Les conditions générales : panorama et solutions

De nombreuses entreprises rédigent des conditions générales. Il peut s’agir de conditions générales de vente (CGV) ou d’achat (CGA).

Les conditions générales constituent l’offre par laquelle le professionnel détermine sa politique commerciale, c’est-à-dire les conditions auxquelles il entend négocier et contracter avec un autre partenaire (comme par exemple l’acquéreur de ses produits). Elles fixent la détermination du prix, les conditions de règlement, les règles de transfert de propriété, le tribunal compétent, la loi applicable, et de nombreuses autres choses. Et lorsqu’elles sont signées, les conditions générales deviennent un véritable contrat.

Néanmoins, il faut bien distinguer le contrat des conditions générales. En imageant un peu la chose, le contrat serait un contenant et les conditions générales un contenu.

C’est l’objet de notre article aujourd’hui.

1. Les conditions générales, « socle unique de la négociation commerciale »

Les conditions générales sont parfaitement négociables. C’est ce que rappelle l’article L.441-1 du Code de commerce : elles constituent « le socle unique de la négociation commerciale ». Elles sont d’ailleurs intégrées dans le Code de commerce au titre IV relatif à « la transparence, des pratiques restrictives de concurrence et d’autres pratiques prohibées » lui-même inséré au livre IV traitant « De la liberté des prix et de la concurrence ».

Les deux premiers alinéas de cet article fixent les règles :

« I. – Les conditions générales de vente comprennent notamment les conditions de règlement, ainsi que les éléments de détermination du prix tels que le barème des prix unitaires et les éventuelles réductions de prix.

II. – Toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services qui établit des conditions générales de vente est tenue de les communiquer à tout acheteur qui en fait la demande pour une activité professionnelle. Cette communication s’effectue par tout moyen constituant un support durable. »

La négociation entre les parties est donc la règle.

2. Les conditions générales doivent être portées à la connaissance et être acceptées par le partenaire.

La loi impose l’acceptation des conditions générales par le partenaire (A). La jurisprudence, quant à elle, admet aisément cette acceptation en matière commerciale (B).

2.1. La loi exige que l’autre partie accepte les conditions générales.

Le principe est rappelé par les textes. L’article 1119 alinéa 1 du Code civil rappelle que les documents doivent être portés à la connaissance de l’autre partie et acceptés par cette dernière :

« Les conditions générales invoquées par une partie n’ont effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées ».

Par ailleurs, l’article L. 441-1, II du Code de commerce exige lui aussi la communication des conditions générales, si l’autre partie en fait la demande:

« Toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services qui établit des conditions générales de vente est tenue de les communiquer à tout acheteur qui en fait la demande pour une activité professionnelle. Cette communication s’effectue par tout moyen constituant un support durable. »

Le manquement à cette obligation est sanctionné par une amende administrative de 15.000 € pour les personnes physiques, et de 75.000 € pour les personnes morales.

2.2. Quelles sont les sanctions contractuelles en cas de non respect de la loi ?

Au delà de l’amende évoquée ci-dessus, que se passe-t-il lorsque les conditions générales ne sont pas portées à la connaissance de l’autre partenaire et qu’il ne les a pas acceptées ?

La jurisprudence invite à dissocier le contrat des conditions générales. Le contrat est considéré comme le contenant et les conditions générales comme le contenu. Dans un arrêt du 20 avril 2017, la Cour de cassation précise que la connaissance et l’acceptation des conditions générales par l’autre partie conditionnent leur opposabilité et non la formation du contrat en lui-même (Cass. Civ. 3e, 20 avril 2017, n°16-10696) :

« Attendu que, pour accueillir la demande de la société Le Rubia et rejeter celle des sociétés SFS et Elite Insurance, l’arrêt retient que les contrats n’avaient pas été valablement formés en dépit de l’acceptation par la société Le Rubia des offres qui lui avaient été faites dans la mesure où la validité des notes de couverture était conditionnée à la fourniture de la déclaration d’ouverture de chantier qui n’a jamais été remise et que les conditions générales et particulières des contrats n’avaient pas été adressées à la société Le Rubia et acceptées par elle ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que la société Le Rubia avait accepté les offres émises par l’assureur à qui elle avait adressé trois chèques en règlement des primes et alors que la connaissance et l’acceptation des conditions générales et particulières conditionnent leur opposabilité à l’assuré et non la formation du contrat, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ; ».

Dans cette affaire, les conditions générales de l’offrant (le contenu, les règles spéciales) ne s’appliquaient pas faute d’avoir été portées à la connaissance du partenaire ni d’avoir été acceptées par lui. Ainsi, les modalités particulières qu’elles prévoyaient, plus contraignantes, ne s’appliquent pas. Néanmoins, le contrat (le contenant, la règle générale), est considéré comme valable. Faute de conditions générales applicables, c’est alors la loi qui va le « remplir » et servir de contenu.

Par exemple, si le vendeur prévoyait dans ses CGV une clause de réserve de propriété du bien jusqu’à son complet paiement par l’acheteur, cette clause ne s’appliquera pas et c’est loi qui donnera la solution. Sur ce point, c’est l’article 1196 du Code civil qui règlera la situation et il prévoit que le transfert de propriété s’opère lors de la conclusion du contrat.

Cette connaissance des conditions générales de vente, exigée par la loi, est appréciée avec souplesse par la jurisprudence.

2.3.  L’acceptation des CGV dans les relations d’affaires : le point de vue de la jurisprudence.

La communication et l’acceptation des conditions générales est donc fondamentale. Mais dans une relation d’affaires, marquée par la rapidité et l’oralité, comment prouver une telle acceptation ? En cette matière, les juges évitent heureusement tout excès de rigueur.

  • En premier lieu, les conditions générales sont considérées comme acceptées lorsque, au recto, le contrat comportait une mention de renvoi aux conditions générales figurant au verso (Com., 2 juin 2015, n° 14-11.014) :

« Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le contrat souscrit par M. X… comportait, au recto, une mention de renvoi aux conditions générales du contrat figurant au verso, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations ; »

  • En deuxième lieu, l’acceptation peut aussi résulter des relations commerciales des parties (Com. 11 octobre 2005, n° 97-14.072) :

« Mais attendu que l’arrêt relève que les deux sociétés étaient en relations d’affaires depuis plusieurs années et retient qu’elles avaient donné lieu à plusieurs facturations, que la clause attributive de compétence figure de façon suffisamment lisible pour un professionnel averti au verso des papiers commerciaux et que la société Cifra ne peut soutenir n’en avoir pas pris connaissance au motif qu’elle n’avait jamais eu jusque-là de litige avec la société Spim ; qu’ayant ainsi fait ressortir que la société Cifra qui avait connaissance de la clause attributive de compétence par les conditions générales de vente de la société Spim, l’avait tacitement acceptée pour les litiges pouvant les opposer, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ; »

Au regard de ces éléments, il est conseillé de prévoir sur le bon de commande une clause visant expressément l’acceptation des conditions générales par le partenaire. C’est la solution la plus sûre.

3. Le règlement des conflits de conditions générales.

Il n’y a pas de problème lorsque les clauses des conditions générales se complètent, puisque dans ce cas, elles intègrent toutes le contrat.

Néanmoins, le risque d’incompatibilité est grand. Deux exemples suffiront pour s’en convaincre. Par exemple, il y a un conflit lorsque, en matière de transfert des risques, les CGV du vendeur précisent que les risques sont transmis à l’acheteur dès l’expédition du bien et que les CGA du partenaire précisent que les risques sur la chose ne sont transférés qu’à sa réception. Chacun rédige ses conditions en fonction de ses intérêts. De même en ce qui concerne le tribunal compétent, lorsqu’une des parties considère qu’en cas de litige, il faut aller devant le tribunal d’Angers et que pour son partenaire, il est prévu de régler le litige devant le tribunal de Bordeaux.

Dans ces deux cas l’enjeu est réel. Le premier exemple détermine la partie qui supportera les coûts si le bien est endommagé ou détruit durant le transport. Le second détermine qui va devoir se déplacer en cas de litige et donc engager des frais supplémentaires. Si vous êtes angevin, aller au tribunal de Bordeaux est bien plus contraignant que d’aller au tribunal d’Angers et réciproquement.

Il nous appartient donc de savoir comment remédier à l’incompatibilité entre les différentes clauses des conditions générales. Plusieurs solutions sont possibles.

3.1. Première règle : l’élimination des clauses contradictoires.

Les conditions générales incompatibles sont exclues du contrat : car on considère que les parties ne se sont pas mises d’accord. C’est la règle du « knock out ». Cette solution, influencée par les textes européens, a été consacrée par le Code civil à l’article 1119 :

« En cas de discordance entre des conditions générales invoquées par l’une et l’autre des parties, les clauses incompatibles sont sans effet ».

Exemple : le vendeur prévoit dans ses CGV que le paiement aura lieu avant la livraison du bien, mais l’acheteur considère dans ses CGA que le prix sera versé après la livraison. Dans cette hypothèse, ces deux clauses s’annulent et il convient d’appliquer la loi. L’article L. 441-10, I du Code de commerce prévoit que :

« I.-Sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues ne peut dépasser trente jours après la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation demandée.

Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours après la date d’émission de la facture.

Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois après la date d’émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu’il ne constitue pas un abus manifeste à l’égard du créancier. »

3.2. Deuxième règle : la primauté des clauses de l’offrant.

Les conditions générales de l’offrant s’imposent à l’acceptant. C’est le « first shot rule », adopté par le droit néerlandais.

Exemple : le vendeur prévoit dans ses CGV que la nullité d’une clause n’entraîne pas l’anéantissement de tout le contrat. L’acheteur, quant à lui, considère dans ses CGA que la nullité d’une seule clause entraîne l’anéantissement de l’entier contrat. Si le vendeur a proposé le contrat en premier, ses CGV primeront et le contrat restera applicable même si une clause est nulle. Si au contraire c’est l’acheteur qui a proposé le contrat en premier, ses CGA prévaudront et le contrat succombera si une seule clause est nulle.

3.3. Troisième règle : la primauté des clauses de l’acceptant.

Les conditions générales de l’acceptant s’imposent à l’offrant, sauf en cas de modification trop importante. C’est le « last shot rule », adopté par le droit anglais lorsqu’éclate une « battle of the forms » (divergences entre conditions générales).

Exemple : le vendeur prévoit dans ses CGV qu’il ne garantit pas les éventuels vices cachés du bien vendu, mais l’acheteur considère dans ses CGA que le vendeur devra cette garantie. Le vendeur propose le contrat en premier. L’acheteur accepte. C’est le cas inverse du numéro 2. Les CGA de l’acheteur primeront, car dans cette hypothèse, ce sont les conditions générales de l’acceptant qui s’imposent. Ainsi, le vendeur devra garantir l’acheteur contre les vices cachés du bien vendu. Et vice versa.

3.4. En conclusion, plusieurs cas sont possibles.

Premièrement, vous vous accordez avec votre partenaire sur chaque clause. C’est la solution la plus pure et la plus sûre juridiquement, car les parties ont consenti chaque point. Cependant, elle est difficilement envisageable, car la pratique des affaires a besoin de rapidité et de fluidité.

Deuxièmement, vous pouvez écarter les documents de l’autre partie. Une clause stipulant que vos conditions générales prévalent sur tout autre document du partenaire peut être rédigée. Il convient cependant d’être vigilant sur un point : lorsque les conditions générales d’achat sont utilisées pour paralyser l’application des conditions générales de vente. Cette pratique peut être sanctionnée si elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties (C. Com., art. L. 442-1, 2°).

Troisièmement, l’article L. 441-1 du Code de commerce règle le problème en faisant prévaloir les conditions générales de vente sur celles d’achat. Il prévoit en effet que les conditions générales de vente constituent « le socle unique de la négociation commerciale ». Il vise à lutter contre une pratique tendant à faire prévaloir les conditions générales d’achat sur les conditions générales de vente.

 

4. Le règlement des conflits entre conditions générales et conditions particulières

Face à ce conflit très fréquent, la jurisprudence a posé une solution constamment reprise. En effet, les juges (V. par ex. com. 6 déc. 2005, n° 03-19.750) considèrent que les conditions particulières l’emportent sur les conditions générales. Ils s’appuient pour cela sur la règle historique « specialia generalibus derogant » (i.e. la règle spéciale déroge à la règle générale) :

« Mais attendu, en premier lieu, que l’arrêt, fait l’exacte application de la loi du contrat, dès lors qu’il retient que les conditions particulières du contrat litigieux ont pour vocation de préciser ou de déroger aux conditions générales, faisant ainsi prévaloir les premières sur les dernières ; »

Néanmoins, le fondement juridique de cette règle, la force obligatoire des contrats, était imparfait (Civ. 2e, 4 oct. 2018, n°17-20.624) :

« Vu l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu que les clauses des conditions particulières d’une police d’assurance prévalent sur celles des conditions générales au cas où les premières sont inconciliables avec les secondes ; »

Aujourd’hui, la règle selon laquelle le spécial déroge au général a été expressément consacrée à l’article 1105 du Code civil par la réforme de 2016. L’article 1119 alinéa 3 du même Code la reprend et l’adapte aux conditions générales : 

« En cas de discordance entre des conditions générales et des conditions particulières, les secondes l’emportent sur les premières ».

La réforme a donc offert aux juges une parfaite assise juridique à cette solution.

On le voit, les conditions générales ne sont pas un document anodin. Pensez à les faire rédiger par des professionnels plutôt que de les « pomper » sur internet à partir de situations qui ne correspondent ni à votre entreprise, ni à vos pratiques commerciales. Les clauses sont à soigner comme on le voit aujourd’hui avec le COVID19 où la force majeure dans les CGV a été grandement négligée. La société d’avocats d’affaires DESCARTES AVOCATS est à votre service.

Par Thomas Veron, élève avocat à l’École du Centre Ouest des Avocats.

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