Arrêt HP France vs UFC Que-Choisir du 12 juillet 2012 : La réponse de la Cour de cassation à un débat incomplet.

courdecassation_humourDans un arrêt du 12 juillet 2012 opposant la société Hewlett Packard France, demanderesse au pourvoi, à l’association Union fédérale des consommateurs – Que Choisir (et autre), la haute juridiction a prononcé une cassation partielle de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 5 mai 2011 qui avait jugé que la vente d’ordinateurs prééquipés d’un logiciel d’exploitation, sans possibilité offerte au consommateur d’acquérir le même ordinateur sans le logiciel d’exploitation, constituait une pratique commerciale déloyale et avait donc interdit à HP France de vendre sur son site Internet des ordinateurs avec logiciels d’exploitation préinstallés sans offrir à l’acquéreur la possibilité de renoncer à ces logiciels moyennant déduction de la fraction du prix correspondant au coût de leur licence d’utilisation.

Cet arrêt a semblé résonner comme un coup de tonnerre, notamment en raison du fait que la presse en a fait une interprétation désastreuse et il n’est pas rare de voir écrit des titres comme « La vente liée d’OS autorisée à nouveau » ou « Vente liée : la vente de Windows avec un PC n’est pas « déloyale » » ou pire, « La vente liée de nouveau autorisée : le jugement qui remet tout en question« .

Je vous rassure immédiatement, il s’agit là d’inepties. Il est à regretter que l’association APRIL n’ait également pas échappé à cette lecture rapide dans son communiqué titré « Retour à la case précédente pour la vente liée : la Cour de cassation exige le changement de fondement juridique« , alors que la Cour de cassation n’exige rien de tel. Il fallait être bien plus modéré, ce que de nombreux autres sites ont fait fort heureusement. La Cour de cassation met logiquement et progressivement de l’ordre dans ces questions des pratiques commerciales déloyales et sanctionne une nouvelle fois la négligence de l’UFC Que-Choisir qui s’était déjà fait épingler sur une question analogue en 2008, avec le jugement du TGI de Paris du 24 juin 2008 (aboutissant à un arrêt de cassation le 6 novembre 2011). Voici donc quelques explications.


L’association Union fédérale des consommateurs – Que Choisir lutte depuis plusieurs années, parallèlement aux actions menées directement par les consommateurs, contre ce qu’on appelle dans le langage commun « la vente liée »… mais malheureusement avec un train de retard souvent. À l’initiative de l’AFUL, elle avait initié plusieurs actions en justice, notamment en 2006, contre des professionnels qui pratiquaient la subordination de vente. Les sociétés DARTY et Fils et HEWLETT-PACKARD France faisaient partie des sociétés assignées, sur le fondement de l’article L. 122-1 du Code de la consommation.

Mais le débat a très largement évolué en 2005 avec la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales des professionnels de l’Union envers les consommateurs, dont la transposition est intervenue en France par deux lois du 3 janvier et du 4 août 2008. Pourtant, l’UFC n’a jamais revu sa stratégie pour prendre en compte ces textes, en faisant évoluer les fondements juridiques sur lesquels elle dénonçait les pratiques commerciales déloyales en matière de consommation informatique. Les moyens financiers de l’association, qui peut s’offrir la possibilité de faire un très large usage des voies de recours pour ses procès, ainsi que la possibilité offerte par le Code de procédure civile de changer devant la Cour d’appel les fondements juridiques sur lesquels repose une demande, auraient dû conduire à un recadrage stratégique.

Petit rappel. Depuis la directive, sa transposition en droit Français, l’arrêt de la CJUE du 23 avril 2009 et celui de la Cour de cassation du 15 novembre 2010, le paysage juridique est le suivant :

  • Il y a d’abord les pratiques commerciales déloyales en toutes circonstances, au rang desquelles on trouve la fourniture de produits non demandés. Pour elles, pas d’interprétation possible. Lorsque le juge constate que le professionnel fournit un produit au consommateur dont il exige de sa part le paiement alors que ce dernier ne lui a rien commandé au préalable, il s’agit d’une pratique commerciale déloyale, plus particulièrement agressive, de vente forcée.
  • Il y a ensuite les pratiques commerciales déloyales au cas par cas en fonction des circonstances de la cause. La charge de la preuve négative incombe au professionnel qui doit démontrer qu’il n’a pas eu recours à de telles pratiques lorsqu’un consommateur les dénonce avec comme canevas les articles 5 à 9 de la directive. Ces pratiques sont celles qui ne figurent pas dans la liste noire des pratiques commerciales visées dans l’annexe I de la directive qui relèvent des pratiques commerciales déloyales en toutes circonstances évoquées ci-dessus et on y trouve notamment la pratique commerciale illicite de subordination de vente.

Vous l’aurez donc compris, dénoncer une pratique commerciale agressive de fourniture de produits non demandés est bien plus « aisé » à mettre en œuvre que la pratique commerciale illicite de subordination de vente de l’article L. 122-1 du Code de la consommation qui, elle, nécessite une analyse précise par le juge des circonstances de la vente.

1. Le fondement choisi par l’UFC : la subordination de vente.

Certes, le débat est ancien puisque l’assignation de l’UFC devant le TGI de Nanterre date du 13 décembre 2006. Elle demandait notamment, sur le fondement de l’article L. 122-1 du Code de la consommation, que la société HP soit enjointe de cesser, sous astreinte, de vendre sur son site dédié aux particuliers, des ordinateurs fournis d’un système d’exploitation Windows préchargé et de différents autres logiciels applicatifs, sans offrir à l’acquéreur la possibilité de renoncer à ce logiciel moyennant déduction de la fraction du prix correspondant au coût de la licence d’exploitation et d’indiquer le prix des logiciels d’exploitation et d’utilisation préinstallés vendus en ligne. Par arrêt du 30 octobre 2009 (ce qui démontre une fois de plus que ces procès, techniques, sont longs et difficiles), le TGI de Nanterre a notamment débouté l’association de ses demandes. L’UFC a interjeté appel de cette décision, ce qui a abouti à l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 5 mai 2011 cassé partiellement par la Cour suprême.

Dans son arrêt, la Cour de cassation rappelle d’abord la règle juridique sur ce fondement :

« Attendu que sont interdites les pratiques commerciales déloyales ; qu’une pratique commerciale est déloyale si elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu’elle atteint ou auquel elle s’adresse, ou du membre moyen du groupe particulier de consommateurs qu’elle vise. »

Il s’agit là d’une synthèse de l’article 5 de la directive repris (ultérieurement) dans le Code de la consommation. C’est donc à la lumière de cette règle que la Cour de cassation va rendre sa décision.

La Cour d’appel de Versailles, dans un arrêt fort bien motivé, avait jugé que la vente d’ordinateurs prééquipés d’un logiciel d’exploitation, sans possibilité offerte au consommateur d’acquérir le même ordinateur sans le logiciel d’exploitation, constituait une pratique commerciale déloyale et avait fait interdiction à la société HP de vendre sur son site Internet des ordinateurs avec logiciels d’exploitation préinstallés sans offrir à l’acquéreur la possibilité de renoncer à ces logiciels moyennant déduction de la fraction du prix correspondant au coût de leur licence d’utilisation.

Pour cela, elle avait retenu que :

« Considérant que sur le site qui lui est consacré, le consommateur n’est pas averti directement de la possibilité d’acquérir un ordinateur non muni d’un système Windows ; que cette possibilité offerte par la société HP, encore récente, n’existe en effet que sur le site pour les professionnels où il est offert la possibilité d’acheter un ordinateur avec un système d’exploitation libre (Linux ou Freedos) ;

Que le site grand public ne contient pas davantage de précision sur le prix des composants de l’ordinateur et, en particulier, du logiciel dont la valeur est variable, ni sur le contenu des licences utilisateur final ou utilisateur final Microsoft soumis à l’adhésion permettant à l’utilisateur de connaître avec exactitude les droits qui lui sont accordés ;

Considérant qu’il n’existe pas d’obstacle technique à l’absence de proposition sans préinstallation puisque la SAS HEWLETT PACKARD FRANCE le propose aux professionnels et qu’elle peut reprendre l’avertissement sur l’exigence d’une compétence minimale telle que prévue sur ce site et des problèmes de compatibilité ;

Qu’elle ne peut justifier l’absence de proposition d’ordinateurs sans préinstallation par le fait qu’il existe la possibilité pour le consommateur de s’adresser à des vendeurs extérieurs ;

Considérant que la SAS HEWLETT PACKARD FRANCE, qui oppose n’être que distributeur, se trouve toutefois en lien direct avec le constructeur lequel s’il n’a que des droits d’utilisation tirés de la licence qui lui a été concédée conserve un intérêt à adapter sa concession de licence à la demande en s’adressant à l’éditeur du logiciel d’exploitation ; qu’il n’est pas démontré que la désactivation, lors de la vente, est un réel obstacle technique ;

Que cette attitude est contraire aux exigences de la diligence professionnelle ;
(…)
Considérant que l’information sur la valeur des éléments composant l’offre de vente avec pré installation concerne des éléments substantiels à savoir le prix du logiciel dans la mesure où une licence OEM peut représenter entre 18 et 20 % du prix d’un ordinateur et une licence non OEM jusqu’à 27 % ;

Que l’absence d’information du consommateur sur ces composants réduit ses choix en ce qu’il ne peut comparer leur valeur avec d’autres propositions qu’il s’agisse du logiciel ou de l’ordinateur nu ; que surtout, il se trouve privé de la possibilité d’acquérir sans logiciel et ce alors que la demande des consommateurs ne cesse d’augmenter ;

Que dans ces conditions, le consommateur, sans information suffisante sur ces éléments importants dans la détermination de la valeur de l’ordinateur, peut se trouver ainsi amené à prendre une décision à propos de l’achat d’un ordinateur, qu’autrement il n’aurait pas prise ; que par le comportement induit par le manque d’information, la vente est « trompeuse » au regard de l’article 7 de la Directive et contraire à l’article L 121-1 du code de la consommation ; que le choix imposé est constitutif d’un préjudice pour le consommateur ; »

Cette motivation est conforme au droit positif.

La Cour d’appel a motivé sa décision en indiquant pourquoi l’attitude de la société HP était manifestement contraire à sa diligence professionnelle et a également estimé, après avoir décortiqué les pratiques commerciales trompeuses dont les critères d’appréciation sont posés par les articles 6 et 7 de la directive, que l’absence d’information sur les prix constituait notamment une omission trompeuse, constitutive d’une pratique commerciale déloyale.

Mais le débat était largement incomplet…

Partant, la Cour de cassation estime :

« Qu’en se déterminant ainsi, tout en constatant que la société soulignait, sans être démentie , que le consommateur pouvait en s’orientant sur le site dédié aux professionnels trouver des ordinateurs “nus”, mais que l’installation d’un système d’exploitation libre restait une démarche délicate dont elle ne pourrait pas garantir la réussite, la cour d’appel qui s’est fondée sur des motifs desquels il ne résulte pas que la vente litigieuse présentait le caractère d’une pratique commerciale déloyale, a violé le texte susvisé ; »

En d’autres termes, la Cour de cassation constate que l’UFC n’avait pas démenti que les consommateurs pouvaient commander une machine nue sur le site de HP dédié aux professionnels et relève que n’était pas non plus démentie l’allégation de la société HP selon laquelle « l’installation d’un système d’exploitation libre reste une démarche délicate dont elle ne pourrait pas garantir le fonctionnement ».

La Cour de cassation n’étant pas là pour juger le fond du droit mais pour sanctionner une mauvaise application des règles de droit par les juges au regard du débat évoqué devant la juridiction dont la décision est soumise à sa censure, elle ne pouvait alors pas faire autrement que de retoquer la Cour d’appel qui avait estimé, malgré le « trou » flagrant dans l’argumentation de l’UFC qui n’a pas discuté les deux points litigieux ci-dessus, que les circonstances de la cause révélaient l’existence d’une pratique commerciale déloyale.

Or, sur le fond, s’il était possible que la société HP puisse présenter une telle offre à ses clients professionnels, encore fallait-il savoir si ce site était accessible ou non aux particuliers et s’ils pouvaient y commander exactement la même machine que celle qu’ils auraient pu commander sur le site grand public. L’UFC n’a développé aucun argument en droit civil sur ce point.

Par ailleurs, l’UFC aurait dû se pencher sur le site dédié aux professionnels pour en tirer la conséquence qu’il s’agissait en réalité d’une vaste fumisterie, sans compter les entorses au droit de rétractation prévu par le Code de la consommation s’agissant des ventes à distance…

Par ailleurs, comble de l’ironie, l’UFC avait déjà pêché par légèreté sur la question de la complexité de l’installation d’un système d’exploitation libre dans l’affaire l’opposant à la société DARTY ayant abouti au jugement du TGI de Paris le 24 juin 2008, puis à l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 26 novembre 2009 et enfin à l’arrêt de la Cour de cassation du 6 novembre 2011. Dans cette affaire, la société DARTY avait produit en première instance un rapport de deux « experts » qu’elle avait mandaté, hors cadre judiciaire, pour savoir si l’installation d’un système libre était compliquée. Ce rapport n’avait déjà pas été contesté à l’époque par l’UFC, alors qu’il y avait tant à dire sur le plan informatique et qu’il n’était pas difficile de demander une expertise judiciaire pour contrer cette pièce qui n’était pas sérieuse.

Enfin, le débat était largement incomplet devant la Cour d’appel puisque l’UFC était passée à pieds joints sur la question des pratiques commerciales agressives, se contentant d’évoquer les pratiques commerciales trompeuses, ce qui limitait largement le débat.

2. Un fondement inefficace à titre principal, car aléatoire.

Surtout, il faut rappeler encore une fois que la question qui se pose et que je soumets moi-même systématiquement aux juridictions du fond que je saisis du problème, n’est pas informatique mais purement un problème de consommation.

En effet, il ne s’agit pas tant de savoir si un système d’exploitation libre est complexe à installer puisque quelques minutes suffisent à démontrer le contraire, ou si un fabricant doit fournir des ordinateurs nus aux consommateurs alors que n’importe quel consommateur ou professionnel utilise un système d’exploitation pour pouvoir utiliser son matériel de façon conviviale et en tirer toute la quintessence.

La seule vraie question que devait poser l’association UFC était de savoir si, pour un fallacieux motif de pseudo-facilité d’installation pour le consommateur, un professionnel a le droit d’extorquer au consommateur le prix de produits qu’il lui a fournis alors que ce dernier ne les a jamais commandés avant la vente.

En d’autres termes, la société HP pratiquait-elle la vente forcée ? La réponse est évidemment positive et les sites comme celui de HP ainsi que les procédures mises en place lors de l’achat ou même postérieurement lorsque le consommateur se trouve confronté au CLUF du système d’exploitation qui le force à éteindre sa machine, démontrent très largement le contraire.

Mais l’UFC n’a rien relevé de tel.

3. Triste conclusion.

Les erreurs de l’UFC vont certainement coûter très cher, puisque la Cour de cassation a eu la mauvaise idée de renvoyer l’affaire à la Cour d’appel de Paris, celle-là même qui avait donné raison à la société DARTY dans l’affaire l’opposant à l’UFC et qui avait abouti à un arrêt de cassation le 6 novembre 2011.

La Cour d’appel de Paris avait alors adopté une motivation éminemment critiquable comme je l’avais déjà détaillé dans un précédent article, allant même jusqu’à supposer ce que devait être l’intérêt du consommateur moyen, au mépris des évidences.

Autre conséquence, malgré quelques erreurs contenues dans l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles, sa motivation était bonne et minutieuse et venait avantageusement discréditer l’arrêt de la Cour de Paris du 26 novembre 2009 qui, fort heureusement, a été cassé depuis.

Enfin, ces erreurs vont encore obliger à se livrer à de très longs développements dans les conclusions présentées aux juges pour leur expliquer que la Cour de cassation n’a pas tout chamboulé, ce qui n’est pas franchement une bonne nouvelle pour le professionnel que je suis.

4. Références.

Arrêt n° 833 de la première chambre civile de la Cour de cassation du du 12 juillet 2012 (pourvoi 11-18807) : sur le site de la Cour de cassation ou sur Legifrance.

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Pratiques commerciales déloyales : pas de distinction entre constructeurs et revendeurs.

Dans deux nouvelles décisions récentes, la justice a encore condamné le fabricant SAMSUNG pour ses pratiques commerciales déloyales relatives à la fourniture de logiciels préchargés dans le matériel informatique ainsi que l’enseigne de grande surface AUCHAN pour ses pratiques commerciales trompeuses.
La jurisprudence ouverte par la Cour de cassation continue, logiquement, de s’imposer.
Regardons tout cela d’un peu plus près.

1. Madame Simone Z contre le géant SAMSUNG.

Le 10 mai 2012 SAMSUNG a une nouvelle fois été condamné par la juridiction de proximité de Caen. Cette nouvelle condamnation intervient à la suite des deux dernières, retentissantes, prononcées le même jour par la juridiction de proximité de Saint-Denis le 10 janvier 2012 sous forme de décision de principe. L’addition commence à avoir un goût amer pour le constructeur…

Les consommateurs qui mènent ces procédures de remboursement sont très souvent accusés d’être des « geek », terme qu’on prête aux mordus de l’informatique et de hi-tech. Madame Simone était-elle une « geek » pour vouloir le remboursement des logiciels qui lui étaient fournis ? En fait, absolument pas, vu son âge. C’est une simple consommatrice, attentive au monde qui l’entoure, et qui n’a pas apprécié que le constructeur lui extorque plus d’argent qu’elle n’avait à en donner, pour des logiciels qu’elle n’avait pas demandés.

1.1 La motivation prise par le juge.

Pour entrer en voie de condamnation contre le constructeur, le juge de proximité a d’abord rappelé, sans surprise, que le système d’exploitation et les logiciels applicatifs préchargés dans le matériel n’étaient que « des options auxquelles l’acheteur n’est pas tenu d’adhérer«  [1].

Ensuite, il a relevé que Madame Simone avait fait la démonstration que le fabricant ne lui avait laissé aucun choix :

  • lors de l’achat, puisque SAMSUNG ne propose ses ordinateurs à la vente qu’avec une multitude de logiciels fournis préchargés, de sorte que si Madame Simone souhaitait acheter ce même modèle chez SAMSUNG, elle devait obligatoirement l’acheter dans sa configuration d’origine, soit avec une multitude de logiciels fournis préchargés.
  • lors du démarrage de la machine, puisque le système d’exploitation Windows qui s’enclenche automatiquement (à partir d’un bios quasiment toujours configuré en premier démarrage sur le disque dur) ne propose pas d’autre option que d’accepter le contrat de licence du logiciel par une, voire deux cases à cocher, de sorte que si un consommateur moyen ne veut pas utiliser les logiciels fournis, il n’a pas d’autre choix que d’éteindre son ordinateur et de contacter le fabricant pour tenter d’obtenir un remboursement.
  • ou après l’achat, lorsque le constructeur tente d’imposer au consommateur qui lui adresse une demande de remboursement des logiciels, une procédure lourde et contraignante de renvoi du matériel à ses frais et risques abusivement qualifiée de « procédure de remboursement« , laquelle a été jugée abusive et réputée non écrite dans son ensemble à de nombreuses reprises.

Le juge a retenu que :

« Madame Y… apporte la preuve que la combinaison de la marque SAMSUNG et le modèle N130 constituait l’élément déterminant de son achat, à l’exclusion de tout autre critère.

SAMSUNG a ainsi mis Madame Simone Y… face à la contrainte d’acquérir le matériel dans sa configuration logicielle d’origine et ainsi de payer le prix de logiciels qu’elle ne souhaitait pas acquérir.

Cette absence totale de choix combinée à une procédure particulièrement lourde de désinstallation des logiciels et de remboursement y afférent constitue une pratique commerciale déloyale en toutes circonstances au sens de la Directive communautaire 2005/29/CE puisqu’elle met en œuvre tant une influence injustifiée qu’une contrainte à l’égard du consommateur. (…)

C’est à juste raison que Madame Simone Y… a pu réclamer le remboursement de ce qu’elle a indûment payé sur le fondement des dispositions de l’article L. 122-3 du Code de la consommation. »

S’agissant de la contrainte exercée par le constructeur sur le consommateur après la vente, et le caractère déloyal de la procédure de remboursement, le juge ajoute :

« Cette absence totale de choix combinée à une procédure particulièrement lourde de désinstallation de logiciels et de remboursement y afférent constitue une pratique commerciale déloyale en toutes circonstances au sens de la Directive communautaire 2005/29/CE puisqu’elle met en œuvre tant une influence injustifiée qu’une contrainte à l’égard du consommateur.

Le fait de soumettre le consommateur, après l’achat du matériel, et à sa charge exclusive les frais qui découlent de la procédure de remboursement conduit à violer le droit et la liberté du consommateur d’adhérer à tel ou tel système d’exploitation et de choisir les licences et les logiciels qu’il souhaite installer. »

C’est donc encore une condamnation contre un constructeur pour fourniture de produits non demandés, même si la motivation n’est pas aussi limpide que celle retenue par le juge de proximité de Saint-Denis.

Rappelons que le seul constat par le juge que le professionnel a exigé du consommateur le paiement immédiat ou différé de logiciels qu’il lui a fournis sans que ce dernier ne les ait jamais demandés, justifie de le condamner à rembourser le prix perçu, soit ici celui des logiciels. La directive 2005/29/CE et le Code de la consommation rappellent clairement que cette pratique commerciale est strictement interdite, de sorte que la sanction devrait être maintenant de plus en plus automatique contre les professionnels qui la pratiquent. Je rappelle également que ces pratiques commerciales déloyales sont une infraction pénale et sont punies d’une peine de 150.000 € d’amende au plus et de deux ans de prison.

1.2. Un manquement à l’obligation d’information sur les prix.

Tirant les conséquences du fait que le matériel et les logiciels constituent deux éléments distincts, la jurisprudence et la doctrine s’accordent sur le fait que la vente d’un ordinateur fournis de logiciels préchargés constitue une vente par lots de produits distincts. Dans ce cas, la réglementation française impose au professionnel d’informer le consommateur des caractéristiques essentielles des produits (le matériel) et des services (les logiciels), du prix du lot mais également du prix de chacun des éléments constituant ce lot.

Là encore, SAMSUNG s’est fait épingler, puisqu’il ne fournit jamais la moindre information aux consommateurs, tant sur le caractère facultatif des logiciels, que sur le fait qu’ils sont payants et que le consommateur les paye effectivement, ou sur le prix du matériel seul et des logiciels seuls. Le prix global indiqué par le fabricant ou le revendeur ne suffit pas à satisfaire aux obligations imposées par la réglementation.

C’est la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 6 octobre 2011, a rappelé que le prix des logiciels était un élément substantiel dont le consommateur devait être informé, reprenant en cela les critères posés par la directive 2005/29/CE.

Le juge retient que :

« Attendu que la société SAMSUNG ne donne aucune information s’agissant du prix des logiciels vendus à Madame Simone Z… sans que cette dernière n’en ait sollicité l’acquisition lors de l’achat objet de la présente instance. En effet, la société SAMSUNG doit à tout le moins donner cette information à l’occasion de la mise en œuvre de la procédure de remboursement dont elle a conservé la maîtrise. La société SAMSUNG ne saurait profiter de son silence s’agissant de la décomposition du remboursement proposé unilatéralement et a posteriori sans en avoir tenu le consommateur informé lors de la réalisation de l’achat. »

Le juge de proximité condamne donc la société SAMSUNG à payer à Madame Simone la somme de 250 € au titre des logiciels dont il a dissimulé le prix.

Il y ajoute une somme de 250 € de dommages et intérêts pour le préjudice subi par le consommateur, ce qui est un montant scandaleusement dérisoire lorsqu’on sait que la vente forcée est une infraction pénale sanctionnée notamment par une amende de 150.000 € au plus ! Le préjudice subi par les consommateurs face à ces pratiques commerciales est très important puisqu’ils n’ont pas d’autre choix que de faire des procès pour faire respecter leurs droits les plus élémentaires et légitimes, se substituant en cela à l’incurie de la DGCCRF ou du ministre de l’économie qui peut se saisir de ces questions.

Il condamne enfin SAMSUNG à payer à Madame Simone une somme de 1.500 € au titre des frais de procédure engagés, ce qui est là encore une somme insuffisante, ainsi qu’à payer les dépens de la procédure [2].

2. Monsieur Z… contre la société AUCHAN.

Cette décision du 18 avril 2012 est plus intéressante puisqu’elle concerne non plus un fabricant, mais un distributeur, ce qui est plus rare. Et la décision, satisfaisante, est intéressante à plusieurs titres.

Les précédents jurisprudentiels sont peu nombreux, et ont été intentés pour la plupart par l’UFC Que Choisir contre différentes enseignes, avec plus ou moins de succès, alors que bénéficier du statut d’association de consommateurs est de toute évidence bien plus avantageux pour obtenir de bonnes condamnations.

Monsieur Z avait classiquement fait l’achat en avril 2010 d’un ordinateur, un Samsung (!), pour 295 €. Il avait fait des recherches pour savoir si le modèle qu’il avait choisi était proposé sans logiciels préchargés. Bien évidemment, comme dans le cas précédent, la réponse s’est rapidement avérée négative.

Monsieur Z reprochait à titre principal à la société AUCHAN sa pratique commerciale déloyale en toutes circonstances de fourniture de produits non demandés (dont le professionnel exige le paiement), et à titre subsidiaire (demande présentée au cas où le juge rejetterait la demande principale) sa pratique commerciale déloyale de vente subordonnée au regard des circonstances entourant la vente.

2.1. Pas de vente forcée selon le juge ???

Contre toute attente, et de façon contraire aux dernières jurisprudences en la matière, le juge a écarté le grief de vente forcée en deux temps :

« – Sur la vente subordonnée
Après l’achat de cet ordinateur (…) Monsieur Z a obtenu de la société AUCHAN (…) l’information selon laquelle il était possible, sous certaines conditions, de procéder à la « désinstallation » des logiciels pré-installés (…), qu’il en résulte que ces logiciels et l’ordinateur sont des éléments distincts et ne constituent pas un élément indivisible, qu’en conséquence la vente de l’ordinateur SAMSUNG (…) et des logiciels pré-installés constitue une vente liée ou subordonnée (…) »

Il a donc d’abord retenu la qualification de vente subordonnée au seul motif que les logiciels, qui ne sont que des options non obligatoires, sont fournis. Ce n’est pas inexact à proprement parler, mais cette argumentation n’avait avait été développée qu’à titre subsidiaire par Monsieur Z.

Or, la vente n’est pas exclusivement subordonnée du seul fait que les logiciels sont fournis préchargés, puisque la qualification de fourniture de produits non demandés (ou vente forcée) est également applicable à cette hypothèse.

C’est donc la suite de la décision, le second temps, qui va nous renseigner sur la justification qui a poussé le juge à exclure la vente forcée :

« Attendu que Monsieur Z prétend que l’exigence d’un paiement immédiat des logiciels fournis avec l’ordinateur sans qu’il ne demande la fourniture de ces logiciels constitue une vente déloyale en soi au sens de l’article L. 122-3 du Code de la consommation, que toutefois ce texte applicable aux ventes sans commande préalable n’est pas applicable en l’espèce puisque Monsieur Z a passé une commande préalable à son achat ; que cette commande porte le numéro (…) selon la facture délivrée par la société AUCHAN »

Il y a là une erreur et une confusion importante de la part du juge qui ne pouvait pas à la fois retenir que la matériel et les logiciels étaient deux éléments distincts (ce qui est exact) sans en tirer les conséquences juridiques qui en découlaient.
En effet, nous sommes en présence d’un lot de deux produits distincts, le matériel d’un côté et les logiciels de l’autre, chacun étant régis par des contrats bien différents : un contrat de vente pour le matériel et un contrat de fourniture de prestations de services pour les seconds. Par conséquent, le juge ne pouvait pas retenir que Monsieur Z avait passé une commande préalable de logiciels auprès de AUCHAN en se fondant sur le contrat de vente du matériel, d’autant plus que le contrat de licence des logiciels (SE ou applicatifs) n’est soumis à l’accord éventuel du consommateur que postérieurement à la vente. En outre, le juge ne pouvait pas déduire de l’acte d’achat du matériel l’existence d’une commande préalable de logiciels auprès de AUCHAN, puisque les logiciels sont fournis préchargés par le fabricant, ici SAMSUNG, et non pas par le revendeur.

Je ne peux donc pas partager la motivation du juge qui l’a conduit à écarter le grief de vente forcée.

Néanmoins, le juge retient tout de même l’existence d’une pratique commerciale déloyale, en l’espèce une pratique commerciale illicite de subordination de vente.

Choisissant cette qualification juridique, le juge a donc examiné les circonstances de la vente pour savoir s’il existait une pratique commerciale trompeuse et/ou agressive, comme l’exigent la directive et la Cour de cassation depuis l’arrêt Pétrus lorsqu’il s’agit d’apprécier les pratiques commerciales non listées à l’annexe I de la directive.

Pour écarter le grief de pratique commerciale agressive, le juge s’est basé sur le fait qu’il avait estimé que la vente des logiciels n’avait pas été forcée au motif qu’il y avait eu commande préalable des logiciels de la part de Monsieur Z. Cela est évidemment contestable, puisque nous savons pertinemment que le consommateur n’a pas d’autre choix que de payer le prix des logiciels fournis préchargés s’il veut fait l’acquisition du modèle convoité.

Il a donc examiné si la société AUCHAN s’était livrée à une pratique commerciale trompeuse.

Rappelons d’abord que les critères d’appréciation posés par la directive obligent le juge qui choisit la qualification d’une pratique commerciale déloyale au cas par cas (soit ici la subordination de vente, par opposition à la pratique commerciale déloyale « en toutes circonstances » de vente forcée), à vérifier au regard des circonstances de la vente s’il existe une pratique commerciale agressive (articles 8 et 9 de la directive) et à défaut, une pratique commerciale trompeuse (article 6 et 7 de la directive). Mais si les leviers pour dénoncer les pratiques commerciales déloyales des professionnels en cette matière sont importants, il ne faut cependant pas négliger de les soulever.

Le juge de proximité a retenu sur cette question :

« Attendu que selon (…) la directive (…), constitue une pratique commerciale trompeuse l’information qui induit ou qui est susceptible d’induire en erreur le consommateur moyen en ce qui concerne le prix ou le mode de calcul du prix de nature à l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement.
(…)
Attendu qu’en l’espèce, la société AUCHAN n’a pas affiché le prix de l’ordinateur et de façon distinctive le prix des logiciels pré-installés, qu’elle n’a fourni à Monsieur Z, avant l’achat du 23 avril 2010, aucune information sur le prix de chacun de ces éléments alors que l’ordinateur et les logiciels pré-installés constituent des éléments distincts, qu’une telle pratique commerciale est trompeuse au sens de (…) la Directive (…) puisque l’absence d’information sur les prix a induit en erreur Monsieur Z et l’a amené à prendre une décision, à savoir l’achat de l’ensemble qu’il n’aurait pas prise autrement puisqu’il ne souhaitait acheter que l’ordinateur sans les logiciels pré-installés, que cette pratique trompeuse est interdite en application de l’article L. 122-1 du code de la consommation. »

Avec un peu d’attention, vous aurez relevé l’existence d’une contradiction entre la motivation ci-dessus et celle précédemment adoptée par le juge s’agissant de la fourniture de produits non demandés. En effet, alors que le juge avait rejeté la qualification de fourniture de produits non demandés au motif que, selon lui, Monsieur Z avait volontairement passé une commande préalable de logiciels, il retient maintenant que Monsieur Z avait bien souhaité acheter un ordinateur sans logiciels préchargés…

En définitive, on voit encore plus clairement que la motivation prise par le juge sur la vente forcée était contestable. Mais qu’importe, puisqu’il estime qu’en ne donnant aucune information sur les prix et qu’en ne procédant à aucune ventilation entre le prix du matériel et le prix des logiciels, la société AUCHAN s’est livrée à une pratique commerciale trompeuse, puisque Monsieur Z a été contraint de prendre une décision d’achat qu’il n’aurait peut-être pas prise s’il avait eu cette information.

Et qui d’autre mieux que AUCHAN peut connaître le prix des logiciels, à part le fabricant lui-même bien évidemment ? Seule la société AUCHAN pouvait, par sa puissance d’achat, exiger du fabricant qu’il lui communique le prix des logiciels fournis préchargés, en vertu du principe de transparence posé par le Code de commerce, lequel est d’ailleurs repris du Code de la consommation.

2.2. La notion de consommateur moyen discutée

Pour tenter de s’extraire du cadre de l’application de la directive 2005/29/CE, les fabricants et distributeurs cherchent parfois à soutenir que le consommateur qui essaye d’obtenir le remboursement des logiciels, ne serait pas un consommateur moyen à qui s’adresse cette directive.

AUCHAN n’avait pas manqué de soulever cet argument. La société avait tenté de soutenir que Monsieur Z était un consommateur « particulièrement avisé » au seul prétexte qu’il voulait un ordinateur fourni sans logiciels préchargés. C’est l’argument de l’ignorance, car prétendre qu’un consommateur serait averti au seul motif que ses demandes sont inhabituelles, est un raisonnement assez singulier. Et c’est exactement ce qu’a retenu le juge de proximité :

« Attendu que ce texte [3] est applicable au consommateur moyen, que la société AUCHAN ne démontre pas que Monsieur Z… n’est pas un consommateur moyen ; qu’en tout cas, la qualité de consommateur averti alléguée par la défenderesse ne peut résulter de la simple volonté exprimée par Monsieur Z… d’acheter un ordinateur sans logiciels d’application, qu’une telle demande n’implique pas en soi des connaissances spécifiques en matière d’informatique. »

En effet, la qualité de consommateur averti dépend notamment de ce qu’il exerce une activité professionnelle similaire à celle du professionnel auquel on le compare. Tel n’était évidemment pas le cas ici. Le juge n’a pas non plus estimé convaincant l’argument de AUCHAN selon lequel Monsieur Z s’était adressé volontairement à elle alors qu’elle n’était qu’une enseigne non spécialisée, puisqu’au contraire, en s’adressant à AUCHAN, Monsieur Z a fait un achat classique, de consommateur moyen, dans son enseigne de proximité.

Il est en tout cas intéressant de relever que le juge a estimé que le fait, pour un consommateur, de demander un ordinateur sans logiciels n’impliquait pas de disposer de connaissances informatiques spécifiques. Et il a raison. Installer un système d’exploitation, surtout à partir d’un disque dur vide, ne relève pas d’une grande complexité informatique, surtout avec une distribution GNU/Linux grand public (p. exemple : OpenSuse, Ubuntu, Mageia, etc.). Nous pouvons donc, avec cette nouvelle décision qui s’inscrit dans la droite lignes des précédentes, définitivement enterrer la jurisprudence UFC ¢ Darty du 24 juin 2008, jugement dans lequel le juge avait retenu, à l’époque, qu’il s’agissait d’une opération complexe. Sous Windows, l’opération qui était encore complexe avec Windows XP, a largement été simplifiée avec Windows 7.

3. Conclusion

Ces deux décisions sont deux jurisprudences de plus en faveur des consommateurs, qui demandent de plus en plus à ne plus devoir être contraints de payer les produits ou les services qu’ils n’ont pas demandés s’agissant en tout cas de l’informatique grand public, ce que confirmait déjà l’étude du CREDOC en 2007. Le fait que les décisions soient parfois en demi-teinte n’est pas surprenant et démontre qu’il ne faut pas tarir d’explications sur le sujet face aux juges qui ne sont pas habitués à ce type de contentieux, surtout devant les juridictions d’instance.

Enfin, l’enseignement majeur à tirer de ces derniers jugement, est que la jurisprudence ne fait, logiquement, strictement aucune différence entre les professionnels : qu’ils soient fabricants de matériel informatique, assembleurs, revendeurs spécialisés ou non, ils sont tous tenus aux mêmes règles s’agissant des pratiques commerciales déloyales et notamment la fourniture de logiciels non demandés qui demeure totalement interdite, ou de l’information nécessaire sur les prix des produits composant le lot matériel-logiciels.

Tout cela est bien évidemment encourageant pour la suite.


 4. Post-scriptum et notes.

Pour une question de confidentialité, ces décisions ne seront pas publiées à la demande des consommateurs qui souhaitent conserver leur anonymat.

[1Selon la formule du juge de proximité d’Aix-en-Provence dans un jugement du 17 février 2011 qui avait abouti à la condamnation du fabricant ACER

[2article 695 du Code de procédure civile

[3article L. 122-1 du Code de la consommation

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Double condamnation de SAMSUNG : la fourniture de logiciels non demandés est interdite

claviertexteLes juges réitèrent magistralement leur jurisprudence dans deux décisions du même jour contre le constructeur SAMSUNG ELECTRONICS FRANCE.

Dans deux jugements rendus le 10 janvier 2012, le juge de proximité de Saint-Denis a sanctionné dans les mêmes termes le constructeur SAMSUNG ELECTRONICS FRANCE qui avait été assigné par deux consommateurs pour vente forcée de logiciels préchargés dans le matériel informatique qu’ils avaient acheté. La condamnation est historique, tant sur la qualité de la motivation que sur le principe de la condamnation puisqu’enfin, conformément aux demandes présentées par ces deux consommateurs, le terrain juridique est celui de la vente forcée et non plus celui de la vente liée. Et la différence est de taille. Suivez le guide pour les explications.

1. Quelques mots d’introduction.

Tout d’abord, je tiens à saluer la qualité du travail fourni par le Juge de proximité de Saint-Denis. Dans ces litiges, longs et complexes puisqu’ils mêlent à la fois droit Européen et droit français de la consommation, rares sont les belles décisions. Mais qu’est-ce qu’une belle décision, me direz-vous ?

Pour un client, une bonne décision est celle qui lui fait gagner son procès, qui lui permet d’avoir la condamnation de son adversaire à la hauteur de ses espérances, qu’il s’agisse de demandes financières ou non.

Pour un juriste, le point de vue n’est pas toujours le même, car une bonne décision est aussi celle qui est suffisamment bien motivée pour pouvoir être utilisée dans d’autres litiges de même nature, afin de faire progresser le débat et faire évoluer la jurisprudence.

Les décisions évoquées ici sont donc des bonnes décisions, à double titre : pour les clients et pour le débat juridique car la question fait un bond de géant dans la solution jurisprudentielle.

Mais nous ne sommes pas sous l’arbre à palabres, alors entrons dans le vif du sujet !

2. Le matériel et les logiciels sont deux produits distincts.

La solution est aujourd’hui admise en jurisprudence et n’est plus sérieusement contestable.

Le matériel est un bien corporel qui fait l’objet d’un contrat de vente entre le vendeur et l’acquéreur et qui confère à ce dernier un droit de propriété absolue sur la chose vendue dès le paiement du prix. À l’inverse, la fourniture d’un logiciel est une prestation de services qui ne confère qu’un droit d’usage sur le logiciel à compter et sous réserve de l’acceptation de la licence d’utilisation.

Il découle de ce constat une série de conséquences, notamment le fait qu’il s’agit d’unevente par lots qui impose aux professionnels de respecter des obligations précises sur les caractéristiques essentielles des produits et des services fournis aux consommateurs, ainsi que leurs prix : par exemple, les informer que les logiciels fournis ne sont que des options non obligatoires, qu’il y a un contrat de licence à accepter, le prix des logiciels indépendamment du prix du matériel, etc. et la liste est longue !

Pour tenter de s’opposer à cette évidence juridique et physique, certains constructeurs ont inventé le concept de « l’unité fonctionnelle » : selon eux, le matériel et les logiciels seraient tellement liés l’un à l’autre qu’ils formeraient un « produit unique » ou un « produit sophistiqué ». Mais il ne s’agit là que d’une argutie sans portée. Non seulement parce que depuis longtemps la jurisprudence fait la distinction entre ces deux produits [1], mais également parce qu’il est aisément démontré que ce concept n’est là que pour tenter de dissimuler le défaut manifeste d’information auquel se livrent les fabricants sur le prix des logiciels ou les caractéristiques essentielles des produits. En outre, cet argument ne pourrait valoir que pour le système d’exploitation qui a pour but de rendre la machine conviviale pour permettre à l’utilisateur d’en tirer toute sa puissance, mais certainement pas pour les logiciels applicatifs qui n’ont aucune utilité « fonctionnelle » et qui sont pourtant fournis préchargés et qui sont payés par le consommateur…

Par ailleurs, les juges sont de mieux en mieux informés sur le fait que le système d’exploitation Windows de Microsoft n’est pas le seul susceptible de faire fonctionner un ordinateur correctement et que si les consommateurs utilisent majoritairement Windows, c’est uniquement parce qu’il est livré préchargé dans les machines. D’ailleurs, on le voit bien dans le marché des smartphones et des tablettes où Windows représente que 0.56 % du marché environ, là où iOS et Androïd ont 80 % du marché environ [2].

Finalement, ce sont mes adversaires dans les prétoires qui sont les plus surprenants : ils m’interrogent souvent après les audiences en me demandant s’il existe vraiment autre chose que Windows, car ces procès les intriguent sur le fond ! Un peu comme si tout cela n’était qu’une fantaisie de la part des consommateurs, ou même de ma part ! Mais cinq minutes suffisent pour leur faire comprendre qu’ils sont déjà entourés d’appareils qui ne fonctionnent pas sous Windows (box ADSL, télévision [3], smartphones, etc.) et qu’il existe pléthore de systèmes d’exploitation parfaitement fonctionnels pour les ordinateurs.

Mais la reconnaissance de ce problème de consommation (de choix de consommation dirais-je) s’est heurté à des résistances farouches, souvent par ignorance :
Ainsi, le professeur Jean-Philippe Feldman écrivait encore en juin 2009 dans une revue juridique connue que : « l’installation d’un système d’exploitation n’est pas la chose la plus simple qui soit. D’ailleurs, les partisans du logiciel libre organisent des « install parties », manière de dire qu’il faut des conseils d’experts pour installer lesdits logiciels. On a connu plus commode pour le consommateur… » [4].

D’autres commentateurs comme le Professeur Philippe Stoeffel Munck ont également tenté de porter cette approche « fonctionnelle » pour les constructeurs, au mépris d’une évidence physique, juridique, jurisprudentielle pourtant ancienne et des directives communautaires transposées [5] (car il y a bien, dans tous les cas, une fourniture de produits non demandés, prohibée, et l’approche fonctionnelle n’y change rien puisque le texte ne prévoit pas d’exceptions). Tout cela n’avait évidemment rien de crédible une seule seconde, et il suffit de télécharger gratuitement ou d’aller trouver chez son marchand de journaux pour quelques euros un CD ou un DVD d’un système d’exploitation Linux et de le mettre dans le lecteur d’une machine avec un disque dur vierge pour démontrer le contraire en moins de 10 minutes ! Du reste, pour ma part, je n’ai jamais vu ces commentateurs se rendre à l’une de ces journées de découverte du logiciel libre (i.e. « install party » pour les habitués) qui réunissent plusieurs milliers de personnes parfois autour de conférenciers et de passionnés. Diable, il y a même un salon annuel qui les réunit avec les entreprises du libre au CNIT de la Défense chaque année !

3. Sur le caractère déloyal « en toutes circonstances » de la pratique commerciale de fourniture de produits non demandés.

La motivation se passe presque de commentaires, tant elle est limpide :

« Attendu que si un ordinateur requiert l’installation d’un système d’exploitation pour l’accomplissement de la tâche que son propriétaire souhaite lui assigner, ce système ne saurait être nécessairement celui qui est fourni par la société Microsoft, des logiciels alternatifs pouvant être installés par les propriétaires ; Que si, comme le soutient la société SAMSUNG, dans l’esprit de la majorité des consommateurs, un ordinateur est nécessairement vendu avec un système d’exploitation en l’espèce fourni par la société Microsoft, c’est en raison des pratiques des assembleurs  ; Que ces agissements sont constitutifs de pratiques commerciales agressives ;

Qu’ainsi, il convient de déclarer déloyale en toutes circonstances à raison de son caractère agressif, la pratique consistant pour la société SAMSUNG, à revendre un système d’exploitation acquis par ses soins sans que Monsieur MARTY le lui ait demandé, et d’exiger le renvoi de l’ordinateur pour la désinstallation et le remboursement dudit système d’exploitation.  »

Est visée ici la pratique commerciale du professionnel de « fourniture de produits non demandés », soit des logiciels fournis préchargés dont le paiement est exigé au consommateur alors qu’il ne les a pas demandés (autrement dit, la « vente forcée »).

Depuis longtemps, cette pratique est strictement prohibée par le paragraphe 29 de l’annexe I de la directive 2005/29/CE mais également par le Code de la consommation. L’annexe I dresse la liste noire des pratiques commerciales déloyales « en toutes circonstances », c’est à dire celles qui n’ont pas besoin de faire l’objet d’une analyse « au cas par cas » par le juge. [6] À l’occasion de la transposition de la directive, cette prohibition de principe a été intégrée à l’article L. 122-11-1, 6° du Code de la consommation. Puis, dans une loi dite de « simplification et d’amélioration de la qualité du droit » du 17 mai 2011, le législateur a pris le soin de mieux intégrer cette pratique dans le Code de la consommation en complétant l’article L. 122-3 du Code de la consommation (le 6° de l’article L. 122-11-1 a été abrogé).

Ainsi, lorsque le juge constate qu’une telle pratique a été mise en œuvre par un professionnel, il doit simplement rappeler qu’elle est prohibée en toutes circonstances sans se livrer à un analyse du comportement du professionnel et des circonstances de l’espèce. C’est là la différence majeure avec la pratique commerciale illicite de subordination de vente de l’article L. 122-1 qui, dans la mesure où elle ne fait pas partie de l’annexe I de la directive, doit faire l’objet d’une analyse au cas par cas par le juge pour être déclarée déloyale et donc interdite.

Avec la double motivation du juge de proximité, on touche là au problème de consommation que posent les consommateurs : si dans leur esprit, un ordinateur n’est aujourd’hui vendu qu’avec Windows préchargé, c’est seulement et uniquement à cause de la pratique des constructeurs et du défaut manifeste d’information auquel ils se livrent à leur égard, notamment sur le prix des logiciels et le fait qu’ils les payent. Autrement dit, si les constructeurs informaient mieux le consommateur, ce dernier ne serait pas « pieds et poings liés à son logiciel »…

C’est donc à juste titre que le juge de proximité a constaté que la société SAMSUNG avait acheté des licences pour des logiciels qu’elle fournit aux consommateurs et les revend à ces derniers sans commande préalable expresse de leur part avant l’achat. Sans avoir besoin de se livrer à la moindre analyse au cas par cas, le juge constate donc qu’il y a une pratique commerciale déloyale en toutes circonstances de fourniture de logiciels non demandés. Logique, imparable.

Alors, les constructeurs feignent de s’insurger et tentent de brandir l’argument selon lequel il serait en quelque sorte dans l’intérêt du consommateur de leur fournir du matériel avec des logiciels pour leur permettre d’utiliser immédiatement leur machine. Ils soutiennent, pour les besoins de leur raisonnement, que le matériel serait « inutilisable » (sic.) sans logiciels.

Mais ces arguments s’évanouissent rapidement devant quelques évidences :

  • D’abord, comme je l’ai dit, s’il fallait admettre ce raisonnement, il ne pourrait s’appliquer qu’au système d’exploitation. Mais les constructeurs font payer une foultitude d’autres logiciels applicatifs qui ne sont pas toujours gratuits et dont il n’est pas démontré, pour ceux qui sont réellement gratuits, que leur intégration dans la machine en usine ne serait pas facturée d’une manière ou d’une autre aux consommateurs.
  • Ensuite, parce que la finalité des consommateurs qui font ces procès pro bono publico n’est pas d’avoir du matériel « nu », puisqu’ils utilisent logiquement un système d’exploitation pour rendre leur machine conviviale ! Ils veulent simplement avoir le choix de leurs logiciels et le choix de ne pas payer ceux dont ils ne veulent pas, surtout lorsqu’il est démontré, pièces à l’appui au cours du procès, que le prix du seul système d’exploitation peut représenter près de 30 % du prix de la machine (sans compter les autres logiciels applicatifs !). Ainsi, les juges commencent à comprendre que le problème n’est pas informatique comme le font croire les constructeurs depuis des années et comme se complaisent à l’écrire certains commentateurs, mais seulement un problème de consommation !Au demeurant, il est démontré qu’un matériel fonctionne (stricto sensu) sans système d’exploitation : il s’allume, on peut consulter et configurer les périphériques matériels qui sont dedans, le tout dans sa langue maternelle bien souvent. Simplement, il attend qu’on lui donne un système d’exploitation, quel qu’il soit, pour devenir convivial pour l’utilisateur qui pourra tirer la pleine puissance du matériel.
  • Au surplus, pour un consommateur moyen normalement avisé et attentif et qui ne s’engage pas bêtement les yeux fermés quand on lui demande son consentement, il se rend compte au contraire que les logiciels préchargés rendent en réalité sa machine inutilisable !En effet, au premier démarrage de sa machine fournie avec un système Windows préchargé par le fabricant, le consommateur s’aperçoit que s’il veut utiliser immédiatement et simplement sa machine, il est contraint d’accepter le contrat de licence de Windows et donc accepter l’installation sur le disque dur d’un logiciel qu’il n’a pas demandé (et dont le fabricant a déjà perçu le prix…) ! Car s’il ne le fait pas, il n’a pas d’autre solution que d’éteindre son ordinateur, de contacter le fabricant pour demander le remboursement du prix des logiciels (quand le constructeur offre cette possibilité…) et de subir ensuite des nouvelles conditions posées par le fabricant qui va conditionner, dans le meilleur des cas, ce remboursement au renvoi du matériel dans ses ateliers aux frais et risques de son propriétaire !Il y a évidemment plus simple et moins contraignant pour le consommateur qui peut décider d’installer le système d’exploitation de son choix, souvent obtenu gratuitement sur internet ou pour quelques euros en librairie, qui va effacer le système d’exploitation Windows préchargé en formatant le disque dur (la procédure existe depuis de nombreuses années, elle est automatique et sans difficultés et prévue dans les systèmes d’exploitation Libres par exemple, cf. image ci-dessous de Mandriva 2008)… mais en prenant cette initiative de son propre chef, il se voit systématiquement refuser tout remboursement par le constructeur !

effacerwmandriva

Par conséquent, pour un consommateur moyen qui ne veut pas dépenser inutilement d’argent et qui fait attention aux termes des contrats qu’on lui demande d’accepter, un ordinateur dans lequel on lui fournit des logiciels qu’il n’a pas demandés et qu’il a dû payer par le biais d’une pratique commerciale déloyale qu’on lui impose, est tout sauf un avantage et cela ne va évidemment dans son intérêt !

En d’autres termes, pour les constructeurs, si vous êtes un consommateur mouton qui ne dit rien et qui paye sans se poser de question, vous êtes un bon consommateur et si vous faites un peu attention, vous êtes un mauvais consommateur qui pinaille ! Et je vous passe les arguments fallacieux qui sont réellement soutenus à la barre du tribunal selon lesquels ces consommateurs (pourtant normaux) utiliseraient le tribunal comme « une tribune contre les « grandes entreprises qui exploitent l’ignorance des consommateurs », à mauvais escient. » (sic.)…

Ce sont ces pratiques commerciales de fourniture de produits non demandés qui ont été clairement sanctionnées ici, le juge ayant parfaitement appliqué dans sa motivation les dispositions limpides de la directive et du Code de la consommation, qui précisent que lorsque le juge constate qu’un professionnel a fourni aux consommateurs des produits qu’il n’a pas demandés en lui faisant par ailleurs payer, cette pratique est considérée comme « déloyale en toutes circonstances », et donc formellement interdite.

Le juge s’est d’ailleurs payé, logiquement, le luxe de rappeler qu’il n’y avait pas besoin de déclarer cette pratique commerciale « interdite » comme je l’avais demandé par précaution, cette interdiction étant la conséquence naturelle d’une pratique considérée par la directive de 2005 comme étant « déloyale en toutes circonstances ». Chapeau bas, Monsieur le Juge, mais comprenez que deux précautions valent mieux qu’une, compte tenu du fait que des décisions aussi bien motivées sont rares. Je le retiens toutefois pour les prochains dossiers qui m’amèneront à vous revoir bientôt.

4. Pas de remboursement des logiciels applicatifs ?

Sur ce point précis, le juge de proximité a doublement débouté les demandeurs, en retenant :

Qu’il ressort des pièces du dossier qu’à l’exception du système d’exploitation, les autres logiciels installés sur l’ordinateur sont des versions pour lesquelles le client dispose de la possibilité d’accepter ou de refuser un contrat de licence ; Qu’il conserve la possibilité de désinstaller l’intégralité ceux-ci s’il ne souhaite pas les utiliser.

Il s’agit là d’une erreur d’appréciation de la part du juge, pour plusieurs raisons :

  • d’une part, parce que le consommateur n’a pas la possibilité d’accepter ou non le contrat de licence des logiciels applicatifs pour une raison informatique simple et imparable : si l’utilisateur n’accepte pas le contrat de licence du système d’exploitation, celui-ci ne s’installera pas sur le disque dur de la machine, de sorte qu’il n’aura aucun accès aux logiciels applicatifs qui sont installés dans le système d’exploitation lui-même, puisqu’il s’agit de leur hôte informatique indispensable.
  • d’autre part, comme le rappelle Monsieur Ghislain Poissonnier [7], magistrat spécialisé en droit de la consommation, parce que :

    « L’accord non vicié du consommateur (au sens des art. 1108 et suivants du Code civil) à la vente de produits ou de services liés et l’existence au contrat de clauses contractuelles défavorables au consommateur n’interdisent ni au consommateur de se prévaloir de la règle de la prohibition de la vente liée, étant observé que cette prohibition est d’ordre public (art. 6 du Code civil), ni au juge de relever d’office une telle règle (art. L. 141-4 du Code de la consommation). »

    En d’autres termes, même si le consommateur acceptait le contrat de licence (de l’OS ou des logiciels applicatifs), rien ne lui interdirait ensuite de demander l’annulation de ce contrat puisque son consentement a été extorqué au moyen d’une pratique commerciale déloyale en toutes circonstances de fourniture de produits non demandés (et aussi de vente subordonnée). Admettre le contraire reviendrait à admettre des exceptions à la loi, qu’elle ne prévoit pas !

  • Enfin parce que, sur le même mécanisme, même si le consommateur efface tous les logiciels de son ordinateur (OS et donc par voie de conséquence, les logiciels applicatifs), il demeure que le constructeur les lui a fait payer ! L’opération d’effacement d’un logiciel (ou le refus de la licence) n’est donc pas de nature, seule, à satisfaire les dispositions de l’article L. 122-3 du Code de la consommation qui exigent que le professionnel doit rembourser intégralement le prix qu’il a perçu au moyen de la pratique commerciale de fourniture de produits non demandés.

 5. Post-scriptum et notes

Pour des raisons de confidentialité, l’autre décision n’est pas publiée. La condamnation est cependant identique dans la motivation et pratiquement identique dans le quantum (un peu supérieure).
Notes

[1cf. notamment : CA Pau, 8 juin 1995, Cass. crim., 2 nov. 2005, T. Corr. Montpellier, 17 juin 2008 et bien d’autres

[2Étude NetMarketShare, févr. 2012

[3Par exemple, le téléviseur K91 de…. Lenovo (oui, vous avez bien lu…) est le premier conçu sous Androïd 4.0, la dernière version d’Androïd dit « Ice Cream Sandwich »

[4Le consommateur est-il pieds et poings liés à son logiciel ? Focus par Jean-Philippe FELDMAN
professeur agrégé des facultés de droit de Paris : Revue Contrats Concurrence Consommation n° 6, Juin 2009, Lexisnexis

[5En se substituant d’ailleurs maladroitement aux intentions profondes des consommateurs en affirmant que « les consommateurs positionnés sur ce marché entendent acquérir un ordinateur en état de fonctionnement.« , Semaine juridique, Édition générale n° 27, juin 2009

[6CJCE, 23 avr. 2009 : C-261/07 et C-299/07 Total Belgium NV et Galatea BVBA ¢ Sanoma Magazines Belgium NV ; 14. Cass. civ. 1re, 15 novembre 2010 (arrêt n° 995 pourvoi n° 09-11.161), contre Juridiction de Proximité de Tarascon, 20 nov. 2008 : Aff. Pétrus ¢ Lenovo France

[7G. Poissonnier : « Nécessité d’une information spécifique du consommateur en cas de vente d’un ordinateur avec un logiciel intégré », note sous Jur. Prox. Toulouse, 20 mai 2011, n° 91-09-000641, Vermel ¢ SA Dell, Gaz. Pal. 14 au 18 août 2011, n° 226 à 230, p. 14, 16736

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Pétrus vs Lenovo : la fourniture de logiciels non demandés est une pratique commerciale déloyale

jurisprudanceLe 15 novembre 2010, la Cour de cassation rendait l’arrêt le plus intéressant en matière de pratiques commerciales des fabricants de matériel informatique.

La Cour Suprême retenait que la vente subordonnée de l’article L. 122-1 du Code de la consommation était prohibée si les circonstances qui l’entouraient constituaient une pratique commerciale déloyale au regard des critères clairement posés par la directive 2005/29 du 11 mai 2005.

Elle censurait totalement la décision du juge de proximité de Tarascon et renvoyait l’examen de l’affaire vers la juridiction de proximité d’Aix-en-Provence qui a rendu son délibéré le 9 janvier 2012. Quel est-il ?

Commentaire par Maître PROVOST, avocate, et conclusion par Maître CUIF, avocat.


Pour un historique judiciaire détaillé dans l’affaire opposant Monsieur Pétrus à la société LENOVO, il est renvoyé au commentaire sur l’arrêt du 15 novembre 2010.

Après avoir fait un bref rappel des faits et du jugement de la juridiction de proximité de Tarascon du 20 novembre 2008, le juge de proximité rappelle l’objet de sa saisine sur renvoi et la question à laquelle il doit répondre :

« Ayant formé un pourvoi contre ce jugement, la Cour de cassation par arrêt du 15 Novembre 2010 […] renvoya l’affaire devant notre juridiction estimant qu’il n’avait pas été recherché si la pratique commerciale dénoncée entrait dans les dispositions de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales. »

1. Rappel des prétentions.

Monsieur Pétrus avait d’abord fait valoir à titre principal que le fabricant s’était livré à une pratique commerciale de fourniture de produits non demandés, en l’espèce des logiciels préchargés, dont il avait exigé le paiement de sa part et qu’elle constituait une pratique commerciale déloyale « en toutes circonstances » interdite tant par la directive 2005/29/CE que par le Code de la consommation.

Subsidiairement, pour le cas où la pratique commerciale de vente forcée ne serait pas retenue par le juge, Monsieur Pétrus soutenait que cette pratique du fabricant, telle qu’elle était pratiquée en l’espèce, constituait une pratique commerciale de subordination de vente déloyale et totalement interdite.

Les arguments de la société LENOVO s’articulaient principalement autour du consentement de Monsieur Pétrus qu’elle estimait éclairé et non vicié, puisque selon elle, il avait choisi un modèle prééquipé de logiciels en connaissance de cause, qui était de surcroît destiné aux entreprises et non aux particuliers. Elle prétendait donc que Monsieur Pétrus faisait une « confusion entre la vente liée de produits distincts et séparés et la vente de produits complexes composés d’un ensemble de composants indispensables à la définition du produit telle que voulue par le constructeur ».

Elle ajoutait et qu’en toute hypothèse, à l’instar d’une voiture avec ses pneus ou sa climatisation, le matériel ne pouvait pas fonctionner sans les logiciels et que la demande de Monsieur Pétrus tendant à se faire rembourser la somme de 404,81 € était excessive puisqu’elle revenait à se faire rembourser la plus grande partie du prix d’acquisition de la machine qui avait coûté 597 €.

Enfin, Lenovo a rappelé que selon elle, il n’appartenait pas au juge de réglementer la vie économique et que le problème incombait au législateur qui avait refusé de voter dans le sens indiqué par le demandeur le 6 juillet 2011.

2. Motifs de la décision.

Le juge a d’abord rappelé les circonstances de l’achat de l’ordinateur : Monsieur Pétrus avait demandé à faire l’acquisition du seul matériel, ce qui s’était révélé impossible parce que les logiciels étaient préinstallés, et que lors de la mise en marche du matériel, il n’avait pas eu d’autre choix que d’accepter l’installation du système d’exploitation ou se faire rembourser l’intégralité de son achat par LENOVO.

De ces circonstances de la vente, la décision du juge s’articule autour de deux points : la distinction matériel logiciels et les pratiques commerciales déloyales qui en découlent.

2.1. Le matériel et les logiciels sont des produits distincts.

Il s’agit d’une solution éprouvée et jugée à de nombreuses reprises, tant par la Cour de cassation que par de nombreuses juridictions du fond. Le juge de proximité d’Aix-en-Provence s’était d’ailleurs prononcé récemment en faveur de cette solution dans une affaire similaire opposant un consommateur au fabricant ACER [1], tout comme d’autres juridictions après lui [2].

Le matériel fait l’objet d’un contrat de vente qui confère à son propriétaire un droit absolu sur la chose dès qu’il en a payé le prix, alors que la fourniture d’un logiciel est une prestation de services qui ne confère qu’un droit d’usage sur le logiciel, ce que rappelle du reste clairement le contrat de licence du logiciel système d’exploitation.

S’il paraît presque invraisemblable de rappeler cette solution, tant la différence saute aux yeux, il s’agit néanmoins de l’argument principal soulevé par les constructeurs qui cherchent à faire juger que le matériel et les logiciels forment un « ensemble indissociable », un « produit unique », « technologique » encore une « offre commerciale globale ». LENOVO avait soutenu qu’il s’agissait d’un « ensemble de composants indispensables à la définition du produit ». Et le fait est que l’argument a pu séduire par le passé quelques juridictions, sans doute par méconnaissance de l’informatique, qui ont estimé du coup que les consommateurs ne pouvaient pas solliciter le remboursement des seuls logiciels.

Mais malgré la résistance des fabricants dans les procès, cette question n’est aujourd’hui plus sérieusement contestable. Et quoi qu’il en soit, le caractère sophistiqué d’un lot de produits n’autorise pas le professionnel à s’affranchir des dispositions précises de la directive du 11 mai 2005 ou du Code de la consommation relatives à l’information sur les caractéristiques essentielles des produits et leurs prix, ou de la réglementation spécifique en matière d’affichage du prix des produits vendus par lots.

Avec humour et répondant en cela à l’argumentation de la société LENOVO qui avait soutenu que les logiciels étaient aussi peu dissociables de l’ordinateur que les pneus ou la climatisation d’une voiture, le juge de proximité précise que l’analogie n’est pas exacte et reviendrait en réalité à fournir un chauffeur lors de l’achat de la voiture…

2.2. Sur les pratiques commerciales déloyales de la société LENOVO

Le juge retient :

« Attendu certes que l’appareil objet du litige sur lequel étaient installés un système d’exploitation et des logiciels de la société Microsoft, pouvait intéresser une clientèle particulière mais qu’aucune caractéristique technique ne s’opposait à ce que d’autres y soient implantés et notamment ceux que souhaitait le requérant.

Attendu donc qu’il ne pouvait lui être imposé d’adjoindre obligatoirement Windows Vista à un type d’ordinateur dont les spécifications propres mais uniquement matérielles avaient dicté son choix ;

Attendu en définitive qu’il est ainsi constaté que la Sas LENOVO a contrevenu aux dispositions de l’article L122-1 du code de la consommation qui en l’espèce satisfait aux prescriptions de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, notamment à l’article 29 de son annexe 1, relative aux pratiques commerciales déloyales  »

Le juge déduit des circonstances de la vente que la société LENOVO s’est bien livrée à une pratique commerciale de subordination de vente déloyale au sens de la directive du 11 mai 2005 notamment en ce qu’elle s’apparente à une vente forcée au sens du paragraphe 29 de son annexe 1.

Il faut avouer que si cette motivation n’est pas claire, bien trop laconique et que le juge de proximité a omis de statuer sur un bon nombre de demandes présentées par Monsieur Pétrus à l’issue des débats, il demeure que le principe est acquis : imposer aux consommateurs de payer des logiciels qu’ils n’ont pas choisis ni demandés, au seul prétexte qu’ils sont préchargés par le fabricant, constitue une pratique commerciale de vente forcée déloyale en toutes circonstances au sens du paragraphe 29 de l’annexe 1 de la directive (qui fait partie de la liste « noire » des pratiques commerciales) et une vente subordonnée également contraire à la directive.

Le juge de proximité fait donc droit à la demande de remboursement de Monsieur Pétrus, ce qui est tout à fait légitime et parfaitement conforme aux dispositions du Code de la consommation invoquées au cours des débats. Il est regrettable que le juge ait fait droit à la demande sans détailler ce point et son fondement textuel.

2.3. Sur les demandes financières.

Monsieur Pétrus avait demandé la condamnation de LENOVO à lui payer une somme de 404,81 € en 2008 devant la juridiction de proximité de Tarascon. Cette somme n’a pas été actualisée devant la juridiction d’Aix-en-Provence, mais elle a été étayée et qualifiée. En effet, Monsieur Pétrus demandait que lui soit indiqué le prix des logiciels pour pouvoir en solliciter le remboursement. À défaut, il demandait la condamnation de LENOVO à lui payer une indemnité forfaitaire dont le quantum était susceptible de correspondre au prix des logiciels par comparaison avec les prix publics habituellement pratiqués en la matière.

Sans tenir compte du fait que le prix des logiciels n’avait pas été indiqué par LENOVO, le juge a estimé que la somme sollicitée était trop importante. Alors que Monsieur Pétrus avait établi que le prix des logiciels pouvait représenter plus de 30 % du produit global, il s’est calé sur une fourchette plus basse, notamment celle qui a été prise en compte par la Cour d’appel de Versailles dans son arrêt du 5 mai 2011, soit entre 10 et 25 % du prix global [3].

LENOVO est donc condamné à payer à Monsieur Pétrus une somme de 120 €.

Le juge de proximité a aussi condamné la société LENOVO à lui payer une somme de 800 € à titre de dommages et intérêts. Ces condamnations à des dommages et intérêts sont de plus en plus fréquentes, principalement parce que les fabricants s’obstinent à refuser de procéder à un véritable remboursement des logiciels préchargés et que les consommateurs n’ont aujourd’hui qu’une seule possibilité pour faire valoir leurs droits : faire un procès !

Enfin, au titre des frais de procédure, le juge de proximité accorde à Monsieur Pétrus une somme de 1.000 €.

3. Quelle conclusion pour cette affaire ?

Il s’agit d’une décision qui va dans le bon sens, celui des consommateurs.

Cependant, la motivation adoptée est décevante et bien trop laconique pour le professionnel que je suis. Le jugement est aussi atteint de plusieurs omissions de statuer au regard des demandes qui ont été présentées. Il est regrettable que le juge de proximité n’ait pas fait l’effort de motiver solidement sa décision, surtout qu’il s’agissait d’un renvoi de cassation et qu’il avait été averti de l’importance du sujet et du fait que sa décision était très attendue.

J’ajoute, s’agissant de la distinction entre le matériel et les logiciels, que la réglementation sur les ventes par lots ne concerne plus seulement les yaourts ou les lots de casseroles, n’en déplaise à certains membres du ministère de l’économie des finances et de l’industrie avec qui je suis en discussion sur ces questions, et que les logiciels ont bien unprix public identifié totalement dissimulé par le fabricant après avoir été préchargés dans le matériel, puisqu’ils sont l’un des éléments dissociables d’un lot de produits distincts. Prétendre en plus que la DGCCRF contesterait ce point revient à avouer qu’il y a un refus du ministère de prendre parti sur cette question…

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L’illustration est de Michel Cadiou, il l’a appelée « La justice sur le fil » Merci beaucoup Michel !


Notes

[1Jur. prox. Aix-en-Provence, 17 fév. 2011 : Perrono ¢ Acer

[2cf. notamment CA Versailles, 3e ch., 5 mai 2011 : UFC-Que Choisir ¢ SAS Hewlett Packard France & association de droit du marketing ; Jur. prox. Toulouse, 20 mai 2011 : aff. Vermel ¢ S.A Dell

[3CA Versailles, 3e ch., 5 mai 2011, préc.

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« Nécessité d’une information spécifique du consommateur en cas de vente d’un ordinateur avec un logiciel intégré. »

Commentaire deJustice symbol glossy button la décision du Juge de proximité de Toulouse dans la Gazette du Palais.

Avec l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 5 mai 2011, la décision du juge de proximité de Toulouse est à ce jour la seule décision qui déclare la pratique commerciale de vente subordonnée, telle qu’elle est pratiquée actuellement, déloyale.

Sommaire de la Gazette du Palais


Le commentaire est de Monsieur Ghislain Poissonnier, magistrat spécialisé dans le droit de la consommation et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet.

Il s’intitule « Nécessité d’une information spécifique du consommateur en cas de vente d’un ordinateur avec un logiciel intégré » (note sous Jur. Prox. Toulouse, 20 mai 2011, n° 91-09-000641, Vermel vs SA Dell, Gazette du Palais du 14 au 18 août 2011, n° 226, p. 14, 16736).

On se rend bien compte, à la lecture de cet article, qu’une loi supplémentaire ne serait pas utile en cette matière, tant il existe de dispositions législatives et réglementaires, au niveau national ou au niveau Européen, favorables aux consommateurs. Une loi ne ferait qu’alourdir ou rendre plus confuses les dispositions actuelles qui régissent d’ailleurs tous les rapports entre les professionnels et les consommateurs et pas seulement « le microcosme des ventes subordonnées ». Il suffit de faire appliquer la loi !

[(Malheureusement, le lien vers le pdf n’est plus accessible, les éditions lextenso m’ayant indiqué qu’ils n’autorisaient pas la reproduction de leurs publications. Voici donc des extraits ponctués de mes commentaires. Les renvois sont de l’auteur.)]


« I Un ordinateur et un logiciel constituent des produits différents.

Les distributeurs qui commercialisent auprès du grand public des ordinateurs les vendent avec des logiciels, le plus souvent de Microsoft. Ils profitent de la vente de l’ordinateur pour imposer la vente de logiciels, qui sont préinstallés et qui sont facturés dans le prix global au consommateur. Les conditions générales de ventes de ces distributeurs n’offrent pas au consommateur la possibilité de choisir les logiciels en question et de les refuser, l’acquisition d’un ordinateur nu étant impossible.

Le procédé présente un double danger pour le consommateur. Ce dernier est, en premier lieu, obligé d’acquérir deux produits, le forçant à un achat inutile ou à un choix biaisé, alors qu’il peut seulement avoir besoin de l’un d’entre eux ou avoir besoin de deux produits mais avec des caractéristiques différentes. Les offres proposées, qui consistent en un jumelage de deux produits dont il est fait un lot indivisible [1], heurtent la liberté du consommateur d’acheter ou non les logiciels préinstallés et son droit d’acheter ou non d’autres logiciels que ceux préinstallés. Et le consommateur a souvent, en second lieu, la croyance qu’en achetant par lot, le prix sera moins élevé. Or, l’avantage-prix n’est pas constitutif de la vente par lot et il peut se faire que le prix du lot soit moins avantageux que le prix du bien acheté à l’unité ou séparément. Là encore, s’agissant des logiciels préinstallés, le consommateur à qui le vendeur a imposé le choix des logiciels est bien en peine de faire jouer la concurrence et de comparer les prix. Cette situation est d’autant plus préjudiciable pour le consommateur qu’il existe sur le marché plusieurs types de logiciels à des prix différents correspondant à des besoins différents du consommateur et qu’en outre certains de ces logiciels sont gratuits. En outre, l’informatique a connu de progrès en termes d’ergonomie que la plupart des personnes sachant utiliser un ordinateur sont désormais capables d’installer eux-mêmes le système d’exploitation et les logiciels de base de leur choix [2]. Il en est ainsi des logiciels souvent gratuits comme Linux, logiciels libres ou « open source », c’est-à-dire des logiciels dont l’architecture interne est partagée et diffusée librement et gratuitement. Contrairement aux logiciels propriétaires, les logiciels libres, reconnaissent aux personnes acceptant la licence, une grande liberté d’utilisation et de modification par la diffusion du code source. Ces logiciels libres autrefois hors de portée de l’utilisateur non averti ont connu de rapides progrès et se sont aujourd’hui démocratisés. L’intérêt objectif du consommateur est donc bien d’empêcher les fabricants de l’« obliger » à acheter un ordinateur « tout compris ».

Des associations comme l’UFC-Que Choisir et l’AFUL (Association francophone des utilisateurs de logiciels libres) invitent leurs adhérents à intenter des recours auprès des juges de proximité contre les fabricants ou les vendeurs d’ordinateurs, afin d’obtenir le remboursement du prix des logiciels vendus préinstallés dans les ordinateurs. Pour en obtenir le remboursement, les requérants se fondent sur l’article L. 122-1 du Code de la consommation, celui-ci posant une interdiction des ventes liées (dénommées dans le Code de la consommation « ventes subordonnées », mais appelées aussi « ventes par lot » ou « ventes jumelées » ou encore « offres conjointes » pour reprendre le terme retenu par le droit communautaire). Cette disposition, qui figure dans une section du Code de la consommation dédiée aux « refus et subordination de vente ou de prestations de services », dans un chapitre consacré aux « pratiques commerciales illicites », prohibe, par dérogation au droit commun, le fait de subordonner la vente d’un produit à l’achat d’un autre produit. Il s’agit d’une prohibition visant à protéger l’intégrité du consentement du consommateur à l’achat. Ce texte s’applique à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris financiers, destinés aux consommateurs et donc bien évidemment à la vente d’ordinateurs et de logiciels.

Toutefois, l’application de cet article suppose que l’ordinateur et le logiciel soient considérés comme des éléments distincts ne formant pas un même produit. Or, il ne semble pas y avoir unanimité tant au sein de la doctrine que de la jurisprudence sur le fait qu’un ordinateur et un logiciel préinstallé doivent être vus comme des produits différents. En effet, une partie de la doctrine et certains arrêts, considèrent que l’ordinateur et le logiciel constitueraient un bien unique comme dans l’exemple d’un véhicule et de ses pneus ou du vin et de sa bouteille. Se fondant sur le critère de la fonctionnalité du produit, ils soulignent qu’il est normal que tout ce qui est nécessaire à la production de la fonction pour laquelle le produit est mis sur le marché soit considéré comme en faisant partie intégrante. »

S’agissant d’une partie de la doctrine ou de certaines jurisprudences, peu nombreuses, qui ont pu assimiler le matériel et les logiciels en un seul et même produit, les motivations sont assez surprenantes. Elles évoquent souvent, de manière générale, le fait que le matériel ne fonctionnerait pas sans système d’exploitation. Mais c’est notamment oublier qu’il n’existe pas qu’un seul système d’exploitation dans le paysage informatique, mais plusieurs centaines, de sorte que la question qui se pose en réalité n’est pas celle du critère fonctionnel d’une certaine interdépendance entre le matériel et les logiciels, mais d’une pratique commerciale qui consiste à forcer la vente d’un seul d’entre eux, sans que le consommateur ne l’ait jamais demandé. Certaines décisions qui ont retenu ce critère exclusivement fonctionnel sont même aberrantes, notamment lorsqu’elles ont retenu, en substance, qu’installer un OS Linux sur un ordinateur était compliqué [3]… en prenant pour base un ordinateur déjà préinstallé d’un OS Windows, ce qui oblige à une étape de partitionnement compliquée pour un néophyte, alors que tout est différent lorsque la préinstallation est faite à partir d’un disque dur vierge (comme c’est le cas lorsque le constructeur précharge l’image dans le disque).


« Les fabricants d’ordinateurs cherchent à exploiter cette incertitude juridique. Ils ont ainsi inséré dans leurs conditions générales de vente une clause indiquant que le produit vendu au consommateur est un bien unique qui comprend nécessairement un ou des logiciels. S’appuyant sur cette définition, leurs conditions générales de vente contiennent une clause subséquente prévoyant que le refus par le client du contrat de licence du logiciel ne peut entraîner que le remboursement total du produit (après sa restitution) et non son remboursement partiel correspondant à celle de la valeur du logiciel (sans restitution). Dans les contentieux qui les opposent aux consommateurs, les vendeurs s’appuient sur la lettre du contrat et avancent ainsi que l’accord des parties se fait sur un type d’ordinateur complet et prêt à l’emploi, doté de logiciels, le consommateur, une fois l’acquisition effectuée, conservant la possibilité de se faire rembourser la marchandise dans sa globalité. Hélas, cet argument emporte parfois la conviction du juge [4]. Dans l’espèce soumise au juge de proximité de Toulouse, la société Dell appuyait d’ailleurs sa défense sur le contenu de ces conditions générales de vente. Toutefois, le juge, au visa de l’article 12 du CPC, prenait la peine de vérifier si ces conditions générales de vente n’étaient pas abusives au sens de l’article L. 132-1 du Code de la consommation.

Or, il considérait, à juste titre à notre avis, que l’ordinateur et les logiciels sont des produits différents dans leur nature : d’un côté, il s’agit de « matériel informatique », d’un produit industriel, d’une marchandise, d’un « bien corporel » et de l’autre, il s’agit d’une « prestation de service », d’un produit immatériel, d’une « œuvre de l’esprit », d’un « bien incorporel », pour reprendre des expressions utilisées soit par le jugement du 20 mai 2011, soit par la jurisprudence de la Cour de cassation. Il notait également qu’un ordinateur et qu’un logiciel relèvent de régimes juridiques différents : le premier fait l’objet d’un contrat de vente qui confère au propriétaire un droit absolu sur la chose vendue, tandis que le second fait l’objet d’un droit d’usage, concédé à l’acheteur sous la forme d’un contrat de licence.  Dès lors, « en adoptant dans ses conditions générales de vente des clauses dont la formulation assimile artificiellement, aux yeux du consommateur, matériel et les logiciels et qui ont pour effet de paralyser le droit au remboursement de ces logiciels par les consommateurs, contraints de les payer sans les avoir commandés », la société Dell avait créée un déséquilibre flagrant et significatif aux droits des consommateurs au sens de l’art. L. 132-1 du Code de la consommation. En relevant une clause abusive dans les conditions générales de vente, le tribunal replace les parties dans une situation d’équilibre qui correspond à la réalité du contrat conclu, qui restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives.

Si le raisonnement du tribunal nous paraît cohérent, il n’en demeure pas moins que la démarche adoptée n’était peut-être pas indispensable pour aboutir à un résultat identique. En effet, le fait que le consommateur a consenti à la vente liée dans un premier temps, pour en demander l’annulation partielle un deuxième temps, et le fait que le consommateur a signé les conditions générales de vente ne changent rien au fond. L’accord non vicié du consommateur (au sens des art. 1108 et suivants du Code civil) à la vente de produits ou de services liés et l’existence au contrat de clauses contractuelles défavorables au consommateur n’interdisent ni au consommateur de se prévaloir de la règle de la prohibition de la vente liée, étant observé que cette prohibition3 est d’ordre public (art. 6 du Code civil), ni au juge de relever d’office une telle règle (art. L. 141-4 du Code de la consommation).

II La vente liée d’un ordinateur et d’un logiciel constitue une pratique commerciale déloyale.

Le droit français de la consommation évolue sous l’influence du droit communautaire qui a largement contribué à la modification des textes de droit interne français au cours de ces dernières années. Le droit de la vente liée, qui entre dans le champ d’application de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis à vis des consommateurs dans le marché intérieur, n’échappe pas à cette tendance. La directive du 11 mai 2005 a été transposée dans notre droit interne par la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, sans modification de l’article L. 122-1 du Code de la consommation. Toutefois, la CJUE a affirmé à plusieurs reprises (pour les ventes liées mais aussi pour les ventes avec prime et les loteries publicitaires) que seules les trente et une pratiques commerciales énumérées de façon exhaustive dans la liste noire de l’annexe I de la directive 2005/29 peuvent être présumées déloyales « en toutes circonstances ». Or, les ventes liées ne figurent pas dans la liste de l’annexe I de la directive. Dans les autres cas, comme l’indique la CJCE, il revient au juge procéder « à l’analyse, devant être nécessairement menée au regard du contexte factuel de chaque espèce, du caractère déloyal d’une pratique commerciale à la lumière des critères énoncés aux articles 5 à 9 de la directive, lorsqu’il s’agit (…) d’une pratique non visée à l’annexe I de celle-ci » [5].
Ainsi, les ventes liées ne doivent être considérées comme des pratiques déloyales (et donc illégales) que si cette déloyauté est démontrée, à l’issue d’une évaluation au cas par cas, sur la base des critères définis par les dispositions des articles 5 à 9 de la directive.

Dans la mesure où ce texte impose une harmonisation complète (les gouvernements des États membres ne peuvent pas adopter des mesures nationales plus restrictives que celles définies par la directive, même s’il s’agit d’assurer une protection plus importante pour les consommateurs), la Cour en a déduit que toute interdiction générale et préventive de la vente liée posée par la législation nationale est contraire aux exigences communautaires. De telles pratiques commerciales ne peuvent être sanctionnées qu’à la condition que soit prouvé leur caractère déloyal, ce qui impose de mener une analyse in concreto de la situation au regard de son contexte factuel. Or, l’article L. 122-1 du Code de la consommation prescrivant une interdiction absolue et de principe des ventes liées, ce texte se devait d’être modifié (tout comme ceux relatifs aux loteries publicitaires et aux ventes avec prime). La Cour ce cassation avait d’ailleurs très vite emboité le pas de la CJUE en jugeant que la pratique de la vente d’ordinateurs avec logiciels préinstallés devait être contrôlée au regard de l’article L. 122-1 mais interprété à la lumière des critères posés par la directive du 11 mai 2005. Elle invitait clairement le juge du fond à s’interroger sur les circonstances entourant la vente pour apprécier si elles engendrent ou non un déséquilibre significatif au détriment du consommateur dans ses rapports contractuels avec les assembleurs.

C’est en ce sens que l’article 45 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit complète les dispositions du Code de la consommation pour préciser qu’une vente liée est illicite « dès lors que cette subordination constitue une pratique commerciale déloyale au sens de l’article L. 120-1 [du Code de la consommation] », cette dernière disposition reprenant les critères des articles 5 à 9 de la directive.
Le droit français prévoit donc désormais une interdiction au cas par cas et c’est au juge, sur délégation du législateur, qu’il revient d’assurer la police des pratiques commerciales. Il devra, pour ce faire, apprécier les circonstances propres à chaque cas d’espèce selon les critères posés par la loi [6]. C’est exactement la démarche in concreto suivie par la juridiction de proximité de Toulouse dans son jugement du 20 mai 2011. Il rappelle qu’une pratique commerciale déloyale est définie par la réunion de deux conditions cumulatives : la contrariété aux exigences de la diligence professionnelle et une altération substantielle du comportement économique du consommateur moyen. Or, en l’espèce, la société Dell a proposé volontairement un lot dont l’achat n’a pas été effectué en connaissance de cause par le consommateur : le prix du lot n’était pas ventilé entre le matériel et le logiciel ; et les modalités de la vente, prévoyant l’impossibilité de renoncer au logiciel préinstallé (le consommateur « n’a pu supprimer de la liste du matériel les logiciels préinstallés, car aucune option ne lui permettait de la faire et alors même qu’il est possible d’exploiter les ordinateurs au moyen de logiciels gratuits, ce qui évidemment en réduit le coût » note le jugement) et de se faire rembourser le prix dudit logiciel, ont pour effet de contraindre de manière quasi-directe le consommateur à conserver le logiciel. Ainsi, en proposant un lot ordinateur-logiciel dans les conditions contractuelles très rigides et défavorables à l’acheteur, la société Dell a à la fois manqué à son obligation de diligence professionnelle et altéré de manière substantielle le comportement économique du consommateur, diminuer en particulier son aptitude à prendre une décision en toute connaissance de cause.

La motivation retenue est concise, peut-être trop (il aurait été possible notamment d’élaborer un peu plus sur le fait que les éléments soumis au juge permettent de considérer que le professionnel a manqué à son obligation d’information et à celle de conseil vis-à-vis du consommateur), mais elle résume bien la situation imposée au consommateur : en vendant ensemble, ordinateur et logiciel, sans laisser au consommateur la liberté, ni de choisir son système d’exploitation, ni d’acheter l’ordinateur seul, le vendeur adopte une pratique commerciale qui porte atteinte à l’intégrité du consentement du consommateur à l’achat. Le sens de la décision rejoint celle du 27 août 2009 rendue par le juge de proximité de Lorient : dans cette affaire, un consommateur avait acheté un ordinateur portable de marque Asus sur lequel était préinstallé un système d’exploitation Microsoft Vista. Ne désirant pas garder le logiciel, le client avait demandé au constructeur son remboursement, le constructeur lui imposant de retourner la machine. Visant la directive n° 2005/29/CE du 11 mai 2005 et sanctionnant les pratiques commerciales de la société Asus estimées « contraires aux exigences de la diligence professionnelle » et aboutissant à une « altération du comportement du consommateur », le jugement retenait que l’absence de distinction au moment de la vente entre le prix du matériel et celui des logiciels couplé au silence observé par le constructeur sur ce point ou sur les modalités de remboursement, privait abusivement le consommateur d’un choix éclairé.

Toutefois, dans cette dernière décision de Lorient, le juge n’avait pas expressément déclaré déloyales les pratiques commerciales du constructeur Asus. Les sanctions légales n’avaient donc pas non plus été appliquées.

Et Ghislain Poissonnier termine en indiquant :

Le jugement du 20 mai 2011 va contribuer à mettre fin à un courant jurisprudentiel défavorable aux consommateurs et inviter les juges du fond à s’intéresser de manière concrète aux pratiques commerciales déloyales de nombreux distributeurs informatiques.

…En espérant que dans les prochaines décisions, les sanctions des pratiques commerciales déloyales seront appliquées.

Pour aller plus loin :


Notes

[1] La prohibition tombe lorsque le consommateur a la faculté d’obtenir chaque élément du lot séparément. Mais alors, dans ce cas, pour chaque élément doivent être affichés le prix et la composition du lot, ainsi que le prix de chaque produit composant le lot

[2] Il ne semble plus possible de dire qu’il est « de l’intérêt du consommateur d’avoir un système d’exploitation préinstallé, dès lors qu’il n’est ni contesté ni contestable que pour la grande majorité des consommateurs il serait impossible ou pour le moins très difficile et sans doute onéreux de procéder à cette installation » : TGI Paris, 24 juin 2008 : JCP G 2008, p. 10185, note P. Stoffel-Munck.

[3] UFC Que-Choisir vs Darty & Fils, TGI de Paris, 24 Juin 2008

[4] Jugement de la juridiction de proximité de Tarascon du 20 novembre 2008, qui déboute le consommateur sur le fondement du principe de la force obligatoire des contrats. Ce jugement a finalement été cassé par la Cour de cassation : Cass. 1re civ., 15 nov. 2010, no 09-11161, LPA, 21 mars 2011 n° 56, P. 8 note E. Ay ; Gaz . Pal. 16-17 février 2011, n°47 à 48, p. 19, note G. Poissonnier ; Contrats. Conc. Consom. 2011, n°9, obs. M. Malaurie-Vignal.

[5] point 65 de CJCE, 23 avr. 2009, C-261/07 et 299/07, VTB-VAB NV c/ Total Belgium NV et Galatea BVBA c/ Sanoma Magazines Belgium NV.

[6] Les professionnels ont ainsi gagné en liberté, mais celle-ci demeure surveillée compte tenu du risque de sanction prononcée par le juge. Pareille approche, si elle est gage de flexibilité, permettra-t-elle d’assainir les pratiques commerciales ? Cela suppose d’éprouver l’effectivité – pour l’heure douteuse – d’un tel contrôle a posteriori…

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La justice se prononce enfin sur la déloyauté des pratiques commerciales des constructeurs !

jurisprudanceLe 5 mai 2011 la Cour d’appel de Versailles a rendu une décision intéressante opposant l’UFC-Que choisir à la société Hewlett Packard. Quelques jours plus tard, le 20 mai 2011, la juridiction de proximité de Toulouse rendait un jugement sans précédent contre le fabricant DELL, après deux ans de bataille acharnée. Suivez le guide.

Après les deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 15 novembre 2010 sur la question délicate des ventes subordonnées en matière informatique, j’avais noté que les juges du fond hésitaient encore à appliquer les sanctions, pourtant claires, posées par la directive 2005/29/CE et par le Code de la consommation, soit l’interdiction pure et simple lorsque la pratique commerciale du professionnel consiste à exiger du consommateur le paiement immédiat de produits ou de services qu’il fournit sans que le consommateur les ait préalablement demandés.

Ainsi, dans la dernière affaire contre Acer, le juge de Proximité d’Aix-en-Provence avait “seulement” condamné le constructeur à rembourser les logiciels préinstallés en retenant qu’ils n’étaient qu’une option à laquelle le consommateur n’était pas tenu de souscrire puisque le matériel et les logiciels étaient deux éléments distincts, tant par leur nature que leur régime juridique. S’il s’agissait assurément d’une bonne décision, elle n’allait cependant pas au fond des choses.

Les deux dernières décisions de Toulouse et de Versailles sont presque venues mettre un terme à ces hésitations, condamnant DELL et HP pour leurs pratiques commerciales déloyales. Mais vont-elles jusqu’au bout ? C’est ce que je vous propose d’examiner un peu plus en détail.


1. La condamnation de HP à faire cesser sa pratique commerciale de vente subordonnée sous astreinte.

Cette décision est longue pour les profanes, mais les termes et expressions employés sont intéressants. Je vous en propose donc un résumé rapide.

Devant la Cour d’appel de Versailles, l’UFC-Que choisir avait demandé que la société HP soit enjointe, sous astreinte, de cesser de vendre sur son site des ordinateurs prééquipés du système d’exploitation Windows et de différents autres logiciels applicatifs, sans offrir à l’acquéreur la possibilité de renoncer à ces logiciels moyennant déduction du prix correspondant à leur licence d’utilisation.

Dans son arrêt du 5 mai 2011, et après avoir rappelé la règle posée par la Cour de cassation dans l’arrêt Pétrus du 15 novembre 2010 (cf. mon billet de commentaire de cette décision et mon billet suite à l’article de Ghislain Poissonnier dans la Gazette du Palais), la Cour de Versailles a retenu que le système d’exploitation était un logiciel indépendant du matériel en ce qu’il correspondait à un élément intellectuel relevant de la prestation de services, que cette indépendance était d’ailleurs confirmée par la présence de systèmes libres dont l’utilisation s’était répandue, et que juridiquement, le matériel et les logiciels suivaient deux régimes différents.

Puis, après avoir rappelé les dispositions de la directive sur les pratiques commerciales trompeuses et agressives des entreprises, elle en a déduit qu’en présentant sur son site le matériel et les logiciels comme « un seul produit que le consommateur règle globalement », sans avertir le consommateur « de la possibilité d’acquérir un ordinateur non muni du système d’exploitation Windows » sans lui donner aucune précision « sur le prix des composants de l’ordinateur et, en particulier, du logiciel dont la valeur est variable, ni sur le contenu des licences utilisateur final », et ce alors même « qu’il n’existe pas d’obstacle technique à l’absence de proposition sans préinstallation » et que cette absence ne pouvait être justifiée par le fait que le consommateur avait la possibilité de s’adresser à des vendeurs extérieurs, la société HP a adopté une attitude contraire aux exigences de la diligence professionnelle.

En effet, la Cour considère que « l’information sur la valeur des éléments composant l’offre de vente avec pré installation concerne des éléments substantiels à savoir le prix du logiciel dans la mesure où une licence OEM peut représenter entre 18 et 20 % du prix d’un ordinateur et une licence non OEM jusqu’à 27 % » et que « l’absence d’information du consommateur sur ces composants réduit ses choix en ce qu’il ne peut comparer leur valeur avec d’autres propositions qu’il s’agisse du logiciel ou de l’ordinateur nu ; que surtout il se trouve privé de la possibilité d’acquérir sans logiciels et ce alors que la demande des consommateurs ne cesse d’augmenter ».

Elle estime donc que le consommateur ne bénéficie pas d’une information suffisante et qu’il se trouve « amené à prendre une décision à propos de l’achat d’un ordinateur qu’autrement il n’aurait pas prise » et que cela constitue une vente trompeuse au sens de l’article 7 de la directive et contraire à l’article L. 122-1 du Code de la consommation.

La Cour en conclut :

« que la vente par la société HEWLETT PACKARD FRANCE sur son site ouvert aux particuliers (…) d’ordinateurs avec des logiciels pré installés sans mention du prix que représentent les logiciels et sans possibilité d’y renoncer avec déduction du prix correspondant à la licence, est contraire aux exigences de la diligence professionnelle eu égard aux possibilités techniques actuelles et étant susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen auquel elle s’adresse, elle constitue une pratique commerciale déloyale prohibée au sens de l’article 5 de la directive de 2005 »

En conséquence, la Cour enjoint à la société HP de cesser cette pratique de vente sur son site, sous astreinte de 1.500 € par jour de retard.

2. La société DELL sanctionnée pour ses conditions générales de vente et ses pratiques commerciales déloyales

Le 20 mai dernier, c’est au tour du fabricant DELL d’être condamné par la juridiction de proximité de Toulouse, après deux ans d’une longue procédure initiée au départ par un consommateur seul.

Il s’agit d’une condamnation sans précédent en jurisprudence et la décision est intéressante à de nombreux titres.

1. D’abord, il est intéressant de constater que le juge retient que le matériel et les logiciels sont deux éléments distincts, tant par leur nature que par leur régime juridique, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation (mais également à l’instar d’autres décisions des juridictions du fond [1]). Il estime donc que la clause 7.3 (mais la clause 1 en réalité aussi) des conditions générales de vente de la société DELL, dont la rédaction assimile artificiellement le matériel et les logiciels en un seul et même « produit » et sur laquelle elle s’appuie pour justifier son refus de rembourser le consommateur des logiciels inutilisés, est abusive et doit donc être réputée non écrite :

« En adoptant dans ses Conditions Générales de Vente des clauses dont la formulation assimile artificiellement, aux yeux du consommateur, matériel et logiciels et qui ont pour effet de paralyser le droit au remboursement de ces logiciels par les consommateurs, contraints de les payer sans les avoir demandés, la société DELL crée un déséquilibre flagrant et significatif aux droits des consommateurs au sens de l’article L 132-1 du Code de la Consommation. »

2. Ensuite, après avoir rappelé les conditions aux termes desquelles les pratiques commerciales d’un professionnel sont susceptibles d’être considérées comme déloyales, le juge estime qu’en ne mettant à la disposition du consommateur aucun moyen de ne pas prendre des logiciels qu’elle préinstalle, alors qu’il est possible d’exploiter le matériel par le biais de logiciels gratuits, et en n’informant pas le consommateur du prix des logiciels composant le lot, la société DELL a manqué aux exigences de sa diligence professionnelle et adopté des modalités de vente qui ont eu pour effet de contraindre de manière quasi directe le consommateur de conserver le système d’exploitation Windows de Microsoft et que cela avait eu pour conséquence de diminuer l’aptitude du consommateur à faire un achat en connaissance de cause.

Le juge retient donc que l’opération contrevient aux dispositions de l’article L. 122-1 du Code de la consommation et constitue de ce fait une pratique commerciale déloyale et fautive entrant dans le champ d’application de l’article 1382 du Code civil et ouvrant le droit à des dommages et intérêts.

3. Quelle est la portée de ces décisions ?

Elles sont intéressantes à plus d’un égard.

En premier lieu, c’est la première fois en jurisprudence que la pratique commerciale de vente sans commande préalable est expressément déclarée déloyale. Il était temps !

Une décision un peu similaire avait été rendue par le juge de proximité de Lorient, [2] qui avait considéré que la pratique commerciale mise en place par ASUS était contraire à sa diligence professionnelle et avait eu pour effet de diminuer l’aptitude du consommateur à faire un achat en connaissance de cause. Mais le juge n’avait alors pas expressément retenu, comme c’est le cas contre DELL, que la pratique commerciale de vente forcée était déloyale.

En deuxième lieu, la décision de Toulouse vient enterrer un peu plus encore la notion de « produit unique » opportunément défendue par les constructeurs pour justifier à la fois la vente forcée des logiciels qu’ils préinstallent, mais également le refus du remboursement des seuls logiciels qui sont, comme l’avait retenu la juridiction de proximité d’Aix-en-Provence des options auxquelles le consommateur n’est pas tenu d’adhérer. [3].

En troisième lieu, ces décisions consacrent enfin toutes deux le fait que le prix des logiciels est un élément substantiel de l’acte d’achat d’un ordinateur. Sur cette question, la dernière solution retenue en jurisprudence était celle de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 26 novembre 2009, aux termes duquel elle avait estimé, après avoir procédé à une interprétation tout à fait particulière des intentions générales d’un consommateur moyen, que « ce qui importe avant tout pour le consommateur, c’est de connaître le prix global de l’objet proposé à la vente. ».

Mais cette motivation était très contestable, et au surplus erronée, pour plusieurs raisons :

  • contestable d’abord, parce que la Cour s’était livrée à une interprétation bien curieuse des intentions générales du consommateur moyen, alors que précisément bon nombre de consommateurs souhaitent faire un achat intelligent, ce qui inclut de ne pas payer des logiciels dont ils ne veulent pas ou dont ils n’ont pas besoin.Cette exigence des consommateurs est d’autant plus forte qu’il a été démontré à plusieurs reprises que le seul système d’exploitation pouvait représenter parfois près de 30 % du prix de la machine seule (et sans même parler du prix des autres logiciels applicatifs dont la préinstallation fait l’objet d’âpres négociations dans les contrats OEM) ! Le prix des logiciels fournis et payés sans avoir été demandés est donc loin d’être neutre et le cas est flagrant pour les consommateurs qui utilisent des systèmes d’exploitation libres dont la plupart sont gratuits.En tout état de cause, et si jamais le seul prix global devait compter pour le consommateur, ce prix global ne serait pas le même avec au moins 30 % de prix en plus pour des logiciels dont l’utilité n’est pas démontrée dès lors qu’il existe des alternatives gratuites, au demeurant bien plus complètes…
  • Erronée ensuite, parce qu’en estimant arbitrairement que seul le prix global importait pour le consommateur, la Cour de Paris avait oublié de prendre en compte que le matériel et les logiciels étaient deux éléments parfaitement distincts, tant par nature que dans leur régime juridique, comme la jurisprudence l’a retenu maintenant à de nombreuses reprises, ce qui faisait de ce type de vente, une vente par lots. Par conséquent, pour le consommateur moyen, il importe de connaître le prix de chacun des éléments composant le lot, et précisément le prix des logiciels qui augmente artificiellement le prix du matériel. La motivation de la Cour était donc contraire :
    • aux dispositions de la directive qui précisent expressément que le prix est un élément substantiel dont le consommateur doit être tenu informé (cf. les actions et surtout, les omissions trompeuses prévues par l’article 7) ;
    • aux dispositions de l’article L. 113-3 du Code de la consommation et à la réglementation spécifique de l’arrêté du 3 décembre 1987 qui prévoit d’informer spécifiquement le consommateur de chacun des éléments composant un lot, séparément du prix du lot.
  • Erronée encore, parce qu’il faut aussi rappeler que le paragraphe 29 de l’annexe I de la directive 2005/29/CE prohibe formellement le fait d’ « Exiger le paiement immédiat ou différé de produits fournis par le professionnel sans que le consommateur les ait demandés, ou exiger leur renvoi ou leur conservation sauf lorsqu’il s’agit d’un produit de substitution fourni conformément à l’article 7, paragraphe 3, de la directive 97/7/CE (fournitures non demandées). » Dans cette hypothèse, le prix global importe peu s’il est fixé par le biais d’une pratique commerciale réputée déloyale en toutes circonstances ! [4]

Je ne peux donc pas partager les différentes interprétations que je peux lire sur le sujet et notamment celle d’Étienne PETIT (relayée par Le Monde Informatique) laquelle laisse à penser qu’il y aurait deux visions du consommateur moyen : celle du « consommateur lambda » selon lui retenue par la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 26 novembre 2009, et celle du consommateur ayant « un tout autre profil : une personne plutôt jeune, internaute actif, parfois GEEK, parfois anti World Cie, parfois simplement économe, qui maîtrise l’informatique et est prête à rechercher sur le Net, par conviction ou par souci d‘économie, des logiciels libres, gratuits ou non, ou des versions pirates des logiciels usuels… » comme l’aurait selon lui retenu la Cour de Versailles dans son arrêt du 5 mai 2011.

Contrairement à ce qu’il indique, il n’existe pas deux consommateurs moyens. Il y a simplement une Cour d’appel, celle de Paris, qui a fait une erreur en oubliant de relever que le prix des logiciels revêtait un caractère substantiel, en cachant tout cela derrière les prétendues intentions générales du consommateur moyen.

Au demeurant, je rappelle que le consommateur moyen est une personne qui s’ouvre au monde, qui est raisonnablement informée des usages qui se pratiquent autour d’elle, sans avoir de connaissances techniques en particulier dans le domaine en cause.

Dès lors, en prétendant que la cour d’appel de Versailles n’aurait pas pris en compte un consommateur moyen, mais un geek, on voudrait nous faire croire que ceux qui sont simplement informés qu’il existe des alternatives tout à fait crédibles aux systèmes Windows imposés par les fabricants, seraient des consommateurs avertis en informatique. Outre le fait que c’est faux, c’est surtout prendre, a contrario, les consommateurs moyens pour des imbéciles, car c’est supposer qu’ils achètent bêtement leur ordinateur sans se poser aucune question.

En effet, il existe dans le paysage informatique plusieurs centaines de systèmes d’exploitation concurrents de ceux de la firme de Redmond, et il n’y a pas besoin d’être un geek pour savoir que « Linux » et les « logiciels libres » existent : qui peut croire que personne ne connaît ces mots, ou ignore l’existence des « Mac » (qui sont issus de la même famille, unix) qu’on trouve dans les Iphone ou Ipad et qui inondent les rayons des magasins, les systèmes Google Android des tablettes tactiles ou des smartphones qui sont sous linux et pleinement fonctionnels ? De plus en plus de consommateurs se tournent vers des distributions Linux comme Ubuntu, Suse, Mandriva, Fedora ou d’autres moins connues mais tout aussi prometteuses comme Mageia.

Une fois que l’information a été donnée, les consommateurs moyens retiennent que Linux est simple, fiable, nettement moins cher (la plupart des distributions Linux sont gratuites) et exempt de virus, des qualités qui ne sont pas vraiment au rendez-vous avec les systèmes préinstallés de Windows.

Quant à l’argument selon lequel il faudrait maîtriser l’informatique pour installer une distribution Linux, c’est un argument qui n’a plus cours aujourd’hui pour peu qu’on veuille bien essayer d’en installer une dans des conditions identiques, soit à partir d’un disque dur vierge et non pas « par dessus » un système d’exploitation Windows déjà préinstallé par un fabricant : imaginez donc un monde inverse, où Linux serait préinstallé d’office par tous les fabricants et essayez d’installer par dessus un système d’exploitation Windows… vous en conclurez certainement que Windows est un outil de geek !

En ce qui me concerne, je constate que l’immense majorité des clients qui me saisissent pour demander le remboursement des logiciels dont on leur a extorqué le prix à leur insu, ne sont pas des consommateurs avertis, bien au contraire. Ce sont des gens qui font attention à leur budget, qui lisent la presse généraliste et cela va de l’étudiant au retraité. Ils n’ont aucunement l’intention d’utiliser les logiciels préinstallés d’architecture Windows et les effacent purement et simplement en installant Linux à partir d’un support vierge.

Par conséquent, et comme l’a très bien écrit Ghislain Poissonnier dans la Gazette du Palais [5] :

« L’intérêt objectif du consommateur est donc bien d’empêcher les fabricants de “l’obliger” à acheter un ordinateur “tout compris” »

En dernier lieu, un élément notable est à souligner dans la décision de Toulouse contre DELL. Le juge estime en effet que l’achat fait par Monsieur VERMEL dans ces conditions avait diminué son aptitude à prendre une décision en connaissance de cause et constituait une pratique commerciale non seulement déloyale, mais également fautive au sens de l’article 1382 du Code civil, ce qui ouvrait droit à la réparation du préjudice qu’il avait subi.

Certes, la réparation accordée n’est pas à la hauteur, le juge ayant manifestement oublié que Monsieur VERMEL avait dû faire un procès pour faire respecter ses droits les plus élémentaires, mais c’est là encore la première fois qu’un tribunal prononce une condamnation à des dommages et intérêts pour ce motif. Et c’est bien le minimum puisque ces pratiques commerciales déloyales sont sanctionnées pénalement !!

4. Ces décisions sont-elles totalement satisfaisantes ?

Malheureusement pas encore, puisque le Code de la consommation précise que « Les pratiques commerciales déloyales sont interdites. », tout comme les pratiques commerciales illicites de ventes et prestations de services sans commande préalable. Bien que les sanctions aient été demandées devant la juridiction de proximité de Toulouse contre DELL, le juge n’a sans doute pas osé aller jusque là. Pour la Cour de Versailles, il semble qu’aucune demande n’avait été faite sur ce point.


5. Notes

[1] Juridiction de proximité d’Aix-en-Provence, 17 février 2011, Perrono ¢ Acer

[2] Juridiction de proximité de Lorient, 27 août 2009, Magnien ¢ Asus

[3] Juridiction de Proximité d’Aix-en-Provence, 17 février 2011, Perrono ¢ Acer

[4] Paragraphe 29 de l’annexe I de la directive du 11 mai 2005 intégré dans le Code de la consommation avec les lois du 3 janvier et 4 août 2008 à l’article L. 122-11-1, 6° et finalement déplacé à l’article L. 122-3 par la dernière loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, article 45 (NOR : BCRX0929142L)

[5] Arrêt Pétrus ¢ Lenovo par Ghislain Poissonnier : une évolution encourageante

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Perrono ¢ Acer : les logiciels ne sont qu’une option et les imposer est une vente liée.

jurisprudanceDans une nouvelle décision en date du 17 février 2011, le juge de proximité du tribunal d’instance d’Aix-en-Provence a statué sur la subordination de vente entre le matériel informatique et les logiciels préinstallés. Commentaire par Maître Provost.


1. Faits et procédure

Monsieur Perrono a fait l’acquisition d’un ordinateur sur lequel étaient préinstallés un certain nombre de logiciels, dont un système d’exploitation Windows et d’autres logiciels. Faute de pouvoir obtenir le remboursement des logiciels, il a saisi seul la juridiction de proximité par déclaration au greffe.

À la lecture de la décision, on s’aperçoit qu’une évolution du litige est intervenue en cours de procédure. En effet, après avoir rappelé dans l’« exposé du litige » que Monsieur PERRONO avait saisi la juridiction d’une demande de remboursement d’un montant de 120 € au titre du système d’exploitation et de 40 € pour un logiciel, ainsi que d’une demande à hauteur de 300 € au titre des frais de procédure, le juge a finalement condamné ACER à lui payer les sommes de 130 € pour le système d’exploitation, 320 € pour les autres logiciels et 600 € au titre des frais de procédure.
Le juge ne pouvant accorder plus que ce qui a été demandé, cela signifie que les demandes ont été revues à la hausse en cours de procédure, ce qui m’a été confirmé.

2. La motivation du juge de proximité

Cette décision est juridiquement confuse et insuffisamment motivée. Deux idées se dégagent cependant :

  • Le juge constate d’abord que le matériel et les logiciels sont deux entités distinctes. Il en tire la conséquence que les logiciels préinstallés ne sont que « des options auxquelles l’acheteur n’est pas tenu d’adhérer », d’autant plus que les logiciels applicatifs ne fonctionnent que grâce au système d’exploitation lui même préinstallé (l’expression « matériel WINDOWS » utilisée en fin de page 2 étant manifestement une erreur de plume).
  • De ce constat, le juge en déduit que le fait d’imposer au consommateur une procédure de désinstallation de ces logiciels en option (le mot « matériel » utilisé est là encore une erreur de plume), qu’il a préalablement estimée « lourde », l’empêche d’acquérir l’ordinateur seul et est donc contraire aux dispositions de l’article L. 122-1 du Code de la consommation interprété à la lumière de la dernière jurisprudence de la cour de cassation [1] reprenant en cela la directive 2005/29/CE.

Le juge de proximité condamne donc ACER à payer au demandeur les sommes de 130 € au titre du système d’exploitation et 320 € au titre des logiciels applicatifs préinstallés.

3. Le matériel et les logiciels sont-ils deux « entités » différentes ?

La réponse est positive : l’ordinateur est un bien matériel qui fait l’objet d’un contrat de vente, alors que la fourniture de logiciels est une prestation de services. Sur ce point, la décision est conforme à la position de la jurisprudence (Cour de cassation et juridictions du fond).

4. Monsieur PERRONO disposait-il d’un matériel « inutilisable » comme l’a retenu le juge ?

Il faut replacer cette appréciation dans son contexte, sans s’arrêter à la formulation un peu abrupte de la décision. Pour un juge, le critère d’appréciation est le « consommateur moyen », ce qu’était Monsieur PERRONO à la lecture de la décision. Ce dernier s’était plaint de n’avoir eu que deux choix : accepter le contrat de licence du système d’exploitation ou renvoyer sa machine chez le fabricant pour qu’il soit procédé à sa désinstallation. Il y a donc bien une contrainte quasiment insurmontable pour un consommateur moyen qui ne peut pas utiliser immédiatement son matériel, ce qui entrave sa liberté de choix. C’est en cela que le juge a pu retenir que le matériel était « inutilisable ».

Bien sûr, un autre système d’exploitation pouvait être installé. Mais la procédure mise en place par les fabricants comme ACER conditionne le versement d’une somme forfaitaire au retour de la machine en atelier pour procéder à la désinstallation du système d’exploitation. Dès lors, en procédant lui-même à la suppression du logiciel, le consommateur prendrait le risque de perdre toute possibilité de se faire indemniser par le fabricant et rendrait le passage par les tribunaux quasiment obligatoire. Le consommateur est donc bien “pieds et poings liés” à des logiciels qu’il n’a pas souhaités, contrairement à ce que certains commentateurs avaient estimé [2].

5. La procédure de désinstallation était-elle lourde ?

Le juge a estimé que c’était le cas, non seulement parce que les logiciels ne sont que des options auxquelles le consommateur n’est pas tenu d’adhérer, mais également parce qu’elle ne prévoit pas d’indemniser le consommateur pour l’indisponibilité du matériel pendant toute la durée de la procédure de désinstallation en atelier. Le juge relève également que Monsieur PERRONO a contestait la somme de 60 € proposée par le fabricant, qu’il estimait insuffisante.

6. Quelle est cette « indemnisation forfaitaire » ?

Rares sont les décisions qui utilisent cette terminologie. C’est en général le terme de « remboursement » qui est utilisé, alors qu’il n’est pas exact. S’il est celui utilisé par les fabricants qui ont mis en place une procédure de désinstallation à l’issue de laquelle ils vont verser quelques euros au consommateur pour les logiciels dont il demande le remboursement, il ne peut cependant pas correspondre à un remboursement au sens juridique du terme. En effet, faute de savoir le montant qu’il a payé au titre des logiciels inclus dans le prix du matériel, le consommateur ne peut pas vérifier que la somme versée est bien celle qu’il a déboursée ! Le terme d’indemnisation forfaitaire utilisé démontre que la question de la dissimulation du prix a été abordée et que le juge a estimé que le montant proposé n’était pas un remboursement.
Il est toutefois regrettable que le juge n’ait pas développé l’idée qui se cache derrière cette terminologie, car ce point méritait d’être abordé en profondeur.

7. La nouvelle lecture de l’article L. 122-1 du Code de la consommation.

Sur ce point, la décision est trop légèrement motivée. Le juge de proximité estime que l’impossibilité pour l’acheteur de se procurer la machine seule constitue une vente liée au sens de la jurisprudence de la Cour de cassation du 15 novembre 2010. Si ce raccourci est juridiquement exact, il demeure un peu court.

En effet, dans son arrêt du 15 novembre 2010, la Cour de cassation a rappelé que, conformément à la jurisprudence de la CJCE du 23 avril 2009, les juges du fond devaient rechercher, au terme d’une analyse au cas par cas, si la pratique commerciale dénoncée par le consommateur était ou non déloyale au regard des critères posés par la directive 2005/29/CE (articles 5 à 9) dès lors qu’elle ne figurait pas dans la liste noire de l’annexe I.

Les ventes conjointes ou subordonnées ne faisant pas partie de cette annexe I, le juge de proximité aurait dû en conclure que compte tenu des circonstances de l’espèce, il y avait non seulement une vente liée, mais également et par conséquent, une pratique commerciale déloyale au regard des critères posés par la directive. Et s’il avait été complet, il aurait même dû préciser quels étaient les critères d’appréciation de la directive susceptibles de s’appliquer au cas d’espèce (articles 5 à 9 de la directive).

8. Quels sont les autres moyens auquel le juge fait référence ?

Le juge de proximité a évacué trop rapidement « les autres moyens » manifestement soulevés au cours des débats, sans les avoir jamais rappelés dans l’exposé des prétentions de chacune des parties, ce qui n’est pas conforme aux dispositions du Code de procédure civile.

Après avoir obtenu les éléments renseignements nécessaires, il s’est avéré qu’avaient été soulevées toutes les questions relatives à la qualification des pratiques commerciales déloyales, ainsi qu’une demande de dommages et intérêts en découlant. Mais le juge n’a pas répondu aux conclusions sur ce point, ce qui est regrettable. Une voie de recours aurait pu être exercée pour faire trancher ces questions.

Sur la demande de dommages et intérêts, le juge a estimé que Monsieur PERRONO ne justifiait pas d’un préjudice direct et certain. Cette motivation est contestable car les pratiques commerciales déloyales sont sanctionnées précisément parce qu’elles ont pour effet de modifier de façon substantielle le comportement économique du consommateur qui n’aurait pas pris la décision qu’il a prise s’il avait pu faire autrement.

En conclusion, cette décision est encourageante malgré une motivation insuffisante, car elle aborde de façon pragmatique certains problèmes :

  • la distinction entre le matériel et les logiciels ;
  • les logiciels sont des options auxquelles le consommateur n’est pas tenu d’adhérer ;
  • L’article L. 122-1 du Code de la consommation doit être lu à la lumière des pratiques commerciales déloyales posées par la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005.

Commentaire par Maître Provost.

9. À lire également


10. Notes

[1] Cass. Civ. 1re, 15 nov. 2010 : Pétrus ¢ Lenovo France, arrêt n° 995

[2] Le consommateur est-il pieds et poings liés à son logiciel ? Focus par Jean-Philippe FELDMAN : Contrats Concurrence Consommation n° 6, Juin 2009, alerte 39, Lexisnexis.fr

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Arrêt Pétrus vs Lenovo par Ghislain Poissonnier : une évolution encourageante

Justice symbol glossy buttonMalgré le caractère relativement confidentiel des ventes subordonnées dans l’océan du droit de la consommation, l’arrêt Pétrus du 15 novembre 2010 n’a logiquement pas laissé indifférents quelques commentateurs.

Pour ceux qui sont abonnés à la Gazette du Palais (lextenso.fr), je vous invite à lire l’article intitulé « Vers des critères plus objectifs en matière d’exception à la règle de l’interdiction de la vente liée » écrit par Ghislain Poissonnier, Magistrat, notamment spécialisé en droit de la consommation, publié dans l’édition des 16 et 17 février 2011. Mais pour ceux qui ne sont pas abonnés, je n’ai pas d’autre solution que de vous faire un résumé de ses propos, car les éditions Lextenso m’ont refusé la publication en ligne d’une reproduction de cet article.


Je ne suis pas partisan de paraphraser cet excellent article. Je vais donc me contenter de vous en faire un rapide résumé et d’insister sur les quelques points qui ont retenu mon attention par rapport aux autres commentaires que j’ai déjà pu lire sur le sujet.

Dans le premier titre de son article, Ghislain Poissonnier revient sur « la fin de la règle en droit français de l’interdiction absolue de la vente liée ».

L’auteur rappelle d’abord le principe et le domaine de la prohibition absolue des ventes subordonnées posée, en son temps, par l’article L. 122-1 du Code de la consommation, dont l’alinéa 1 dispose que :

« Il est interdit de refuser à un consommateur la vente d’un produit ou la prestation d’un service, sauf motif légitime, et de subordonner la vente d’un produit à l’achat d’une quantité imposée ou à l’achat concomitant d’un autre produit ou d’un autre service ainsi que de subordonner la prestation d’un service à celle d’un autre service ou à l’achat d’un produit. »

Il est appréciable de trouver une interprétation rigoureuse de cet article. En effet, on lit trop souvent que l’interdiction de la subordination de vente serait susceptible de recevoir une exception, tenant à l’existence d’un motif légitime lié à l’intérêt du consommateur. Il s’agit cependant d’une interprétation erronée. En matière de vente subordonnée matériel-logiciels, elle a pourtant été astucieusement invoquée à plusieurs reprises par les fabricants de matériel informatique ou par les distributeurs, et les juges lui ont prêté une oreille favorable [1], au détriment des consommateurs.

La formulation de l’article est pourtant claire : seuls les refus de vente sont susceptibles de recevoir l’exception tirée d’un motif légitime, et non pas les subordinations de vente. C’est ce que rappelle fort justement Ghislain Poissonnier :

« Cette disposition qui figure dans une section du Code de la consommation dédiée aux “refus et subordination de vente ou de prestations de services”, dans un chapitre consacré aux “pratiques commerciales illicites”, prohibe, par dérogation au droit commun, le fait de subordonner la vente d’un produit à l’achat d’un autre produit. Il s’agit d’une prohibition générale et préventive. Ce texte s’applique à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris financiers, destinés aux consommateurs. »

Quoiqu’il en soit, même si l’article prévoyait qu’un motif légitime soit susceptible de constituer une exception à la prohibition des ventes liées, et à supposer également que la pratique de vente forcée de produits fournis par le professionnel et non demandés par le consommateur ne soit pas interdite par la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, ce qui n’est pas le cas, je pense qu’il serait totalement contraire à l’intérêt du consommateur de se voir imposer la préinstallation de logiciels avec l’achat de matériel informatique.

D’une part sur le plan économique, car il existe dans le paysage des systèmes d’exploitation plusieurs dizaines de candidats susceptibles de correspondre aux besoins des consommateurs (sur plusieurs centaines de systèmes d’exploitation environ, toutes architectures confondues). Certains sont même bien plus fiables que les produits Microsoft qui sont systématiquement vendus dans les configurations destinées au grand public et les consommateurs ont pu s’en rendre compte un peu lors de la sortie des netbooks qui étaient équipés en grande majorité de distibutions Gnu/linux plus légères (avant que Microsoft n’allège Windows XP et ne revoie sa politique tarifaire auprès des fabricants…).
L’étouffement systématique de cette concurrence par le biais de la préinstallation prive notre économie d’un certain nombre d’emplois et les entreprises concernées d’une part de développement (sur les SE, les services, etc.). La société française Mandriva, qui était le leader Européen des systèmes d’exploitation, en a d’ailleurs fait les frais puisqu’elle s’est retrouvée sous plan de continuation en 2003 et a fini par se séparer en 2010 des 15 salariés qui concevaient le cœur de son système d’exploitation, après avoir déclaré la cessation des paiements de l’une des entités du groupe qui les employait (la société Edge-IT).

D’autre part, sur le plan informatique, car installer un système d’exploitation à partir d’un disque dur vierge est aujourd’hui une opération relativement simple, surtout dans les environnements GNU/Linux les plus populaires (Ubuntu, OpenSUSE, Fedora, Mandriva, Gentoo, etc.), l’utilisateur pouvant globalement se contenter de cliquer sur le bouton « suivant » sans se soucier d’avoir à installer des dizaines de pilotes logiciels comme nous étions habitués à le faire auparavant sous Windows (ce qui ne semble plus être le cas avec Windows 7).

Ghislain Poissonnier précise quant à lui :

« (…) ce procédé présente un double danger pour le consommateur. Ce dernier risque, en premier lieu, d’acquérir plusieurs biens, le forçant ainsi à un achat inutile, alors qu’il peut seulement avoir besoin de l’un d’entre eux. Il s’agit alors d’une atteinte à son libre choix, notamment à sa liberté de pouvoir acheter des produits en quantité limitée ou à l’unité.
S’agissant des logiciels préinstallés sur les ordinateurs, les offres proposées, qui consistent en un jumelage de deux produits dont il est fait un lot indivisible, heurtent la liberté du consommateur d’utiliser ou non lesdits logiciels et son droit d’acheter ou non d’autres logiciels que ceux préinstallés. Et le consommateur a souvent, en second lieu, la croyance qu’en achetant en quantité ou par lot, le prix sera moins élevé. Or, l’avantage-prix n’est pas constitutif de la vente par lot et il peut se faire que le prix du lot soit moins avantageux que le prix du bien acheté à l’unité ou séparément. Là encore, s’agissant des logiciels préinstallés, le consommateur a qui le vendeur a imposé le choix des logiciels est bien en peine de faire jouer la concurrence et de comparer les prix. L’intérêt objectif du consommateur est donc bien d’empêcher les fabricants de “l’obliger” à acheter un ordinateur “tout compris” »

Et je partage évidemment son avis.

Le deuxième titre de l’article de Ghislain Poissonnier est intitulé « Le caractère illégal d’une vente liée doit être apprécié par le juge au regard des critères du droit communautaire ».

Après avoir brièvement évoqué le fait que la directive 2005/29/CE fournissait tous les éléments nécessaires à l’appréciation des pratiques commerciales déloyales des entreprises à l’égard des consommateurs, l’auteur revient sur l’arrêt de la CJCE du 23 avril 2009 qui a retenu que la directive devait être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui, sauf certaines exceptions et sans tenir compte des circonstances spécifiques au cas d’espèce, interdit toute offre conjointe (ventes subordonnées, en France).

En effet, comme je l’avais souligné dans le commentaire que j’avais rédigé à l’époque à propos de cette décision, le droit Européen prime le droit français en vertu du principe dit de la hiérarchie des normes. Il s’ensuit que lorsqu’une directive européenne arrête et définit des comportements prohibés de la part des entreprises en direction des consommateurs, les états ne peuvent adopter une réglementation nationale qui serait plus sévère que les dispositions de la directive.

L’annexe I de la directive 2005/29/CE fait une liste exhaustive des « Pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances », ce qui signifie qu’en dehors de ces cas prévus par l’annexe I, le juge doit alors procéder à une analyse au cas par cas des pratiques commerciales déloyales au regard des articles 5 à 9 de la directive.

Et Ghislain Poissonnier ajoute sur ce point :

« prenant acte de cette position de la CJCE, la Cour de cassation en déduit (comme indiqué dans le visa de l’arrêt du 15 novembre 2010) que l’article L. 122-1 du Code de la consommation qui interdit les ventes liées sans tenir compte des circonstances spécifiques doit être appliqué à la lumière de la directive et donc dans le respect des critères énoncés par elle ».

Les juges du fond devront donc procéder à une analyse dite in concreto du comportement du professionnel (fabricant, distributeur, etc.) et des circonstances spécifiques entourant la vente, pour savoir s’il ils sont susceptibles d’altérer de façon substantielle le comportement économique du consommateur face à des produits ou des services. « C’est ce que le juge de Tarascon avait oublié de faire », conclut Ghislain Poissonnier.

Et c’est ce que commencent à faire les juridictions du fond, ce qui fera l’objet d’un prochain billet.

À lire sur ce thème :


Notes

[1] cf. notamment : T. Corr. Montpellier, 17 juin 2008 : MP vs Dell Southern Europe ; TGI Paris, 24 juin 2008 : UFC – Que Chosir vs Darty & Fils

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Arrêt Guerby vs Darty du 15 novembre 2010 : la Cour de cassation étend sa jurisprudence

jurisprudanceDans un autre arrêt rendu le 15 novembre 2010, la première Chambre civile de la Cour de cassation a de nouveau statué sur la question de la vente de matériel informatique avec des logiciels préinstallés.

Par cette décision, la Cour de cassation a manifestement entendu généraliser sa jurisprudence sur la lecture à avoir de l’article L. 122-1 du Code de la consommation, puisqu’après s’être prononcée sur le cas des assembleurs dans l’arrêt Prétrus, elle adopte le jour même une solution identique à l’égard des revendeurs, ici la société DARTY.

Voici quelques explications.

Cass. Civ. 1re, 15 nov. 2010, arrêt n° 994, pourvoi n° 08-20227 FS-D


 

1. Rappel des faits et de la procédure de première instance.

Le 6 juin 2006, Monsieur GUERBY a fait l’acquisition de matériel informatique auprès de la société DARTY & FILS, en l’espèce un ordinateur portable TOSHIBA à 799 € qui était préinstallé d’un certain nombre de logiciels.

Lors de son achat, Monsieur GUERBY avait pourtant indiqué au vendeur qu’il ne souhaitait pas acquérir et payer ces logiciels (le système d’exploitation Microsoft windows XP, Microsoft Works 8), car il n’avait aucune intention de les utiliser. Mais il lui avait été répondu qu’il était impossible de vendre la machine sans ces logiciels et d’en réduire le prix en conséquence.

Monsieur GUERBY a donc saisi la juridiction de proximité le 19 octobre 2006 en demandant la condamnation de la société DARTY à lui payer la somme de 359 € au titre du prix des logiciels préinstallés, ainsi que 3.000 € au titre de ses frais irrépétibles (article 700 du Code de procédure civile).

La société DARTY a pour sa part demandé que Monsieur GUERBY soit débouté de sa demande, subsidiairement, le cantonnement de sa condamnation à une somme comprise entre 10 et 25 % du prix de l’ordinateur et la condamnation du demandeur à lui payer la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

2. La décision du Juge de proximité.

De façon tout à fait laconique, le juge s’est contenté de relever qu’à la suite de sa demande, Monsieur GUERBY avait été informé par la société DARTY qu’il était impossible de vendre l’ordinateur sans les logiciels et de réduire le prix en conséquence. Il a donc retenu :

Que dès lors, Monsieur GUERBY reconnaît avoir été parfaitement informé de son achat,Qu’il a eu le choix d’acheter ou non,Qu’au regard de l’article 1235 du Code civil, aucune condition de la répétition de l’indû n’est réunie,Qu’en conséquence, Monsieur GUERBY sera débouté de ses demandes, faute de fondement juridique.

3. Quelques mots de commentaires.

Il faut bien reconnaître que ce jugement, on ne peut plus laconique, est particulièrement décevant et mal motivé, alors qu’aux termes de l’article 455 du Code de procédure civile, les juges doivent motiver les jugements qu’ils rendent.

En retenant que le consommateur aurait fait son choix en connaissance de cause, le juge de proximité s’est contenté de se placer sur le seul terrain juridique des vices du consentement issus du Code civil. Il a estimé que le consentement de Monsieur GUERBY n’avait pas été vicié lors de son achat, car DARTY l’avait informé du fait que le matériel n’était vendu qu’avec des logiciels.

Or, c’est oublier un peu vite les règles spéciales issues du Code de la consommation (lesquelles priment sur la règle générale selon l’adage specialia generalibus derogant) qui traitent cette question spécifique des vices du consentement au travers des pratiques commerciales déloyales des entreprises à l’égard des consommateurs.

C’est également méconnaître la réalité du marché et les problèmes auxquels les consommateurs se trouvent confrontés, parfois sans le savoir, lors de l’achat de matériel informatique et plus particulièrement d’un ordinateur portable. Car, ne l’oublions pas, si les consommateurs peuvent choisir leur matériel dans les moindres détails, tant l’offre est variée (on choisit la taille de son écran, la capacité et les caractères matériels du disque dur, on regarde l’autonomie, la carte graphique pour les joueurs nomades, la quantité de mémoire vive, les performances du processeur, etc.), ils ne choisissent pas les logiciels qui sont préinstallés, sans qu’ils les aient jamais demandés, sur le matériel. Pire, ils ne peuvent pas non plus choisir de ne pas les payer avec la machine qu’ils convoitent.

Fort heureusement, Monsieur GUERBY ne s’est pas satisfait de cette mauvaise décision et a formé un pourvoir en cassation à son encontre.

4. L’arrêt de la Cour du 15 novembre 2010.

Dans son arrêt, la Cour de cassation a retenu :

Attendu que pour rejeter cette demande, la juridiction de proximité a retenu que M. Guerby reconnaissait dans ses écritures que lors de son achat il ne souhaitait pas acquérir et payer les logiciels préinstallés « Microsoft Windows XP » et « Microsoft Works 8 » vendus avec ce portable au motif qu’il n’en avait pas l’utilité ni l’intention de les utiliser que le vendeur a indiqué qu’il était impossible de vendre l’ordinateur sans ces logiciels et de réduire le prix en conséquence, que dès lors M. Guerby reconnaissait avoir été parfaitement informé lors de son achat, qu’il a eu le choix d’acheter ou non et qu’aucune condition de l’article 1135 du Code civil n’est remplie ;

Attendu qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. Guerby qui soutenait qu’ayant proposé à la vente un produit composé d’un ordinateur et de logiciels préinstallés, sans offrir au consommateur la possibilité de n’acheter que le seul ordinateur, la société Darty avait procédé, avant l’expiration du délai de transposition de la directive n° 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005, à une vente liée prohibée par l’article L. 122-1 du code de la consommation, justifiant la résolution partielle du contrat et le remboursement du prix des logiciels qui ne lui étaient d’aucune utilité, la juridiction de proximité n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé. »

5. Portée de l’arrêt de la Cour de cassation

Dans la droite ligne de l’arrêt Pétrus qui concernait les fabricants de matériel informatique (la société Lenovo), la Cour de cassation vient appliquer dans un arrêt du même jour, la même solution aux revendeurs de matériel informatique, en rappelant aux juridictions du fond le sens de la lecture de l’article L. 122-1 du Code de la consommation depuis ladirective 2005/29/CE « relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs ».

Elle précise que quelle que soit l’entreprise (fabricants, revendeurs, etc. soit les professionnels en général), il convient de procéder à une analyse in concreto des circonstances spécifiques entourant la vente du matériel, afin de vérifier si la pratique commerciale dénoncée par les consommateurs n’entre pas dans les prévisions de la directive 2005/29/CE, laquelle décrit les comportements des entreprises susceptibles d’être sanctionnés.

Dans la présente affaire, la Cour de cassation a reproché au juge de proximité de Paris d’avoir, dans un jugement en date du 25 septembre 2008, débouté Monsieur GUERBY sans vérifier si la pratique commerciale de la société DARTY qu’il dénonçait, ne constituait pas une subordination de vente au sens de l’article L. 122-1 du Code de la consommation interprété à la lumière de la directive 2005/29/CE du Parlement et du Conseil du 11 mai 2005, même si elle n’avait encore fait l’objet d’aucune transposition à l’époque (la transposition devait intervenir au plus tard le 12 juin 2007 pour être mise en application au plus tard le 12 décembre 2007, mais n’interviendra dans notre droit qu’au terme de loi 2008-3 du 3 janvier 2008 (consolidée le 3 juillet 2010) ainsi que la loi de modernisation de l’économie (LME) n° 2008-776 du 4 août 2008).

De par le principe dit de la « hiérarchie des normes », le droit européen prime le droit national. Dans un arrêt du 23 avril 2009, la Cour de Justice des Communautés Européennes (qui deviendra la CJUE peu de temps après) avait dit pour droit qu’un État membre de l’union ne pouvait adopter une réglementation plus stricte que celle prévue par les directives européennes. Elle avait donc sanctionné l’article 54 de la loi de 1991 de la loi belge qui posait une prohibition de principe des offres conjointes, sans tenir compte des circonstances de l’espèce (cf. mon commentaire).

À l’époque, et encore récemment, de nombreux commentateurs en avaient hâtivement conclu qu’il s’agissait de la fin de la prohibition des ventes subordonnées. À tort, car la seule chose qui est interdite est l’adoption par un État membre d’une réglementation plus stricte que les dispositions prévues par la directive.

L’article L. 122-1 de notre Code de la consommation était directement concerné en ce qu’il pose lui aussi une interdiction de principe des ventes subordonnées, sans tenir compte des circonstances de l’espèce. La Cour de cassation a précisé avec l’arrêt Pétrus que ce texte devait être interprété à lumière de la directive 2005/29/CE, selon la lecture donnée par la Cour de Justice dans son arrêt du 23 avril 2009.

Ainsi, comme pour l’arrêt Pétrus, il importe peu que les ventes subordonnées ne soient pas expressément visées dans l’annexe I de la directive 2005/29/CE qui établit la « liste noire » des pratiques commerciales déloyales en toutes circonstances, la Cour de cassation rappelant une nouvelle fois que les juges du fond doivent vérifier si la pratique commerciale dénoncée par le consommateur n’est pas susceptible de correspondre à l’une des pratiques commerciales interdites, dont la directive nous donne tous les critères d’appréciation (appréciation au cas par cas au regard des articles 5 et 9 de la directive).

En l’espèce, Monsieur GUERBY avait soutenu devant le Juge de proximité que le fait de vendre du matériel avec des logiciels préinstallés constituait une vente liée au sens de l’article L. 122-1 du Code de la consommation. Sans tenir compte de la directive qui précédait sa décision depuis plusieurs années, le juge l’avait débouté en estimant qu’il avait été informé de cette vente subordonnée, mais qu’il avait fait un choix en connaissance de cause en décidant d’acheter le matériel !

Vous l’avez compris, le juge de proximité de Paris aurait dû vérifier si la vente de matériel informatique avec des logiciels préinstallés était une pratique commerciale susceptible d’entrer dans la définition prévue par la directive 2005/29/CE.

Et clairement, la directive donne tout ce qu’il faut pour faire sanctionner les pratiques commerciales déloyales des professionnels.

Au sens de cette directive, une pratique commerciale est déloyale si elle réunit deux conditions cumulatives, à savoir une contrariété aux exigences de la diligence professionnelle et une altération, effective ou potentielle, substantielle du comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu’elle touche ou auquel elle s’adresse.

Elle précise en son article 8 que :

« Une pratique commerciale est réputée agressive si, dans son contexte factuel, compte tenu de toutes ses caractéristiques et des circonstances, elle altère ou est susceptible d’altérer de manière significative, du fait du harcèlement, de la contrainte, y compris le recours à la force physique, ou d’une influence injustifiée, la liberté de choix ou de conduite du consommateur moyen à l’égard d’un produit, et, par conséquent, l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement. »

L’article 9 (§ d) de la directive définit les notions de harcèlement, de contrainte et d’influence injustifiée eu égard au comportement du professionnel, en tenant compte notamment de :

« Tout obstacle non contractuel important ou disproportionné imposé par le professionnel lorsque le consommateur souhaite faire valoir ses droits contractuels, et notamment celui de mettre fin au contrat ou de changer de produit ou de fournisseur. »

Or, en imposant aux consommateurs systématiquement les mêmes logiciels avec chaque matériel différent, en ne les mettant pas en mesure de ne pas acheter les logiciels avec le matériel qu’ils ont choisi, les constructeurs et les revendeurs modifient le comportement économique des consommateurs qui ne peuvent plus faire leur choix, car pour pouvoir acheter le matériel le matériel qu’ils convoitent, ils doivent nécessairement payer les logiciels.

De même, en dissimulant le prix des logiciels derrière une artificielle « offre commerciale unique » ou un « produit unique » , alors que le matériel et les logiciels sont, tant par nature que par leur régime juridique, deux éléments parfaitement distincts, les professionnels altèrent la liberté de choix des consommateurs.

Enfin, il faut aussi rappeler que l’annexe I de la directive 2005/29/CE qui dresse la liste noire des « pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances » répute agressive la pratique commerciale consistant à :

« 29) Exiger le paiement immédiat ou différé de produits fournis par le professionnel sans que le consommateur les ait demandés, ou exiger leur renvoi ou leur conservation, sauf lorsqu’il s’agit d’un produit de substitution fourni conformément à l’article 7, paragraphe 3, de la directive 97/7/CE (fournitures non demandées). ».

Les « ventes subordonnées » de l’article L. 122-1 du Code de la consommation doivent donc se lire à la lumière des dispositions de la directive 2005/29/CE et c’est donc une analyse in concreto qui doit être faite par le juge, pour chacun des consommateurs qui va en justice, ce que le Juge de proximité de Paris n’avait pas fait.

J’ajoute à titre personnel, qu’il ne faut pas se méprendre sur l’apparente facilité à mettre en œuvre ces règles. Je discute souvent avec des consommateurs qui pensent pouvoir faire face seuls, devant un juge, à une telle argumentation. Or, la pratique démontre qu’ils ont tort et que les décisions qui leur sont rendues sont mauvaises car ils n’ont pas su expliquer le problème. Ce débat qui mêle informatique et droit de la consommation est technique et la résistance des constructeurs, très forte.

6. À lire sur ce thème

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Arrêt Pétrus vs Lenovo du 15 novembre 2010 : la Cour de cassation rétablit l’équilibre à l’égard des consommateurs

Le 15 novembre jurisprudence2010 (arrêt n° 995, pourvoi n° 09-11.161, publié sur son site), la première Chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt fondamental relatif aux pratiques commerciales déloyales des constructeurs assembleurs de matériel informatique qui vendent aux consommateurs qui pourtant ne les demandent pas, un nombre important de logiciels allant du système d’exploitation Microsoft jusqu’aux logiciels applicatifs sous architecture Windows (un antivirus, pour patcher la passoire Windows, plusieurs traitements de texte, des logiciels de traitement d’images, etc., et ce sans compter les multiples utilitaires).

Pourquoi l’arrêt de la Cour de cassation est-il fondamental ?


1. Rappel des faits et de la procédure.

Le 25 mars 2008, Monsieur PETRUS a saisi le Juge de proximité de TARASCON aux fins de voir condamner la société LENOVO à lui payer la somme de 404,81 € au titre du remboursement des licences de l’ensemble des logiciels préinstallés sur son matériel informatique.

Monsieur PETRUS a rappelé qu’il avait fait l’acquisition d’un matériel informatique de marque LENOVO (un ordinateur portable) le 6 décembre 2007, que le 15 décembre suivant il avait écrit à l’assembleur pour lui indiquer que s’il était satisfait de son matériel, il n’avait en revanche aucune utilité de l’ensemble des logiciels qui y étaient préinstallés et qu’il avait donc demandé le remboursement des logiciels comme les termes CLUF l’y invitaient en cas de refus d’acceptation de la licence du système d’exploitation hôte.

En réponse, la société LENOVO lui a rappelé en substance que la présentation commerciale lui avait été clairement indiquée et que ce matériel n’était vendu qu’avec un certain nombre de logiciels préinstallés faisant partie intégrante du produit mis en vente de sorte qu’il ne pouvait ignorer la nature exacte du produit au moment de l’achat. Elle a ajouté que le distributeur offrait la possibilité de choisir tous les composants d’un PC et fournissait en outre un service d’assemblage et que par conséquent, elle ne donnerait pas suite à sa demande de remboursement.

Monsieur PETRUS estimait pour sa part que la position de la société LENOVO était contraire à l’article L. 122-1 du Code de la consommation et que le CLUF du système d’exploitation Microsoft lui indiquait la possibilité de se faire rembourser. LENOVO s’opposait à cette argumentation en prétendant que Monsieur PETRUS faisait une confusion « entre les ventes liées de produits distincts et séparés et la vente de produits complexes d’un ensemble de composants indispensables à la définition du produit telle que voulue par le constructeur » et que le « désaccord sur les termes de la licence […] » permettait à « l’acheteur de retourner les marchandises contre remboursement » (sous entendu, le matériel et les logiciels).

Le Juge de proximité de TARASCON a alors estimé devoir traiter cette question sous l’angle juridique du vice du consentement, pour savoir s’il pouvait y avoir erreur ou dol au choix fait par Monsieur PETRUS. Et pour le débouter de sa demande, il a retenu :

« Attendu que l’accord des parties s’est fait sur un type d’ordinateur complet et prêt à l’emploi.
Attendu qu’en effet, il est démontré que les fiches techniques de l’ordinateur que le demandeur verse au dossier et qu’il a pu consulter préalablement à son acquisition précise pour ce qui concerne les logiciels qu’ils sont intégrés au produit.Attendu que le demandeur avait, l’acquisition effectuée, la possibilité comme le précisait le CLUF, de se faire rembourser les marchandises s’entendant du produit dans sa globalité et non tel ou tel élément de choix de l’acquéreur En conséquence, il sera jugé que la société LENOVO ne contrevient pas aux dispositions de l’article L. 122-1 du Code de la consommation en proposant à la vente des ordinateurs prééquipés de logiciels d’exploitation et d’utilisation »

Monsieur PÉTRUS ayant estimé, à juste titre, que le Juge de proximité de TARASCON avait fait une inexacte appréciation du droit applicable, il a formé un pourvoi en cassation. Et il en a été bien avisé, puisque cet arrêt a été cassé dans des termes qui ne laissent aucune place au doute sur les questions complexes de ventes subordonnées et de pratiques commerciales des professionnels à l’égard des consommateurs.

2. La solution retenue par la Cour de cassation.

Elle est limpide :

« Vu l’article L. 122-1 du code de la consommation, interprété à la lumière de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005
Attendu que pour débouter M. X… de sa demande, la juridiction de proximité retient que l’accord des parties s’est fait sur un type d’ordinateur complet et prêt à l’emploi et que le consommateur avait, l’acquisition effectuée, la possibilité de se faire rembourser les marchandises dans leur globalité ; »Attendu, cependant, que par arrêt du 23 avril 2009 […] a dit pour droit que la Directive 2005/29/CE […] doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui, sauf certaines exceptions et sans tenir compte des circonstances spécifiques du cas d’espèce interdit toute offre conjointe faite par un vendeur à un consommateur, de sorte que l’article L. 122-1 du code de la consommation qui interdit de telles offres conjointes sans tenir compte des circonstances spécifiques doit être appliqué dans le respect des critères énoncés par la directive ;qu’en statuant comme elle l’a fait sans rechercher si la pratique commerciale dénoncée entrait dans les prévisions des dispositions de la directive relative aux pratiques commerciales déloyales , la juridiction de proximité n’a pas donné de base légale à sa décision. »

3. La Haute Cour rétablit l’équilibre en faveur des consommateurs.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation met fin à la controverse sur le devenir de l’article L. 122-1 du Code de la consommation français et la prohibition des ventes subordonnées, en précisant le champ d’application de cet article au regard de la jurisprudence Européenne.

J’avais lu beaucoup de commentaires à l’époque et tous (ou presque ?) prétendaient quel’arrêt de la CJCE du 23 avril 2009 (à l’époque, elle est aujourd’hui la CJUE) allait mettre fin au contentieux issu des ventes subordonnées. J’avais contesté à l’époque cette vision que j’estimais réductrice dans un commentaire que j’avais (publié).

Aujourd’hui, la Cour suprême fait clairement un rappel en direction des juridictions du fond pour mettre fin à la dérive actuelle de la « jurisprudence » (en réalité, quelques décisions sur le sujet) qui a tendance à débouter un peu vite les consommateurs qui viennent solliciter en justice le remboursement des logiciels inutilisés sur le fondement de l’article L. 122-1 du Code de la consommation, alors que les assembleurs exigent de leur part le paiement de logiciels qu’ils n’ont pas demandés.

Elle vient donc utilement rappeler le sens de la lecture de l’arrêt de la CJCE du 23 avril 2009, en précisant que si la directive s’oppose aux réglementations nationales posant une interdiction de principe, il doit cependant être tenu compte des exceptions (posées par les états) et des circonstances spécifiques du cas d’espèce (celles entourant la vente), et ce au regard des critères posés par la directive 2005/29/CE du parlement et du conseil du 11 mai 2005.

Elle reproche donc au Juge de proximité d’avoir débouté Monsieur PETRUS en se contentant de retenir, sur le fondement de l’article L. 122-1 du code de la consommation, qu’il n’y avait pas de vente subordonnée dans l’offre de LENOVO, sans rechercher si cette dernière s’était livrée à l’égard du demandeur, à une pratique commerciale déloyale.

En résumé, la vente subordonnée réglementée par l’article L. 122-1 du Code de la consommation est prohibée si les circonstances qui l’entourent constituent une pratique commerciale déloyale à l’égard des consommateurs, au regard des critères posés par la directive 2005/29/CE.

Au sens de cette directive, une pratique commerciale est déloyale si elle réunit deux conditions cumulatives, à savoir une contrariété aux exigences de la diligence professionnelle et une altération, effective ou potentielle, substantielle du comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu’elle touche ou auquel elle s’adresse.

De même, cette directive précise en son article 8, que :

« une pratique commerciale est réputée agressive si, dans son contexte factuel, compte tenu de toutes ses caractéristiques et des circonstances, elle altère ou est susceptible d’altérer de manière significative, du fait du harcèlement, de la contrainte, y compris le recours à la force physique, ou d’une influence injustifiée, la liberté de choix ou de conduite du consommateur moyen à l’égard d’un produit, et, par conséquent, l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement.»

La loi 2008-3 du 3 janvier 2008 ainsi que la loi de modernisation de l’économie n° 2008-776 du 4 août 2008 ont toutes deux transposé la « liste noire » de l’annexe I de la Directive 2005/29/CE, qui comprend 23 pratiques commerciales trompeuses et 8 pratiques commerciales agressives, notamment aux articles L. 121-1 à L. 121-7 et L. 122-11 à L. 122-15 du Code de la consommation (cf. mon commentaire).

Par conséquent, la Cour de cassation invite clairement à s’interroger sur les circonstances entourant la vente pour apprécier si elles engendrent ou non un déséquilibre significatif au détriment du consommateur dans ses rapports contractuels avec les assembleurs au regard des dispositions du Code de la consommation.

Ce sont ces circonstances qui bordent désormais l’appréciation de l’article L. 122-1 du Code de la consommation, dont la jurisprudence l’entourant est remise au goût du jour avec les produits technologiques puisqu’elle n’avait tendance qu’à réglementer les lots de casseroles (cf. notamment : Cass. crim., 30 nov. 1981 : D. 1982, inf. rap. p. 151), de yaourts, etc.

Dans la situation de Monsieur PETRUS, le Juge de proximité de TARASCON aurait dû vérifier s’il pouvait débouter le demandeur de sa demande de remboursement des logiciels, alors que « l’accord des parties s’est fait sur un type d’ordinateur complet et prêt à l’emploi et que le consommateur avait, l’acquisition effectuée, la possibilité de se faire rembourser les marchandises dans leur globalité ». De toute évidence non, etnotamment parce qu’en revendant les licences pour des logiciels qu’elle préinstalle sans que le consommateur les ait demandés, la société LENOVO enfreint les dispositions de l’article L. 122-11-1, 6° du Code de la consommation, de même qu’elle ne se conforme pas aux indications du CLUF qui précisent que le système d’exploitation peut être remboursé.

Il serait trop long de dresser ici la liste exhaustive de l’ensemble des pratiques commerciales déloyales et abusives qu’utilisent les assembleurs à l’encontre des consommateurs (je la réserve actuellement à mes adversaires !).

Mais on imagine aisément que constitue notamment une pratique commerciale abusive et déloyale au sens de la directive et des dispositions du Code de la consommation, le fait :

  • d’exiger du consommateur le paiement du prix pour des logiciels qu’il n’a pas demandés ;
  • de n’être pas informé avant la vente de l’existence d’une bien mal nommée « procédure de remboursement », lorsque le constructeur la prévoit, qui ne rembourse pas le prix facturé au consommateur et qui lui impose de se conformer à différentes obligations tout à fait exorbitantes, telles que le renvoi de la machine pour désinstallation du SE, clause maintes fois déclarée abusive par la jurisprudence ;
  • le fait de ne pas informer les consommateurs sur les qualités essentielles du produit (notamment en leur précisant que les logiciels ne sont pas obligatoires), et sur les prix ;
  • le fait que l’assembleur s’octroie plus de droits qu’il n’en a en s’opposant au remboursement des logiciels non utilisés et en conditionnant ce prétendu remboursement au respect de leur « procédure », alors qu’en refusant le contrat de licence, le consommateur ne peut se voir imposer d’autres obligations auxquelles il n’a pas consenties…

Et la liste est très longue !

Cet heureux arrêt de la Cour de cassation va sans doute freiner un peu les interprétations sujettes à caution faites par les assembleurs et issues de l’arrêt de la Cour d’appel de PARIS du 26 novembre 2009 (opposant l’UFC QUE CHOISIR à la société DARTY & FILS, sur l’appel de la décision rendue par le tribunal de grande instance de PARIS le 24 juin 2008, pitoyable pour les droits des consommateurs), puisque la Cour d’appel n’avait pas passé en revue les circonstances entourant ce type de ventes.

Ce n’est pas parce que le produit est « technologique » ou « sophistiqué » que cela dispense les assembleurs de respecter le minimum de leurs obligations que leur impose leur déontologie professionnelle ou les dispositions du Code de la consommation.

Le mérite de cette excellente décision revient à la persévérance de Monsieur PETRUS et de son avocat à la Cour de cassation, qui avait développé dans son mémoire ampliatif deux moyens dont le premier divisé en pas moins de sept branches bien argumentées, a suffi à convaincre la Cour de cassation !

À noter également que cet arrêt de la Cour de cassation est, dans notre jargon, un arrêt « publié » (mention FS-P+B+I), ce qui lui confère une autorité indiscutable.


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