leur motivation sur les ventes forcées et liées.

Toujours est-il qu’elle refuse catégoriquement d’admettre les arguments d’un achat « en connaissance de cause » et celui selon lequel il serait « notoire que tout achat de ce type par un particulier s’effectue de la sorte », comme étant susceptibles de caractériser l’absence de vente liée.

Pourquoi ? De toute évidence pour les mêmes raisons que celles qui l’ont conduit à une solution similaire dans l’arrêt Guerby précité : le juge doit, avant toute chose examiner la pratique commerciale du professionnel, sans avoir égard aux qualités et aux décisions des consommateurs qui se trouvent directement impactés par la pratique commerciale puisqu’elle s’impose à eux comme une « méthode de vente » de la part des professionnels. C’est cette pratique de vente qui est susceptible de modifier le comportement économique du consommateur [2] qui n’aurait pas pris cette décision d’achat si une autre pratique lui avait été proposée par le professionnel. Il n’est donc pas possible de prendre en considération le prétendu choix effectué par le consommateur sur une pratique commerciale qui s’impose à lui, sans rechercher d’abord si cette pratique commerciale est loyale ou non.

C’est l’enseignement qu’il faut tirer de cette décision, qui ne fait en cela que confirmer la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière. Il est bien évident, dans ce contexte, que pour parvenir au résultat escompté et faire juger l’existence d’une pratique commerciale déloyale de vente forcée, la Cour suprême exige des juges plus de qualité, et des plaideurs plus de preuves.

Mais ces exigences de la part de la Cour suprême devraient cependant l’amener à faire plus attention à sa propre motivation parfois sujette à caution, comme par exemple dans l’arrêt Pétrus du 5 février 2014 que je vais évoquer maintenant.

3. L’arrêt Pétrus vs Lénovo du 5 février 2014.

lenovologoLe 5 février 2014, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un autre arrêt dans une affaire emblématique qui dure depuis maintenant 8 ans (achat en 2006) : l’affaire de Monsieur Pétrus contre le géant mondial Lenovo. C’est la première fois que la Cour de cassation statue directement sur la question de la vente forcée des logiciels vendus préchargés avec le matériel informatique.

L’arrêt a fait un peu de bruit, et j’ai lu quelques énormités dans les commentaires laissés çà et là par les internautes sur le Web. Il se dirait que cet arrêt est catastrophique sur le sujet… Alors qu’en est-il ? Cet arrêt est-il aussi mauvais qu’il n’y paraît ? En réalité, non. Il a même été favorablement accueilli par des éminents commentateurs de la doctrine qui ont finalement compris que le problème était peut-être un peu plus vaste et complexe qu’on ne pouvait l’imaginer.

Rappelez-vous : dans un jugement rendu le 9 janvier 2012 commenté ici, la juridiction de proximité d’Aix-en-Provence avait condamné la société Lenovo en retenant notamment :


Attendu qu’ayant demandé à son vendeur de n’acheter que l’ordinateur lui-même sans l’ensemble de ces dispositifs, il lui fut répondu que cela était impossible, ces derniers étant préinstallés (…)
Le juge déduit des circonstances de la vente que la société LENOVO s’est bien livrée à une pratique commerciale de subordination de vente déloyale au sens de la directive du 11 mai 2005 notamment en ce qu’elle s’apparente à une vente forcée au sens du paragraphe 29 de son annexe 1.


Mais la motivation n’était pas bien claire sur les fondements textuels, le juge s’étant livré à un amalgame entre les notions de vente forcée et de vente liée, par une phrase pratiquement incompréhensible… Informé de ce que la société LENOVO avait formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision, j’étais certain que la censure était inévitable et j’en avais fait part à M. Pétrus.

La cassation intervient sur trois points, dont je ne développerai que les deux premiers, le troisième étant sans importance sur le sujet :

3.1. Premier moyen, première et deuxième branche

La Cour de cassation balaie rapidement les deux premières branches du premier moyen.

Dans la première branche, la société Lenovo prétendait qu’un ordinateur constituait « un produit composite mais unique » et « prêt à l’emploi », ce qui revenait en fait à prétendre que le matériel et les logiciels forment un produit unique. L’argument est rapidement rejeté :


Mais attendu qu’après avoir relevé qu’un ordinateur prêt à l’emploi se composait de deux éléments intrinsèquement distincts, une partie proprement matérielle et un logiciel destiné à le faire fonctionner selon les besoins de l’utilisateur.

La solution est ancienne et a été jugée pour la première fois par la Cour d’appel de Pau en 1995 et consacrée 10 ans plus tard par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 2 novembre 2005. Depuis lors, les juridictions du fond ont systématiquement confirmé cette solution.

La Cour de cassation balaie également la deuxième branche qui prétendait que « le modèle d’ordinateur en litige était destiné à une clientèle de petites et moyennes entreprises et de professionnels indépendants ». Avec cette affirmation, la société Lenovo tentait d’exclure la vente en cause du régime protecteur de la directive à l’égard des seuls consommateurs. Elle approuve la juridiction de proximité d’avoir « constaté que le bien litigieux était vendu dans une surface commerciale ouverte au grand public, ce dont il résultait qu’il était proposé aux consommateurs. »

Hop, exit le « produit unique » ou toute autre terminologie qui permettrait d’assimiler les logiciels au matériel comme des éléments qui lui sont nécessairement liés. Il ne sont liés qu’au terme d’une pratique commerciale des professionnels, comme l’avait jugé à juste titre la juridiction de proximité de Saint-Denis en 2012.

L’arrêt est donc parfait sur ce point.

3.2. Premier moyen, troisième branche

La motivation prise sur la troisième branche du moyen, au visa du point 29 de l’annexe 1 de la directive relatif à l’interdiction des ventes forcées, est de loin la plus obscure. On sent clairement que la Cour de cassation est mal à l’aise sur cette question et qu’elle n’ose pas prendre une décision franche sur le sujet.

La Cour indique :

Attendu que pour accueillir la demande de remboursement du prix des logiciels préinstallés et retenir ainsi l’existence d’une pratique commerciale déloyale, le jugement considère que la société Lenovo France a exigé le paiement immédiat ou différé de produits fournis à M. Petrus sans que celui-ci les ait demandés ;
Qu’en statuant ainsi, alors que M. Petrus avait délibérément acquis l’ordinateur litigieux avant de solliciter le remboursement du prix des logiciels dont il connaissait l’installation préalable, la juridiction de proximité a violé, par fausse application, les textes susvisés.

La Cour de cassation reproche donc au juge de proximité d’avoir retenu l’existence d’une pratique commerciale de fourniture de logiciels sans commande préalable… parce que Monsieur Pétrus connaissait au préalable que ces produits étaient fournis ! Tiens, tiens, l’argument de l’achat « en connaissance de cause » sur lequel elle reviendra quelques moins plus tard dans l’arrêt du 5 juin 2014 [3].

Cette motivation n’est pas logique pour plusieurs raisons tenant principalement à la méconnaissance par la Cour de cassation, des pratiques actuelles de vente des ordinateurs, dont il est notoire (puisque c’est DELL qui l’affirmait lors du procès Khaliqui à DIJON), qu’elle se fait systématiquement avec des logiciels qui sont fournis préchargés. Car la Cour mélange en pratique la « commande préalable » des logiciels avec la « connaissance préalable » de leur préchargement.

En effet, refuser le grief de vente forcée au motif que Monsieur Pétrus n’aurait demandé le remboursement des logiciels qu’après avoir fait son achat, c’est-à-dire en sachant que les logiciels étaient fournis préchargés par LENOVO (i.e. en connaissance de cause), aboutit à une absurdité pratique autant qu’à une impasse juridique.

Pour bien le comprendre, il faut poser la question à l’envers : quelle aurait été la solution de la Cour si Monsieur Pétrus avait sollicité le remboursement des logiciels avant d’acheter son matériel ? Beaucoup d’entre vous ont déjà la réponse avant que je ne la donne : une impasse ! Car en l’état actuel des pratiques commerciales de vente du matériel informatique de grande marque, il n’est pas possible pour un consommateur de ne pas payer les logiciels qu’il ne veut pas, et encore moins de demander le remboursement de produits qu’il n’a pas encore payés !

Et de fait, la Cour de cassation a manifestement oublié de prendre en considération cet élément qui faisait pourtant partie des débats, à savoir que Monsieur Pétrus avait bien demandé au vendeur, avant de faire son achat, s’il était possible d’avoir cette machine nue ou, à défaut, d’avoir la possibilité de ne pas payer les logiciels que le fabricant avait choisis et dont il ne voulait pas. Celui-ci lui avait répondu que ce modèle n’était vendu qu’avec des logiciels fournis préchargés, et que sauf à renoncer à l’achat de son ordinateur, il n’avait pas d’autre choix que de le payer dans sa seule et unique configuration mise sur le marché, c’est-à-dire en payant le prix des logiciels fournis préchargés, et ensuite de demander au constructeur le remboursement des logiciels.

En d’autres termes, la Cour de cassation a commis une erreur en fondant sa décision sur le fait que le juge de proximité avait retenu que Monsieur Pétrus n’avait demandé le remboursement des logiciels qu’après avoir acheté l’ordinateur, c’est-à-dire en ayant connaissance du fait qu’ils étaient fournis préchargés, alors que ce consommateur s’est heurté de plein fouet à la pratique commerciale du professionnel qui lui a précisé qu’il n’existait pas d’autre moyen que de payer le prix global de l’ordinateur avec les logiciels et de demander ensuite le remboursement de ces derniers au fabricant qui les avait installés.

Il faut donc que la Cour de cassation applique dans tous ses arrêts, ses propres solutions, à savoir celle du 22 janvier et du 5 juin 2014, selon lesquelles il faut regarder avant tout si la pratique commerciale de préchargement des logiciels dans le matériel, sans offrir la possibilité de n’acquérir que le même matériel seul ou permettre le remboursement des produits qui sont fournis préchargés par le constructeur, constitue ou non une pratique commerciale déloyale, sans pour cela s’arrêter au prétendu « choix » des consommateurs (sur un matériel préchargé de logiciels) qui n’existe pas, puisqu’en réalité ils modifient leur comportement commercial en raison du fait que le professionnel ne leur donne aucun choix.

La connaissance, par le consommateur, que ces logiciels sont fournis préchargés importe peu pour la solution des litiges. D’autant qu’en droit, rien n’empêche le consommateur de demander la résolution partielle ou la nullité du contrat relatif aux logiciels, conclu consécutivement à la mise en œuvre d’une pratique commerciale déloyale. C’est d’ailleurs l’article L. 122-3 du Code de la consommation qui le rappelle expressément.

La Cour de cassation a cassé sur la notion de « connaissance préalable » du consommateur, alors que la question posée dans la vente forcée, littéralement de « fourniture de produits sans commande préalable », est de savoir si le consommateur a préalablement (donc, avant l’achat du matériel) et expressément commandé les logiciels dont il ne peut solliciter le remboursement qu’une fois le paiement effectué (le paiement est donc bien forcé puisque non consenti). Et la réponse est négative, puisque les logiciels sont installés d’office sur la machine par le constructeur, en usine. En réalité, la Cour de cassation a censuré une décision qui était mal motivée, certes… Mais sa motivation était quant à elle sujette à caution.

3.3. Premier moyen, quatrième et cinquième branche

La motivation de la Cour de cassation est d’autant moins logique que dans le second « motif » de cassation, la Cour exige, sur le fondement de la vente liée, que le juge recherche si le consommateur pouvait se procurer le même ordinateur nu chez le constructeur :

Attendu que pour accueillir la demande de remboursement du prix des logiciels préinstallés et retenir ainsi l’existence d’une pratique commerciale déloyale, le jugement retient qu’un ordinateur prêt à l’emploi se compose de deux éléments intrinsèquement distincts, une partie proprement matérielle et un logiciel destiné à le faire fonctionner selon les besoins de l’utilisateur, qu’il ne pouvait être imposé à M. Petrus d’adjoindre obligatoirement un logiciel préinstallé à un type d’ordinateur dont les spécifications propres mais uniquement matérielles avaient dicté son choix ;

Qu’en se déterminant ainsi, sans constater l’impossibilité pour M. Petrus de se procurer, après information relative aux conditions d’utilisation des logiciels, un ordinateur « nu » identique auprès de la société Lenovo France, la juridiction de proximité a privé sa décision de base légale du regard du texte susvisé ;

Selon la Cour de cassation, pour caractériser l’existence d’une pratique commerciale déloyale de vente liée, il ne suffit pas de démontrer que le matériel et les logiciels sont deux produits distincts et dissociables, puisqu’elle exige aussi du juge saisi qu’il constate l’impossibilité pour Monsieur Pétrus de se procurer « un ordinateur nu identique auprès de la société Lenovo. »

En d’autres termes, selon la Cour de cassation, la vente est liée si le constructeur ne met pas à la disposition du consommateur le même modèle d’ordinateur que celui acheté par le consommateur, mais nu.

En cela, cet arrêt marque une immense progression dans les litiges sur les pratiques commerciales des professionnels [4] pour une raison de taille que même les consommateurs qui me saisissent ne mesurent pas toujours.

En effet, cette décision bat en brèche l’argumentation des constructeurs selon laquelle les consommateurs auraient pu commander ailleurs des ordinateurs « identiques » que certains revendeurs distribuent nus. Or, comme je le conclus systématiquement dans mes dossiers, cet argument n’a pas de sens car il revient à demander aux consommateurs de renoncer aux deux éléments qui ont déterminé leur achat, à savoir la marque et les composants informatiques du modèle, pour se rabattre vers des machine dites « noname » qui ne bénéficient ni de la même qualité de composants et d’assemblage, ni des mêmes tests, ni du même service après-vente que ce qu’offrent les grands constructeurs.

Il suffit de consulter les chiffres récents de GARTNER relayés dans un article du JDN oud’autres au hasard sur internet pour se rendre compte que ce sont les grandes marques qui sont choisies par les consommateurs et qui tirent leur épingle du jeu. De même, il suffit de se poser la question de ce qui pousse un consommateur à changer sa machine : en général, on change pour avoir une machine plus rapide, un plus grand ou un plus petit écran, un plus gros disque dur ou un plus rapide, une grande autonomie, une webcam, etc., soit dans l’immense majorité des cas le matériel et certainement pas pour avoir Windows qui est préchargé systématiquement !

Je rappelle par ailleurs que Monsieur Pétrus avait expressément demandé au vendeur si le matériel qu’il avait choisi était vendu nu et qu’il lui avait été répondu par la négative, le vendeur lui ayant précisé qu’il n’avait pas d’autre solution que d’acheter ce modèle et de demander ensuite au constructeur de rembourser les logiciels dont il ne voulait pas. Je réprouve donc que la censure des magistrats du Quai de l’Horloge ait pu être prise pour « défaut de base légale », cas d’ouverture à la cassation qui correspond en pratique à une insuffisance de constatations matérielles pour justifier, en droit, la décision soumise à sa censure.

Le débat reviendra donc en partie sur le terrain de la preuve : comment prouver que le fabricant ne produit l’ordinateur que sous une seule forme, à avoir avec des logiciels fournis préchargés ? En ce qui me concerne pour la suite de ce procès, j’ai ma petite idée… Mais pour vous, consommateurs, pensez systématiquement à écrire au constructeur avant l’achat de l’ordinateur pour lui demander si le même modèle d’ordinateur que celui que vous avez choisi est fabriqué sans logiciels et conservez précieusement les fiches techniques du constructeur sur votre modèle, puisqu’elles indiquent systématiquement le système d’exploitation (et parfois même les logiciels applicatifs) fournis préchargés.

Cependant, je rappelle que le droit de la consommation est un droit protecteur de la partie faible, le consommateur. De fait, la directive du 11 mai 2005 permet au juge d’exiger du professionnel qu’il fournisse des preuves nécessaires à la solution du litige relatif aux pratiques commerciales déloyales et à défaut, de considérer ses allégations inexactes si ces preuves ne sont pas apportées ou sont insuffisantes. La preuve de ce qu’un modèle précis est fabriqué nu incombera donc nécessairement au constructeur qui est sans aucun doute le seul à savoir exactement ce qu’il conçoit et distribue comme modèle de matériel.

Pour finir, cet arrêt est loin d’être aussi mauvais que certains l’ont présenté. Voici d’ailleurs ce que conclut le Professeur Loiseau (de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) dans son commentaire publié dans la presse spécialisée :

L’arrêt rendu le 5 février 2014 est, dans ces conditions, à double tranchant. Le premier rappelle à l’ordre les juges du fond qui seraient enclins à assimiler trop libéralement la vente d’ordinateurs prééquipés de logiciels d’exploitation à des pratiques commerciales déloyales. Mais le second, plus menaçant pour les professionnels, canalise les exigences pour que cette qualification soit retenue en les ramenant, pour l’essentiel, à la constatation de l’impossibilité pour le consommateur de se procurer un ordinateur identique auprès du même distributeur sans les logiciels préinstallés. Si tel est bien le sens de l’arrêt, celui-ci aboutit alors à imposer aux distributeurs d’adapter l’objet de la vente en proposant des ordinateurs dépourvus de logiciels d’exploitation chaque fois qu’ils font le commerce d’ordinateurs prêts à l’emploi. Cette décision n’est sans doute pas un épilogue ; mais elle rapproche de la fin du feuilleton.

Mais nous sommes loin de la fin du feuilleton, puisque cet arrêt est le tout premier de la Cour de cassation sur la question de la vente forcée des logiciels. Plusieurs affaires sont en cours et les Magistrats du Quai de l’Horloge ont encore du travail sur ce point.

4. L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 5 juin 2014 : UFC vs HPufcqc

Cet arrêt est incompréhensible tant il comprend d’erreurs en droit, d’approximations et manque de réalisme sur les pratiques commerciales telles qu’elles sont imposées par les grands constructeurs informatiques. Il semble aussi que l’UFC ait pêché par négligence sur certains aspects du dossier sur lesquels la Cour d’appel s’est atardée [5] Je pense donc que cette affaire aurait certainement pu être gagnée avec quelques connaissances en informatique en plus mais surtout sans se laisser balader par les arguments de l’adversaire que je connais puisque HP est également mon adversaire (mon confrère FOURNIER du cabinet REDLINK).

4.1. Matériel et logiciel, deux produits distincts : la confusion des magistrats.

En premier lieu, la Cour d’appel estime qu’il convient de vérifier si la vente d’un ordinateur préchargé de logiciels constitue une vente liée ou non. Après avoir fort justement rappelé que le matériel et les logiciels étaient deux éléments distincts, contrairement à ce que soutenait HP, la Cour d’appel retient que :

Dans ces conditions, la vente d’ordinateurs pré-équipés d’un logiciel d’exploitation
constitue bien une vente liée d’un produit, l’ordinateur, et d’un service, le logiciel, qui n’est pas vendu mais mis à disposition par l’octroi d’une licence d’utilisation, sans qu’à ce stade de l’analyse la question de savoir si le pré-équipement se trouve ou non dans l’intérêt du consommateur soit opérant.

Première motivation de la Cour d’appel et déjà première erreur.

En effet, si la reconnaissance de l’existence d’une subordination de vente matériel/logiciels est une solution heureuse parce que le matériel et les logiciels sont juridiquement et pratiquement deux produits distincts, la motivation est insuffisante car la Cour d’appel ne respecte pas la solution retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt Pétrus du 5 février 2014, alors que cette décision avait été produite par l’UFC au cours des débats. Pour mémoire, la Cour de cassation retient que la vente est liée si, en outre,le constructeur ne met pas à la disposition du consommateur le même modèle d’ordinateur que celui acheté par le consommateur, mais nu.

Cette différence entre le matériel et les logiciels et le fait de savoir si HP mettait à la disposition des consommateurs la MÊME référence d’ordinateurs que celui choisi par le consommateur était essentielle car, on le verra plus loin, la Cour d’appel est totalement passée à pieds joints sur cette question, de sorte que sa conclusion sur l’absence de pratique commerciale déloyale n’est pas exacte.

En revanche, il était tout à fait exact pour la Cour d’appel de retenir que « la question de savoir si le pré-équipement se trouve ou non dans l’intérêt du consommateur » était indifférente à la solution du litige car la pratique commerciale de subordination de vente des logiciels avec le matériel informatique n’est déloyale qu’à l’aune du comportement du professionnel en tenant compte des critères posés par la directive (articles 5 à 9 de la directive), c’est-à-dire en vérifiant si cette pratique a modifié ou a été simplement susceptible de modifier le comportement commercial du consommateur, qui n’aurait pas pris une décision d’achat s’il avait été en mesure de faire autrement.

Et j’insiste bien sur les termes en gras, le fait que cette pratique soit susceptible de modifier le comportement économique du consommateur, permet de qualifier cette pratique commerciale de déloyale.

4.2. Analyse concrète de la déloyauté de la pratique de subordination de vente par la Cour.

hplogoLa Cour d’appel a donc ensuite procédé à une analyse des circonstances de la cause pour savoir si la subordination de vente qu’elle avait précédemment retenue était une pratique déloyale ou non au regard des éléments d’appréciation posés par la directive (pratique trompeuses, par action ou omission OU pratique agressive, sachant que le texte pose bien l’alternative, l’existence de l’une des deux étant suffisante à considérer que la pratique commerciale est déloyale).

Mais là, c’est malheureusement un festival d’erreurs pour la Cour d’appel mais aussi pour l’UFC.

Selon le rappel fait par la Cour dans sa décision, l’UFC soulevait principalement deux arguments :

  • l’absence d’information du caractère facultatif des logiciels ;
  • l’absence d’information sur le prix des éléments composant le lot : matériel d’un côté et logiciels de l’autre.

Pour répondre au premier grief de l’UFC, la Cour d’appel a répondu totalement à côté.

En effet, la Cour indique :

Cependant, l’association UFC Que Choisir ne rapporte pas la preuve, alors que cette charge lui incombe, de l’absence d’information du caractère pré-équipé en logiciel d’exploitation des ordinateurs vendus par la société HP France. Elle ne rapporte non plus aucune preuve de ce que les consommateurs ne seraient pas informés des conditions de licence des logiciels, alors même qu’elle verse au dossier les copies de l’« accord de licence utilisateur final » et des « conditions de licence de logiciel microsoft », dont les mentions indiquent qu’ils ont été téléchargés sur une page de site dénommé « Boutique Grand Public hp info ».

  • En premier lieu, s’agissant de la preuve, il était erroné de faire ce reproche à l’UFC puisque l’article 12 de la directive permet au juge d’exiger du professionnel qu’il fournisse des preuves nécessaires à la solution du litige relatif aux pratiques commerciales déloyales et de considérer ses allégations comme inexactes si ces preuves ne sont pas apportées ou sont insuffisantes. Il appartenait donc au juge à l’UFC de demander des preuves et au juge de les exiger pour la solution du litige. Je rappelle d’ailleurs que c’est bien le comportement du professionnel qui doit être apprécié en premier lieu pour savoir si sa pratique est susceptible de modifier le comportement du consommateur. En d’autres termes, débouter l’UFC pour absence de preuve revenait finalement à inverser la charge de la preuve puisque seul le professionnel est en mesure de rapporter certaines preuves, comme celle de savoir quel modèle d’ordinateur est vendu avec et sans logiciels. La motivation de la Cour est donc totalement à revoir.
  • En deuxième lieu, il importait peu de savoir s’il y avait une information de la part du professionnel sur le caractère préchargé des logiciels… puisque les logiciels sont systématiquement fournis préchargés dans les ordinateurs de grande marque qui sont distribués aux consommateurs (et je ne parle pas des petits assembleurs de quartier ou du matériel dit « noname » qui tombe en panne régulièrement) ! Or, l’UFC demandait reprochait au constructeur son absence d’information sur le caractère facultatif des logiciels, ce qui n’a rien à voir. Il y a donc eu une regrettable confusion de la part des magistrats de la Cour qui n’ont pas compris le problème qui leur était soumis.
  • En troisième lieu, la Cour paye tribut à son erreur lorsqu’elle invoque le constat d’huissier produit par HP le 16 février 2011 dont elle déduit que « le consommateur ne se trouve pas dans l’impossibilité d’acquérir un ordinateur non pré-équipé d’un logiciel windows et plus encore que le chemin d’accès à cette rubrique n’est pas particulièrement complexe ou mal aisé et que le consommateur peut y accéder sans difficulté particulière. » Car ce constat d’huissier est tout simplement édifiant s’il s’agit bien à celui que je possède et l’UFC semble n’en avoir pas tiré avantage.
    1. Par exemple, le constat ne précise pas si HP mettait bien à la disposition des consommateurs les mêmes modèles avec et sans logiciels préchargés, comme l’exige pourtant la Cour de cassation. D’autant qu’ici, nous sommes sur le site dédié aux professionnels !
    2. Par ailleurs, HP a manifestement limité son étude à quelques modèles sur l’ensemble de sa gamme, notamment parce que tous les modèles étudiés, sauf un, étaient des ordinateurs au format tour. HP a donc soigneusement évité les ordinateurs portables qui sont problématiques. Et si toutes les matériels examinés pouvaient être pris avec Windows ou FreeDos [6]… force est de constater qu’ils étaient donc systématiquement fournis avec des logiciels fournis préchargés ; ils n’étaient donc pas « nus » ou « quasi-nus » comme l’a indiqué la Cour d’appel !
    3. Troisième exemple, le pire sans doute, est relatif au prix de l’OS puisqu’après avoir ôté Windows pour choisir FreeDos à la place, l’huissier a fait plusieurs remarques comme celle-ci : « je note qu’après changement de la configuration, le prix du second ordinateur est passé de 569,80 euros TTC à 1.652,87 euros TTC » ou encore « je note qu’après changement de la configuration, le prix du second ordinateur est passé de 1608,82 euros TTC à 5802 euros TTC » ! Ce qui signifie qu’avec cette pièce, la Cour avait bien la preuve que HP peut facturer plus de 4.100 € l’installation de FreeDos à ses clients professionnels… un OS gratuit !

On se demande donc dans ces conditions, comment la Cour d’appel a pu considérer (à supposer qu’il soit démontré que la MÊME configuration était bien disponible SANS aucun logiciel préchargé, ce qui n’est pas le cas) que le consommateur ne soit pas susceptible d’être impacté dans sa décision commerciale par des prix aussi prohibitifs pour le seul OS FreeDos qui est gratuit, puisque la Cour d’appel considère que le consommateur peut valablement commander sur le site dédié aux professionnels…

De toute évidence, la Cour d’appel n’a rien compris au problème qui lui était soumis, et l’UFC ne semble pas non plus avoir exploité les pièces produites par HP. Double échec aux conséquences juridiques catastrophiques et je ne décolère pas.

Pour répondre aux autres griefs de l’UFC, la Cour d’appel s’est là encore fourvoyée.

  • En premier lieu, la Cour d’appel relève que les conditions générales de vente de HP permettraient aux « Particuliers avertis » de se configurer un ordinateur avec FreeDos et qu’ils seraient de ce fait considérés comme des professionnels. Or, la Cour d’appel ne pouvait pas en déduire que les consommateurs n’étaient pas impactés par ces conditions générales de vente, d’une part parce que tout contrat pris consécutivement à une pratique commerciale déloyale est nul et de nul effet (de sorte que ladite clause, à tout le moins, aurait dû être annulée par la Cour d’appel), mais d’autre part parce que cette notion de consommateur « averti » est une invention des constructeurs dans le seul but d’échapper à leurs obligations d’information dues aux consommateurs, puisque la directive du 11 mai 2005 définit le consommateur comme celui qui achète une machine pour ses besoins personnels, la Cour de cassation ayant ajouté avec l’arrêt GUERBY précité que les connaissances en informatique du consommateur étaient indifférentes à l’analyse de la pratique commerciale du seul professionnel. Sans compter que ces conditions générales de vente faisaient basculer de manière totalement abusive ces prétendus consommateurs en consommateurs avertis dès qu’ils achetaient un ordinateur modifié sur l’OS…
  • En deuxième lieu, et on le comprend mieux à la lecture des 4 points précédents, la plus importante erreur de la Cour d’appel est sans conteste celle résultant de sa motivation relative à l’information du constructeur sur les prix, puisqu’elle retient que :

    Il est sans portée enfin qu’il ne soit pas précisé s’agissant des ordinateurs pré-équipés quels sont les prix des logiciels fournis puisque l’information essentielle pour l’acquéreur potentiel d’un tel ordinateur est le prix global qui lui permet de le comparer aux offres concurrentes et non celle des logiciels d’exploitation et d’utilisation puisqu’il ne lui est pas offert la possibilité de les désactiver et d’en demander le remboursement.

    Cette motivation sur le prix global est totalement contraire aux dispositions précises de la directive relative à l’information sur les produits et leurs prix TTC vendus aux consommateurs (étant rappelé ici que le matériel et les logiciels sont des produits distincts tant par nature que juridiquement de sorte qu’il s’agissait ici d’une vente par lots), mais également contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation du 6 octobre 2011 dans l’affaire UFC vs DARTY & FILS, qui retenait que le prix des produits était une information substantielle dont le consommateur avait nécessairement besoin pour prendre une décision commerciale en connaissance de cause ! Et il y avait tant à dire sur cette question puisqu’elle directement liée à la notion de vente forcée les logiciels.

Bref, là encore, la motivation de cette décision est mauvaise et je ne peux pas lister ici tous les points contestables, tant il y en a. L’UFC n’a pas non plus exploité toutes les pistes puisque la Cour relève que :

S’agissant du caractère agressif, l’association UFC Que Choisir n’allègue et n’apporte aucun élément qui permettrait de constater que la société HP France aurait mis en œuvre une pratique de harcèlement ou de contrainte, ou, encore, fait usage d’une influence injustifiée, ayant pour effet d’altérer la liberté de choix ou de conduite du consommateur moyen à l’égard d’un produit.

Alors qu’il y avait tant à dire sur cette question !

4.3. Une erreur de fondement.

J’observe surtout que l’UFC-Que-choisir n’a pas changé de stratégie au cours du procès, alors qu’elle pouvait tout à fait le faire sur le plan strictement procédural.

La fourniture de produits non demandés dite « vente forcée » aurait du être invoquée, à mon sens, puisqu’il s’agit d’une pratique réputée déloyale en toutes circonstances [7]totalement interdite par l’annexe 1 de la directive du 11 mai 2005, c’est-à-dire sans avoir à apprécier au cas par cas le comportement du professionnel au regard des articles 5 à 9 de la directive comme c’est le cas avec la pratique commerciale de subordination de vente. Il suffit de constater que le consommateur paye des logiciels qui ont été préchargés par le constructeur, sans que celui-ci l’ait mis en mesure de renoncer aux logiciels ou au paiement du prix de ces logiciels.


Notes

[1] D’autant que l’article 700 du Code de procédure civile régit ces indemnités pour frais de procédure et permet d’éviter de telles condamnations lorsqu’il y a un déséquilibre financier manifeste entre les parties au procès comme c’était le cas ici.

[2] au sens de l’article 5 de la directive et de l’article L. 120-1 du Code de la consommation

[3] Arrêt Khaliqui vs Dell, précité.

[4] La Cour de cassation confirme enfin une ancienne jurisprudence d’un juge de proximité de Metz du 12 novembre 2009 qui avait déjà retenu qu’il devait s’agir du même modèle d’ordinateur qui devait être proposé nu par le constructeur au consommateur.

[5] Je n’ai cependant pas eu en mains les conclusions prises par l’UFC dans cette affaire, c’est donc sous toutes réserves.

[6] Système d’exploitation libre, gratuit, en lignes de commande, donc extrêmement difficile à mettre en œuvre, même pour un professionnel non averti

[7] par son caractère agressif

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