Arrêt HP France vs UFC Que-Choisir du 12 juillet 2012 : La réponse de la Cour de cassation à un débat incomplet.

courdecassation_humourDans un arrêt du 12 juillet 2012 opposant la société Hewlett Packard France, demanderesse au pourvoi, à l’association Union fédérale des consommateurs – Que Choisir (et autre), la haute juridiction a prononcé une cassation partielle de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 5 mai 2011 qui avait jugé que la vente d’ordinateurs prééquipés d’un logiciel d’exploitation, sans possibilité offerte au consommateur d’acquérir le même ordinateur sans le logiciel d’exploitation, constituait une pratique commerciale déloyale et avait donc interdit à HP France de vendre sur son site Internet des ordinateurs avec logiciels d’exploitation préinstallés sans offrir à l’acquéreur la possibilité de renoncer à ces logiciels moyennant déduction de la fraction du prix correspondant au coût de leur licence d’utilisation.

Cet arrêt a semblé résonner comme un coup de tonnerre, notamment en raison du fait que la presse en a fait une interprétation désastreuse et il n’est pas rare de voir écrit des titres comme « La vente liée d’OS autorisée à nouveau » ou « Vente liée : la vente de Windows avec un PC n’est pas « déloyale » » ou pire, « La vente liée de nouveau autorisée : le jugement qui remet tout en question« .

Je vous rassure immédiatement, il s’agit là d’inepties. Il est à regretter que l’association APRIL n’ait également pas échappé à cette lecture rapide dans son communiqué titré « Retour à la case précédente pour la vente liée : la Cour de cassation exige le changement de fondement juridique« , alors que la Cour de cassation n’exige rien de tel. Il fallait être bien plus modéré, ce que de nombreux autres sites ont fait fort heureusement. La Cour de cassation met logiquement et progressivement de l’ordre dans ces questions des pratiques commerciales déloyales et sanctionne une nouvelle fois la négligence de l’UFC Que-Choisir qui s’était déjà fait épingler sur une question analogue en 2008, avec le jugement du TGI de Paris du 24 juin 2008 (aboutissant à un arrêt de cassation le 6 novembre 2011). Voici donc quelques explications.


L’association Union fédérale des consommateurs – Que Choisir lutte depuis plusieurs années, parallèlement aux actions menées directement par les consommateurs, contre ce qu’on appelle dans le langage commun « la vente liée »… mais malheureusement avec un train de retard souvent. À l’initiative de l’AFUL, elle avait initié plusieurs actions en justice, notamment en 2006, contre des professionnels qui pratiquaient la subordination de vente. Les sociétés DARTY et Fils et HEWLETT-PACKARD France faisaient partie des sociétés assignées, sur le fondement de l’article L. 122-1 du Code de la consommation.

Mais le débat a très largement évolué en 2005 avec la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales des professionnels de l’Union envers les consommateurs, dont la transposition est intervenue en France par deux lois du 3 janvier et du 4 août 2008. Pourtant, l’UFC n’a jamais revu sa stratégie pour prendre en compte ces textes, en faisant évoluer les fondements juridiques sur lesquels elle dénonçait les pratiques commerciales déloyales en matière de consommation informatique. Les moyens financiers de l’association, qui peut s’offrir la possibilité de faire un très large usage des voies de recours pour ses procès, ainsi que la possibilité offerte par le Code de procédure civile de changer devant la Cour d’appel les fondements juridiques sur lesquels repose une demande, auraient dû conduire à un recadrage stratégique.

Petit rappel. Depuis la directive, sa transposition en droit Français, l’arrêt de la CJUE du 23 avril 2009 et celui de la Cour de cassation du 15 novembre 2010, le paysage juridique est le suivant :

  • Il y a d’abord les pratiques commerciales déloyales en toutes circonstances, au rang desquelles on trouve la fourniture de produits non demandés. Pour elles, pas d’interprétation possible. Lorsque le juge constate que le professionnel fournit un produit au consommateur dont il exige de sa part le paiement alors que ce dernier ne lui a rien commandé au préalable, il s’agit d’une pratique commerciale déloyale, plus particulièrement agressive, de vente forcée.
  • Il y a ensuite les pratiques commerciales déloyales au cas par cas en fonction des circonstances de la cause. La charge de la preuve négative incombe au professionnel qui doit démontrer qu’il n’a pas eu recours à de telles pratiques lorsqu’un consommateur les dénonce avec comme canevas les articles 5 à 9 de la directive. Ces pratiques sont celles qui ne figurent pas dans la liste noire des pratiques commerciales visées dans l’annexe I de la directive qui relèvent des pratiques commerciales déloyales en toutes circonstances évoquées ci-dessus et on y trouve notamment la pratique commerciale illicite de subordination de vente.

Vous l’aurez donc compris, dénoncer une pratique commerciale agressive de fourniture de produits non demandés est bien plus « aisé » à mettre en œuvre que la pratique commerciale illicite de subordination de vente de l’article L. 122-1 du Code de la consommation qui, elle, nécessite une analyse précise par le juge des circonstances de la vente.

1. Le fondement choisi par l’UFC : la subordination de vente.

Certes, le débat est ancien puisque l’assignation de l’UFC devant le TGI de Nanterre date du 13 décembre 2006. Elle demandait notamment, sur le fondement de l’article L. 122-1 du Code de la consommation, que la société HP soit enjointe de cesser, sous astreinte, de vendre sur son site dédié aux particuliers, des ordinateurs fournis d’un système d’exploitation Windows préchargé et de différents autres logiciels applicatifs, sans offrir à l’acquéreur la possibilité de renoncer à ce logiciel moyennant déduction de la fraction du prix correspondant au coût de la licence d’exploitation et d’indiquer le prix des logiciels d’exploitation et d’utilisation préinstallés vendus en ligne. Par arrêt du 30 octobre 2009 (ce qui démontre une fois de plus que ces procès, techniques, sont longs et difficiles), le TGI de Nanterre a notamment débouté l’association de ses demandes. L’UFC a interjeté appel de cette décision, ce qui a abouti à l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 5 mai 2011 cassé partiellement par la Cour suprême.

Dans son arrêt, la Cour de cassation rappelle d’abord la règle juridique sur ce fondement :

« Attendu que sont interdites les pratiques commerciales déloyales ; qu’une pratique commerciale est déloyale si elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu’elle atteint ou auquel elle s’adresse, ou du membre moyen du groupe particulier de consommateurs qu’elle vise. »

Il s’agit là d’une synthèse de l’article 5 de la directive repris (ultérieurement) dans le Code de la consommation. C’est donc à la lumière de cette règle que la Cour de cassation va rendre sa décision.

La Cour d’appel de Versailles, dans un arrêt fort bien motivé, avait jugé que la vente d’ordinateurs prééquipés d’un logiciel d’exploitation, sans possibilité offerte au consommateur d’acquérir le même ordinateur sans le logiciel d’exploitation, constituait une pratique commerciale déloyale et avait fait interdiction à la société HP de vendre sur son site Internet des ordinateurs avec logiciels d’exploitation préinstallés sans offrir à l’acquéreur la possibilité de renoncer à ces logiciels moyennant déduction de la fraction du prix correspondant au coût de leur licence d’utilisation.

Pour cela, elle avait retenu que :

« Considérant que sur le site qui lui est consacré, le consommateur n’est pas averti directement de la possibilité d’acquérir un ordinateur non muni d’un système Windows ; que cette possibilité offerte par la société HP, encore récente, n’existe en effet que sur le site pour les professionnels où il est offert la possibilité d’acheter un ordinateur avec un système d’exploitation libre (Linux ou Freedos) ;

Que le site grand public ne contient pas davantage de précision sur le prix des composants de l’ordinateur et, en particulier, du logiciel dont la valeur est variable, ni sur le contenu des licences utilisateur final ou utilisateur final Microsoft soumis à l’adhésion permettant à l’utilisateur de connaître avec exactitude les droits qui lui sont accordés ;

Considérant qu’il n’existe pas d’obstacle technique à l’absence de proposition sans préinstallation puisque la SAS HEWLETT PACKARD FRANCE le propose aux professionnels et qu’elle peut reprendre l’avertissement sur l’exigence d’une compétence minimale telle que prévue sur ce site et des problèmes de compatibilité ;

Qu’elle ne peut justifier l’absence de proposition d’ordinateurs sans préinstallation par le fait qu’il existe la possibilité pour le consommateur de s’adresser à des vendeurs extérieurs ;

Considérant que la SAS HEWLETT PACKARD FRANCE, qui oppose n’être que distributeur, se trouve toutefois en lien direct avec le constructeur lequel s’il n’a que des droits d’utilisation tirés de la licence qui lui a été concédée conserve un intérêt à adapter sa concession de licence à la demande en s’adressant à l’éditeur du logiciel d’exploitation ; qu’il n’est pas démontré que la désactivation, lors de la vente, est un réel obstacle technique ;

Que cette attitude est contraire aux exigences de la diligence professionnelle ;
(…)
Considérant que l’information sur la valeur des éléments composant l’offre de vente avec pré installation concerne des éléments substantiels à savoir le prix du logiciel dans la mesure où une licence OEM peut représenter entre 18 et 20 % du prix d’un ordinateur et une licence non OEM jusqu’à 27 % ;

Que l’absence d’information du consommateur sur ces composants réduit ses choix en ce qu’il ne peut comparer leur valeur avec d’autres propositions qu’il s’agisse du logiciel ou de l’ordinateur nu ; que surtout, il se trouve privé de la possibilité d’acquérir sans logiciel et ce alors que la demande des consommateurs ne cesse d’augmenter ;

Que dans ces conditions, le consommateur, sans information suffisante sur ces éléments importants dans la détermination de la valeur de l’ordinateur, peut se trouver ainsi amené à prendre une décision à propos de l’achat d’un ordinateur, qu’autrement il n’aurait pas prise ; que par le comportement induit par le manque d’information, la vente est « trompeuse » au regard de l’article 7 de la Directive et contraire à l’article L 121-1 du code de la consommation ; que le choix imposé est constitutif d’un préjudice pour le consommateur ; »

Cette motivation est conforme au droit positif.

La Cour d’appel a motivé sa décision en indiquant pourquoi l’attitude de la société HP était manifestement contraire à sa diligence professionnelle et a également estimé, après avoir décortiqué les pratiques commerciales trompeuses dont les critères d’appréciation sont posés par les articles 6 et 7 de la directive, que l’absence d’information sur les prix constituait notamment une omission trompeuse, constitutive d’une pratique commerciale déloyale.

Mais le débat était largement incomplet…

Partant, la Cour de cassation estime :

« Qu’en se déterminant ainsi, tout en constatant que la société soulignait, sans être démentie , que le consommateur pouvait en s’orientant sur le site dédié aux professionnels trouver des ordinateurs “nus”, mais que l’installation d’un système d’exploitation libre restait une démarche délicate dont elle ne pourrait pas garantir la réussite, la cour d’appel qui s’est fondée sur des motifs desquels il ne résulte pas que la vente litigieuse présentait le caractère d’une pratique commerciale déloyale, a violé le texte susvisé ; »

En d’autres termes, la Cour de cassation constate que l’UFC n’avait pas démenti que les consommateurs pouvaient commander une machine nue sur le site de HP dédié aux professionnels et relève que n’était pas non plus démentie l’allégation de la société HP selon laquelle « l’installation d’un système d’exploitation libre reste une démarche délicate dont elle ne pourrait pas garantir le fonctionnement ».

La Cour de cassation n’étant pas là pour juger le fond du droit mais pour sanctionner une mauvaise application des règles de droit par les juges au regard du débat évoqué devant la juridiction dont la décision est soumise à sa censure, elle ne pouvait alors pas faire autrement que de retoquer la Cour d’appel qui avait estimé, malgré le « trou » flagrant dans l’argumentation de l’UFC qui n’a pas discuté les deux points litigieux ci-dessus, que les circonstances de la cause révélaient l’existence d’une pratique commerciale déloyale.

Or, sur le fond, s’il était possible que la société HP puisse présenter une telle offre à ses clients professionnels, encore fallait-il savoir si ce site était accessible ou non aux particuliers et s’ils pouvaient y commander exactement la même machine que celle qu’ils auraient pu commander sur le site grand public. L’UFC n’a développé aucun argument en droit civil sur ce point.

Par ailleurs, l’UFC aurait dû se pencher sur le site dédié aux professionnels pour en tirer la conséquence qu’il s’agissait en réalité d’une vaste fumisterie, sans compter les entorses au droit de rétractation prévu par le Code de la consommation s’agissant des ventes à distance…

Par ailleurs, comble de l’ironie, l’UFC avait déjà pêché par légèreté sur la question de la complexité de l’installation d’un système d’exploitation libre dans l’affaire l’opposant à la société DARTY ayant abouti au jugement du TGI de Paris le 24 juin 2008, puis à l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 26 novembre 2009 et enfin à l’arrêt de la Cour de cassation du 6 novembre 2011. Dans cette affaire, la société DARTY avait produit en première instance un rapport de deux « experts » qu’elle avait mandaté, hors cadre judiciaire, pour savoir si l’installation d’un système libre était compliquée. Ce rapport n’avait déjà pas été contesté à l’époque par l’UFC, alors qu’il y avait tant à dire sur le plan informatique et qu’il n’était pas difficile de demander une expertise judiciaire pour contrer cette pièce qui n’était pas sérieuse.

Enfin, le débat était largement incomplet devant la Cour d’appel puisque l’UFC était passée à pieds joints sur la question des pratiques commerciales agressives, se contentant d’évoquer les pratiques commerciales trompeuses, ce qui limitait largement le débat.

2. Un fondement inefficace à titre principal, car aléatoire.

Surtout, il faut rappeler encore une fois que la question qui se pose et que je soumets moi-même systématiquement aux juridictions du fond que je saisis du problème, n’est pas informatique mais purement un problème de consommation.

En effet, il ne s’agit pas tant de savoir si un système d’exploitation libre est complexe à installer puisque quelques minutes suffisent à démontrer le contraire, ou si un fabricant doit fournir des ordinateurs nus aux consommateurs alors que n’importe quel consommateur ou professionnel utilise un système d’exploitation pour pouvoir utiliser son matériel de façon conviviale et en tirer toute la quintessence.

La seule vraie question que devait poser l’association UFC était de savoir si, pour un fallacieux motif de pseudo-facilité d’installation pour le consommateur, un professionnel a le droit d’extorquer au consommateur le prix de produits qu’il lui a fournis alors que ce dernier ne les a jamais commandés avant la vente.

En d’autres termes, la société HP pratiquait-elle la vente forcée ? La réponse est évidemment positive et les sites comme celui de HP ainsi que les procédures mises en place lors de l’achat ou même postérieurement lorsque le consommateur se trouve confronté au CLUF du système d’exploitation qui le force à éteindre sa machine, démontrent très largement le contraire.

Mais l’UFC n’a rien relevé de tel.

3. Triste conclusion.

Les erreurs de l’UFC vont certainement coûter très cher, puisque la Cour de cassation a eu la mauvaise idée de renvoyer l’affaire à la Cour d’appel de Paris, celle-là même qui avait donné raison à la société DARTY dans l’affaire l’opposant à l’UFC et qui avait abouti à un arrêt de cassation le 6 novembre 2011.

La Cour d’appel de Paris avait alors adopté une motivation éminemment critiquable comme je l’avais déjà détaillé dans un précédent article, allant même jusqu’à supposer ce que devait être l’intérêt du consommateur moyen, au mépris des évidences.

Autre conséquence, malgré quelques erreurs contenues dans l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles, sa motivation était bonne et minutieuse et venait avantageusement discréditer l’arrêt de la Cour de Paris du 26 novembre 2009 qui, fort heureusement, a été cassé depuis.

Enfin, ces erreurs vont encore obliger à se livrer à de très longs développements dans les conclusions présentées aux juges pour leur expliquer que la Cour de cassation n’a pas tout chamboulé, ce qui n’est pas franchement une bonne nouvelle pour le professionnel que je suis.

4. Références.

Arrêt n° 833 de la première chambre civile de la Cour de cassation du du 12 juillet 2012 (pourvoi 11-18807) : sur le site de la Cour de cassation ou sur Legifrance.

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Pratiques commerciales déloyales : pas de distinction entre constructeurs et revendeurs.

Dans deux nouvelles décisions récentes, la justice a encore condamné le fabricant SAMSUNG pour ses pratiques commerciales déloyales relatives à la fourniture de logiciels préchargés dans le matériel informatique ainsi que l’enseigne de grande surface AUCHAN pour ses pratiques commerciales trompeuses.
La jurisprudence ouverte par la Cour de cassation continue, logiquement, de s’imposer.
Regardons tout cela d’un peu plus près.

1. Madame Simone Z contre le géant SAMSUNG.

Le 10 mai 2012 SAMSUNG a une nouvelle fois été condamné par la juridiction de proximité de Caen. Cette nouvelle condamnation intervient à la suite des deux dernières, retentissantes, prononcées le même jour par la juridiction de proximité de Saint-Denis le 10 janvier 2012 sous forme de décision de principe. L’addition commence à avoir un goût amer pour le constructeur…

Les consommateurs qui mènent ces procédures de remboursement sont très souvent accusés d’être des « geek », terme qu’on prête aux mordus de l’informatique et de hi-tech. Madame Simone était-elle une « geek » pour vouloir le remboursement des logiciels qui lui étaient fournis ? En fait, absolument pas, vu son âge. C’est une simple consommatrice, attentive au monde qui l’entoure, et qui n’a pas apprécié que le constructeur lui extorque plus d’argent qu’elle n’avait à en donner, pour des logiciels qu’elle n’avait pas demandés.

1.1 La motivation prise par le juge.

Pour entrer en voie de condamnation contre le constructeur, le juge de proximité a d’abord rappelé, sans surprise, que le système d’exploitation et les logiciels applicatifs préchargés dans le matériel n’étaient que « des options auxquelles l’acheteur n’est pas tenu d’adhérer«  [1].

Ensuite, il a relevé que Madame Simone avait fait la démonstration que le fabricant ne lui avait laissé aucun choix :

  • lors de l’achat, puisque SAMSUNG ne propose ses ordinateurs à la vente qu’avec une multitude de logiciels fournis préchargés, de sorte que si Madame Simone souhaitait acheter ce même modèle chez SAMSUNG, elle devait obligatoirement l’acheter dans sa configuration d’origine, soit avec une multitude de logiciels fournis préchargés.
  • lors du démarrage de la machine, puisque le système d’exploitation Windows qui s’enclenche automatiquement (à partir d’un bios quasiment toujours configuré en premier démarrage sur le disque dur) ne propose pas d’autre option que d’accepter le contrat de licence du logiciel par une, voire deux cases à cocher, de sorte que si un consommateur moyen ne veut pas utiliser les logiciels fournis, il n’a pas d’autre choix que d’éteindre son ordinateur et de contacter le fabricant pour tenter d’obtenir un remboursement.
  • ou après l’achat, lorsque le constructeur tente d’imposer au consommateur qui lui adresse une demande de remboursement des logiciels, une procédure lourde et contraignante de renvoi du matériel à ses frais et risques abusivement qualifiée de « procédure de remboursement« , laquelle a été jugée abusive et réputée non écrite dans son ensemble à de nombreuses reprises.

Le juge a retenu que :

« Madame Y… apporte la preuve que la combinaison de la marque SAMSUNG et le modèle N130 constituait l’élément déterminant de son achat, à l’exclusion de tout autre critère.

SAMSUNG a ainsi mis Madame Simone Y… face à la contrainte d’acquérir le matériel dans sa configuration logicielle d’origine et ainsi de payer le prix de logiciels qu’elle ne souhaitait pas acquérir.

Cette absence totale de choix combinée à une procédure particulièrement lourde de désinstallation des logiciels et de remboursement y afférent constitue une pratique commerciale déloyale en toutes circonstances au sens de la Directive communautaire 2005/29/CE puisqu’elle met en œuvre tant une influence injustifiée qu’une contrainte à l’égard du consommateur. (…)

C’est à juste raison que Madame Simone Y… a pu réclamer le remboursement de ce qu’elle a indûment payé sur le fondement des dispositions de l’article L. 122-3 du Code de la consommation. »

S’agissant de la contrainte exercée par le constructeur sur le consommateur après la vente, et le caractère déloyal de la procédure de remboursement, le juge ajoute :

« Cette absence totale de choix combinée à une procédure particulièrement lourde de désinstallation de logiciels et de remboursement y afférent constitue une pratique commerciale déloyale en toutes circonstances au sens de la Directive communautaire 2005/29/CE puisqu’elle met en œuvre tant une influence injustifiée qu’une contrainte à l’égard du consommateur.

Le fait de soumettre le consommateur, après l’achat du matériel, et à sa charge exclusive les frais qui découlent de la procédure de remboursement conduit à violer le droit et la liberté du consommateur d’adhérer à tel ou tel système d’exploitation et de choisir les licences et les logiciels qu’il souhaite installer. »

C’est donc encore une condamnation contre un constructeur pour fourniture de produits non demandés, même si la motivation n’est pas aussi limpide que celle retenue par le juge de proximité de Saint-Denis.

Rappelons que le seul constat par le juge que le professionnel a exigé du consommateur le paiement immédiat ou différé de logiciels qu’il lui a fournis sans que ce dernier ne les ait jamais demandés, justifie de le condamner à rembourser le prix perçu, soit ici celui des logiciels. La directive 2005/29/CE et le Code de la consommation rappellent clairement que cette pratique commerciale est strictement interdite, de sorte que la sanction devrait être maintenant de plus en plus automatique contre les professionnels qui la pratiquent. Je rappelle également que ces pratiques commerciales déloyales sont une infraction pénale et sont punies d’une peine de 150.000 € d’amende au plus et de deux ans de prison.

1.2. Un manquement à l’obligation d’information sur les prix.

Tirant les conséquences du fait que le matériel et les logiciels constituent deux éléments distincts, la jurisprudence et la doctrine s’accordent sur le fait que la vente d’un ordinateur fournis de logiciels préchargés constitue une vente par lots de produits distincts. Dans ce cas, la réglementation française impose au professionnel d’informer le consommateur des caractéristiques essentielles des produits (le matériel) et des services (les logiciels), du prix du lot mais également du prix de chacun des éléments constituant ce lot.

Là encore, SAMSUNG s’est fait épingler, puisqu’il ne fournit jamais la moindre information aux consommateurs, tant sur le caractère facultatif des logiciels, que sur le fait qu’ils sont payants et que le consommateur les paye effectivement, ou sur le prix du matériel seul et des logiciels seuls. Le prix global indiqué par le fabricant ou le revendeur ne suffit pas à satisfaire aux obligations imposées par la réglementation.

C’est la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 6 octobre 2011, a rappelé que le prix des logiciels était un élément substantiel dont le consommateur devait être informé, reprenant en cela les critères posés par la directive 2005/29/CE.

Le juge retient que :

« Attendu que la société SAMSUNG ne donne aucune information s’agissant du prix des logiciels vendus à Madame Simone Z… sans que cette dernière n’en ait sollicité l’acquisition lors de l’achat objet de la présente instance. En effet, la société SAMSUNG doit à tout le moins donner cette information à l’occasion de la mise en œuvre de la procédure de remboursement dont elle a conservé la maîtrise. La société SAMSUNG ne saurait profiter de son silence s’agissant de la décomposition du remboursement proposé unilatéralement et a posteriori sans en avoir tenu le consommateur informé lors de la réalisation de l’achat. »

Le juge de proximité condamne donc la société SAMSUNG à payer à Madame Simone la somme de 250 € au titre des logiciels dont il a dissimulé le prix.

Il y ajoute une somme de 250 € de dommages et intérêts pour le préjudice subi par le consommateur, ce qui est un montant scandaleusement dérisoire lorsqu’on sait que la vente forcée est une infraction pénale sanctionnée notamment par une amende de 150.000 € au plus ! Le préjudice subi par les consommateurs face à ces pratiques commerciales est très important puisqu’ils n’ont pas d’autre choix que de faire des procès pour faire respecter leurs droits les plus élémentaires et légitimes, se substituant en cela à l’incurie de la DGCCRF ou du ministre de l’économie qui peut se saisir de ces questions.

Il condamne enfin SAMSUNG à payer à Madame Simone une somme de 1.500 € au titre des frais de procédure engagés, ce qui est là encore une somme insuffisante, ainsi qu’à payer les dépens de la procédure [2].

2. Monsieur Z… contre la société AUCHAN.

Cette décision du 18 avril 2012 est plus intéressante puisqu’elle concerne non plus un fabricant, mais un distributeur, ce qui est plus rare. Et la décision, satisfaisante, est intéressante à plusieurs titres.

Les précédents jurisprudentiels sont peu nombreux, et ont été intentés pour la plupart par l’UFC Que Choisir contre différentes enseignes, avec plus ou moins de succès, alors que bénéficier du statut d’association de consommateurs est de toute évidence bien plus avantageux pour obtenir de bonnes condamnations.

Monsieur Z avait classiquement fait l’achat en avril 2010 d’un ordinateur, un Samsung (!), pour 295 €. Il avait fait des recherches pour savoir si le modèle qu’il avait choisi était proposé sans logiciels préchargés. Bien évidemment, comme dans le cas précédent, la réponse s’est rapidement avérée négative.

Monsieur Z reprochait à titre principal à la société AUCHAN sa pratique commerciale déloyale en toutes circonstances de fourniture de produits non demandés (dont le professionnel exige le paiement), et à titre subsidiaire (demande présentée au cas où le juge rejetterait la demande principale) sa pratique commerciale déloyale de vente subordonnée au regard des circonstances entourant la vente.

2.1. Pas de vente forcée selon le juge ???

Contre toute attente, et de façon contraire aux dernières jurisprudences en la matière, le juge a écarté le grief de vente forcée en deux temps :

« – Sur la vente subordonnée
Après l’achat de cet ordinateur (…) Monsieur Z a obtenu de la société AUCHAN (…) l’information selon laquelle il était possible, sous certaines conditions, de procéder à la « désinstallation » des logiciels pré-installés (…), qu’il en résulte que ces logiciels et l’ordinateur sont des éléments distincts et ne constituent pas un élément indivisible, qu’en conséquence la vente de l’ordinateur SAMSUNG (…) et des logiciels pré-installés constitue une vente liée ou subordonnée (…) »

Il a donc d’abord retenu la qualification de vente subordonnée au seul motif que les logiciels, qui ne sont que des options non obligatoires, sont fournis. Ce n’est pas inexact à proprement parler, mais cette argumentation n’avait avait été développée qu’à titre subsidiaire par Monsieur Z.

Or, la vente n’est pas exclusivement subordonnée du seul fait que les logiciels sont fournis préchargés, puisque la qualification de fourniture de produits non demandés (ou vente forcée) est également applicable à cette hypothèse.

C’est donc la suite de la décision, le second temps, qui va nous renseigner sur la justification qui a poussé le juge à exclure la vente forcée :

« Attendu que Monsieur Z prétend que l’exigence d’un paiement immédiat des logiciels fournis avec l’ordinateur sans qu’il ne demande la fourniture de ces logiciels constitue une vente déloyale en soi au sens de l’article L. 122-3 du Code de la consommation, que toutefois ce texte applicable aux ventes sans commande préalable n’est pas applicable en l’espèce puisque Monsieur Z a passé une commande préalable à son achat ; que cette commande porte le numéro (…) selon la facture délivrée par la société AUCHAN »

Il y a là une erreur et une confusion importante de la part du juge qui ne pouvait pas à la fois retenir que la matériel et les logiciels étaient deux éléments distincts (ce qui est exact) sans en tirer les conséquences juridiques qui en découlaient.
En effet, nous sommes en présence d’un lot de deux produits distincts, le matériel d’un côté et les logiciels de l’autre, chacun étant régis par des contrats bien différents : un contrat de vente pour le matériel et un contrat de fourniture de prestations de services pour les seconds. Par conséquent, le juge ne pouvait pas retenir que Monsieur Z avait passé une commande préalable de logiciels auprès de AUCHAN en se fondant sur le contrat de vente du matériel, d’autant plus que le contrat de licence des logiciels (SE ou applicatifs) n’est soumis à l’accord éventuel du consommateur que postérieurement à la vente. En outre, le juge ne pouvait pas déduire de l’acte d’achat du matériel l’existence d’une commande préalable de logiciels auprès de AUCHAN, puisque les logiciels sont fournis préchargés par le fabricant, ici SAMSUNG, et non pas par le revendeur.

Je ne peux donc pas partager la motivation du juge qui l’a conduit à écarter le grief de vente forcée.

Néanmoins, le juge retient tout de même l’existence d’une pratique commerciale déloyale, en l’espèce une pratique commerciale illicite de subordination de vente.

Choisissant cette qualification juridique, le juge a donc examiné les circonstances de la vente pour savoir s’il existait une pratique commerciale trompeuse et/ou agressive, comme l’exigent la directive et la Cour de cassation depuis l’arrêt Pétrus lorsqu’il s’agit d’apprécier les pratiques commerciales non listées à l’annexe I de la directive.

Pour écarter le grief de pratique commerciale agressive, le juge s’est basé sur le fait qu’il avait estimé que la vente des logiciels n’avait pas été forcée au motif qu’il y avait eu commande préalable des logiciels de la part de Monsieur Z. Cela est évidemment contestable, puisque nous savons pertinemment que le consommateur n’a pas d’autre choix que de payer le prix des logiciels fournis préchargés s’il veut fait l’acquisition du modèle convoité.

Il a donc examiné si la société AUCHAN s’était livrée à une pratique commerciale trompeuse.

Rappelons d’abord que les critères d’appréciation posés par la directive obligent le juge qui choisit la qualification d’une pratique commerciale déloyale au cas par cas (soit ici la subordination de vente, par opposition à la pratique commerciale déloyale « en toutes circonstances » de vente forcée), à vérifier au regard des circonstances de la vente s’il existe une pratique commerciale agressive (articles 8 et 9 de la directive) et à défaut, une pratique commerciale trompeuse (article 6 et 7 de la directive). Mais si les leviers pour dénoncer les pratiques commerciales déloyales des professionnels en cette matière sont importants, il ne faut cependant pas négliger de les soulever.

Le juge de proximité a retenu sur cette question :

« Attendu que selon (…) la directive (…), constitue une pratique commerciale trompeuse l’information qui induit ou qui est susceptible d’induire en erreur le consommateur moyen en ce qui concerne le prix ou le mode de calcul du prix de nature à l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement.
(…)
Attendu qu’en l’espèce, la société AUCHAN n’a pas affiché le prix de l’ordinateur et de façon distinctive le prix des logiciels pré-installés, qu’elle n’a fourni à Monsieur Z, avant l’achat du 23 avril 2010, aucune information sur le prix de chacun de ces éléments alors que l’ordinateur et les logiciels pré-installés constituent des éléments distincts, qu’une telle pratique commerciale est trompeuse au sens de (…) la Directive (…) puisque l’absence d’information sur les prix a induit en erreur Monsieur Z et l’a amené à prendre une décision, à savoir l’achat de l’ensemble qu’il n’aurait pas prise autrement puisqu’il ne souhaitait acheter que l’ordinateur sans les logiciels pré-installés, que cette pratique trompeuse est interdite en application de l’article L. 122-1 du code de la consommation. »

Avec un peu d’attention, vous aurez relevé l’existence d’une contradiction entre la motivation ci-dessus et celle précédemment adoptée par le juge s’agissant de la fourniture de produits non demandés. En effet, alors que le juge avait rejeté la qualification de fourniture de produits non demandés au motif que, selon lui, Monsieur Z avait volontairement passé une commande préalable de logiciels, il retient maintenant que Monsieur Z avait bien souhaité acheter un ordinateur sans logiciels préchargés…

En définitive, on voit encore plus clairement que la motivation prise par le juge sur la vente forcée était contestable. Mais qu’importe, puisqu’il estime qu’en ne donnant aucune information sur les prix et qu’en ne procédant à aucune ventilation entre le prix du matériel et le prix des logiciels, la société AUCHAN s’est livrée à une pratique commerciale trompeuse, puisque Monsieur Z a été contraint de prendre une décision d’achat qu’il n’aurait peut-être pas prise s’il avait eu cette information.

Et qui d’autre mieux que AUCHAN peut connaître le prix des logiciels, à part le fabricant lui-même bien évidemment ? Seule la société AUCHAN pouvait, par sa puissance d’achat, exiger du fabricant qu’il lui communique le prix des logiciels fournis préchargés, en vertu du principe de transparence posé par le Code de commerce, lequel est d’ailleurs repris du Code de la consommation.

2.2. La notion de consommateur moyen discutée

Pour tenter de s’extraire du cadre de l’application de la directive 2005/29/CE, les fabricants et distributeurs cherchent parfois à soutenir que le consommateur qui essaye d’obtenir le remboursement des logiciels, ne serait pas un consommateur moyen à qui s’adresse cette directive.

AUCHAN n’avait pas manqué de soulever cet argument. La société avait tenté de soutenir que Monsieur Z était un consommateur « particulièrement avisé » au seul prétexte qu’il voulait un ordinateur fourni sans logiciels préchargés. C’est l’argument de l’ignorance, car prétendre qu’un consommateur serait averti au seul motif que ses demandes sont inhabituelles, est un raisonnement assez singulier. Et c’est exactement ce qu’a retenu le juge de proximité :

« Attendu que ce texte [3] est applicable au consommateur moyen, que la société AUCHAN ne démontre pas que Monsieur Z… n’est pas un consommateur moyen ; qu’en tout cas, la qualité de consommateur averti alléguée par la défenderesse ne peut résulter de la simple volonté exprimée par Monsieur Z… d’acheter un ordinateur sans logiciels d’application, qu’une telle demande n’implique pas en soi des connaissances spécifiques en matière d’informatique. »

En effet, la qualité de consommateur averti dépend notamment de ce qu’il exerce une activité professionnelle similaire à celle du professionnel auquel on le compare. Tel n’était évidemment pas le cas ici. Le juge n’a pas non plus estimé convaincant l’argument de AUCHAN selon lequel Monsieur Z s’était adressé volontairement à elle alors qu’elle n’était qu’une enseigne non spécialisée, puisqu’au contraire, en s’adressant à AUCHAN, Monsieur Z a fait un achat classique, de consommateur moyen, dans son enseigne de proximité.

Il est en tout cas intéressant de relever que le juge a estimé que le fait, pour un consommateur, de demander un ordinateur sans logiciels n’impliquait pas de disposer de connaissances informatiques spécifiques. Et il a raison. Installer un système d’exploitation, surtout à partir d’un disque dur vide, ne relève pas d’une grande complexité informatique, surtout avec une distribution GNU/Linux grand public (p. exemple : OpenSuse, Ubuntu, Mageia, etc.). Nous pouvons donc, avec cette nouvelle décision qui s’inscrit dans la droite lignes des précédentes, définitivement enterrer la jurisprudence UFC ¢ Darty du 24 juin 2008, jugement dans lequel le juge avait retenu, à l’époque, qu’il s’agissait d’une opération complexe. Sous Windows, l’opération qui était encore complexe avec Windows XP, a largement été simplifiée avec Windows 7.

3. Conclusion

Ces deux décisions sont deux jurisprudences de plus en faveur des consommateurs, qui demandent de plus en plus à ne plus devoir être contraints de payer les produits ou les services qu’ils n’ont pas demandés s’agissant en tout cas de l’informatique grand public, ce que confirmait déjà l’étude du CREDOC en 2007. Le fait que les décisions soient parfois en demi-teinte n’est pas surprenant et démontre qu’il ne faut pas tarir d’explications sur le sujet face aux juges qui ne sont pas habitués à ce type de contentieux, surtout devant les juridictions d’instance.

Enfin, l’enseignement majeur à tirer de ces derniers jugement, est que la jurisprudence ne fait, logiquement, strictement aucune différence entre les professionnels : qu’ils soient fabricants de matériel informatique, assembleurs, revendeurs spécialisés ou non, ils sont tous tenus aux mêmes règles s’agissant des pratiques commerciales déloyales et notamment la fourniture de logiciels non demandés qui demeure totalement interdite, ou de l’information nécessaire sur les prix des produits composant le lot matériel-logiciels.

Tout cela est bien évidemment encourageant pour la suite.


 4. Post-scriptum et notes.

Pour une question de confidentialité, ces décisions ne seront pas publiées à la demande des consommateurs qui souhaitent conserver leur anonymat.

[1Selon la formule du juge de proximité d’Aix-en-Provence dans un jugement du 17 février 2011 qui avait abouti à la condamnation du fabricant ACER

[2article 695 du Code de procédure civile

[3article L. 122-1 du Code de la consommation

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