Plan de cession : quelle est la valeur de l’amélioration de l’offre lors de l’audience ?

C’est résumée en ces termes que se posait la question que j’avais dû soumettre à la sagacité de la chambre commerciale de la Cour d’appel de Bordeaux, dont la solution a été rendue le 29 novembre 2024.

L’affaire s’est posée dans le cadre, relativement peu courant, d’un appel formé par le cessionnaire, à l’encontre du jugement arrêtant le plan de cession d’une société industrielle française créée en 1921, réputée pour la conception et la fabrication de vannes haute performance, spéciales et sur mesure, pour les industries pétrochimique, chimique, pharmaceutique ainsi que pour la marine et le nucléaire.

Je vous propose de vous attarder sur les différentes questions qui se sont posées à l’occasion de cette procédure pour laquelle j’intervenais pour le cessionnaire qui relance cette industrie centenaire.

1. Quelques rappels sur l’ouverture de l’appel.

Les appels à l’encontre des jugements ordonnant la cession de l’entreprise ne sont pas très courants. Ils sont strictement encadrées par les dispositions de l’article L661-6 III du Code de commerce, qui rappelle que :

« III.-Ne sont susceptibles que d’un appel de la part soit du débiteur, soit du ministère public, soit du cessionnaire ou du cocontractant mentionné à l’article L. 642-7 les jugements qui arrêtent ou rejettent le plan de cession de l’entreprise. »

En effet, conformément à une jurisprudence constante de la Cour de cassation, les cessionnaires évincés n’ont pas la qualité de partie au jugement (alors même qu’ils émettent des prétentions et que le tribunal rejette ces prétentions en écartant leur offre de reprise) et ne peuvent pas interjeter appel du jugement de cession. Seul le cessionnaire dont l’offre a été retenue peut interjeter appel, mais pas à n’importe quelle conditions. L’article précédent ajoute :

« Le cessionnaire ne peut interjeter appel du jugement arrêtant le plan de cession que si ce dernier lui impose des charges autres que les engagements qu’il a souscrits au cours de la préparation du plan. Le cocontractant mentionné à l’article L. 642-7 ne peut interjeter appel que de la partie du jugement qui emporte cession du contrat. « 

Cette règle a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt de la Chambre commerciale du 29 mai 2019 (n° 18-16.545).

Les formes de l’appel importent peu ici, même si elles ne sont pas évidentes, mais les praticiens savent que l’appel suit le régime de la procédure à jour fixe, par voie électronique.

2. Le parcours des offres jusqu’à l’audience.

Dans ce dossier, 7 candidats avaient déposé des offres. Le plus sérieux d’entre eux avait été particulièrement sollicité par les organes de la procédure. Il avait transmis une première offre le 30 juillet 2024, puis une meilleure le 2 août 2024, une troisième améliorée le 16 septembre 2024 et une dernière le 18 septembre 2024.

L’audience s’est tenue le lendemain, 19 septembre 2024, à laquelle tous les candidats ont été entendus. Elle a débuté par le « traditionnel » entretien individuel entre les organes de la procédure et le tribunal, avant même que les cessionnaire n’entre dans la salle.

Lorsque le candidat le plus sérieux est entré, il a exposé son projet et les organes de la procédure lui ont demandé encore plus d’engagements, que ce dernier n’a pas souhaité fournir, faute d’éléments financiers suffisants relatifs à la société liquidée, ses filiales et sous-filiales, leurs engagements contractuels avant et pendant la poursuite d’activité et l’état des en-cours. À l’issue de l’audience, le président a autorisé une note en délibéré à la demande des administrateurs car, selon eux, il était nécessaire de clarifier l’étendue des engagements pris par le cessionnaire au cours de l’audience.

La note en délibérée des administrateurs était donc libellée sous la forme de deux questions affirmatives posées au candidat cessionnaire, lui demandant de « confirmer » ses engagements plus importants pris à l’audience. En effet, plus il en accepte dans le cadre de la nouvelle entité, moins la société liquidée en supporte. La réponse du cessionnaire ne fut pas différente de cette qu’il avait donnée à l’audience : il s’en tiendrait à sa dernière offre du 18 septembre.

3. Le jugement et sa motivation.

Le tribunal de commerce d’Angoulême rendait son jugement le 1er octobre 2024 (RG 2024006771). Et sur les deux points objet de la note en délibéré, il estimait que la réponse du cessionnaire dans sa note en délibéré était irrecevable et tranchait donc à deux reprises dans le dispositif en indiquant :

« Dit la minoration de l’offre présentée dans la note en délibéré non autorisée irrecevable. »

En d’autres termes, par une motivation aussi fragile qu’inexplicable, le tribunal décidait de piétiner les indications du cessionnaire à l’audience, considérait qu’il avait amélioré son offre à cette occasion et décidait de déclarer irrecevable « la note en délibéré non autorisée », alors que cette note en délibéré avait bien été demandée et acceptée.

Du point de vue du cessionnaire, il n’en fallait pas plus pour faire appel, puisque cette décision revenait à imposer au cessionnaire des charges autres que les engagements qu’il avait souscrits au cours de la préparation du plan.

4. Les éventuelles améliorations de l’offre à l’audience sont irrecevables.

Pour le cessionnaire que je défendais, notre stratégie  était simple : il fallait revenir aux principes.

L’article L642-2 alinéa 3 du code de commerce rappelle en effet que « Toute offre doit être écrite »,  et l’article R642-1 ajoute que :

« […] A peine d’irrecevabilité, aucune modification ne peut être apportée à une offre moins de deux jours ouvrés avant la date fixée pour l’audience d’examen des offres par le tribunal. Lorsque le tribunal décide de ne pas faire application du premier alinéa de l’article L. 642-2, il fixe la date de l’audience d’examen des offres ; d’autres offres de reprise peuvent parvenir au liquidateur ou à l’administrateur, s’il en a été désigné, au plus tard huit jours avant cette date.
En cas de renvoi de l’affaire à une audience ultérieure, le tribunal peut fixer un nouveau délai pour la présentation de nouvelles offres ou l’amélioration des offres préalablement déposées. »

Au regard de ces textes, seules les offres de reprise écrites transmises deux jours avant l’audience d’examen des offres, sont recevables. Le cessionnaire faisait donc observer que sa dernière offre recevable était la troisième, datée du 16 septembre 2024 (et non celle du 18).

En réponse, les intimés soutenaient que l’amélioration des offres à l’audience était possible u moyen d’un raisonnement inversé, dans la même veine de ce qu’avait décidé le tribunal, qui en quelques mots se résumait ainsi : l’appel du cessionnaire tendant à voir réduire les engagements pris à l’audience contrevient au principe d’intangibilité des offres, ajoutant que :

« si un candidat repreneur ne peut pas modifier son offre, y compris dans un sens plus favorable, moins de deux jours ouvrés avant l’audience d’examen des offres, cela ne vaut que pour les trois critères à l’aune desquels le Tribunal doit statuer et apprécier les offres concurrentes les unes par rapport aux autres, à savoir : le périmètre de reprise, le volet social et le prix de cession offert.
La lecture combinée de ces différents textes
[L642-1, L642-2, R642-1] n’interdit pas en revanche à l’auteur d’une offre d’y apporter des améliorations ou des précisions en audience pour autant que ces améliorations ou précisions ne touchent pas aux trois critères rappelés ci-dessus. »

Le raisonnement était malheureusement contraire aux textes car il confinait à lui ajouter des exceptions qu’il ne prévoyait pas. En effet, le déjà ancien décret du 12 février 2009 avait remis en cause la possibilité de l’amélioration des offres à l’audience qui existait avant lui, en édictant que toute proposition d’amélioration devait, à peine d’irrecevabilité, être déposée au greffe au moins deux jours avant l’audience d’examen des offres, conformément aux dispositions de l’article R. 642-1, al. 3 dans sa rédaction de l’époque, toujours applicable à ce jour.

Par conséquent, en l’absence de renvoi à une audience ultérieure par le tribunal pour la présentation de nouvelles offres ou l’amélioration des offres existantes, toute modification au-delà de deux jours ouvrés avant l’audience était nécessairement irrecevable (C. com., art. R. 642-1 , al. 3 et 4).

Sur ce point, c’est la solution plaidée et retenue par la Cour d’appel dans son arrêt infirmatif :

« 12- Dès lors que le tribunal n’envisageait pas de faire application des dispositions de l’article R.642-1 dernier alinéa du code de commerce, et d’ordonner un renvoi de l’affaire à une audience ultérieure, en fixant un nouveau délai pour l’amélioration de l’offre préalablement déposée, il lui incombait de prendre uniquement en considération la dernière offre écrite du 16 septembre 2024. »

Si la solution semble évidente à l’occasion de ce commentaire, les praticiens savent qu’aucune solution n’est jamais gravée dans le marbre devant un juge. Il fallait donc rappeler les principes ; et se montrer prudent ensuite en développant une argumentation subsidiaire.

5. Digressions autour de la note en délibéré.

Stratégiquement, l’appelant devait nécessairement développer une alternative.

Pour juger que l’offre présentée dans sa réponse à la note en délibéré des administrateurs était irrecevable, le tribunal de commerce a affirmé qu’aucune note en délibéré n’avait été autorisée, ce qui était tout à fait inexact :

« Attendu que dans sa note en délibéré, l’offrant revient sur ses déclarations en audience et minore son offre de la manière suivante :
L’offrant appose une condition supplémentaire sur les prestations livrées et/ou expédiées (…)
Attendu d’une part qu’aucune note en délibéré n’a été autorisée sur ce point, qu’en outre le cessionnaire ne peut revenir sur les engagements formulés et actés lors de l’audience. Qu’il y a lieu de dire la note en délibéré irrecevable sur ce point. (…)
En revanche, le candidat ne reprendra pas les engagements fournisseur durant la procédure collective. (…)
Attendu d’une part qu’aucune note en délibéré n’a été autorisée sur ce point, qu’en outre le cessionnaire ne peut revenir sur les engagements formulés et actés lors de l’audience. Qu’il y a lieu de dire la note en délibéré irrecevable sur ce point. »

Il fallait donc impérativement savoir ce qui s’était dit lors de l’audience : consulter le plumitif [1] était donc la seule solution.

Ce document, finalement produit par mon adversaire, était instructif à deux égards : il permet d’une part de comprendre le manque d’impartialité du tribunal de commerce, et d’autre part le processus qui a conduit à la solution retenue.

Tous ceux qui, comme moi, pratiquent les procédures collectives, savent bien comment se déroulent les audiences devant le tribunal de commerce : les mandataires et administrateurs judiciaires y occupent une place très importante. On les voit rentrer en salle d’audience avant les avocats ou rester dans la salle après l’audience. Dans les deux cas, pour les avocats et leurs clients, ce comportement est souvent la source d’interrogations sur l’impartialité du tribunal de commerce.

Le plumitif révélait précisément que les organes de la procédure avaient indiqué au tribunal, avant même que le cessionnaire n’entre dans la salle d’audience, ce qu’ils attendaient de lui au regard d’engagements supplémentaires à prendre. L’audience ne semble donc pas s’être limitée à une présentation du plan de cession et l’exposé des projets à venir. La décision du tribunal résulte donc en partie de l’orientation donnée par les organes de la procédure en faveur de la société en liquidation, au détriment des engagements pris par le cessionnaire deux jours ouvrés avant la date de dépôt des offres.

Ensuite, il faut préciser que le plumitif tenu par le greffier était détaillé et tout à fait conforme aux souvenirs de l’audience par le cessionnaire. D’une part, il notait que le président avait bien autorisé une note en délibéré à la demande des administrateurs, laquelle portait bien sur deux points. D’autre part, le plumitif était conforme aux engagements qu’il avait pris avant l’audience.

Et c’est bien la raison pour laquelle la Cour d’appel a réformé la décision du tribunal de commerce.

6. L’arrêt de la cour.

La Cour de Bordeaux (RG 24.04463) retient :

« 10- Il s’évince de ces dispositions d’ordre public qu’aucune modification ne pouvait être apportée par la société SDIH, candidat repreneur, à sa dernière offre écrite de reprise du 16 septembre 2024, moins de deux jours ouvrés avant le 19 septembre 2024 date de l’audience d’examen des offres par le tribunal de commerce.

11- Les dispositions précitées de l’article R.642-1 du code de commerce, dans leur rédaction issues du décret n°2009-160 du 12 février 2009, exemptes de toute ambiguïté, ne permettaient donc pas au tribunal de considérer comme recevable une modification apportée à l’audience par la société SDIH à sa dernière offre écrite du 16 septembre 2024, quand bien même elle émanait du seul candidat à la reprise, et même si (comme le soutiennent les intimées), l’offre faite le 19 septembre 2024 était plus favorable, et ne concernait pas les objectifs mentionnés à l’article L.642-1 alinéa 1er du code de commerce.

12- Dès lors que le tribunal n’envisageait pas de faire application des dispositions de l’article R.642-1 dernier alinéa du code de commerce, et d’ordonner un renvoi de l’affaire à une audience ultérieure, en fixant un nouveau délai pour l’amélioration de l’offre préalablement déposée, il lui incombait de prendre uniquement en considération la dernière offre écrite du 16 septembre 2024.

13- Aux termes de cette dernière offre écrite, seule recevable, la société SDIH mentionnait, notamment qu’elle ne reprendrait aucunement (sic) les engagements fournisseurs contractés durant la procédure collective pour des commandes réalisées et/ou facturées après l’arrêté du plan de cession (cette position étant expressément mentionnée en page 9/19 et rappelée en page 17, en termes quasi-similaires, au titre des dispositions spéciales: le candidat déclare refuser de s’engager à rembourser à la procédure collective les commandes fournisseurs (biens et services) payées par Guichon Valves et/ou non livrées à la date d’entrée).

14- Par ailleurs, l’offre du 16 septembre 2024 ne contenait aucun engagement à la charge du candidat repreneur, prévoyant (comme mentionné au dispositif) que les comptes clients relatifs aux prestations réalisées par Guichon Valves, facturées mais non encore encaissées et les prestations réalisées par Guichon Valves terminées, livrées, ou expédiées mais non encore facturées à la date d’entrée en jouissance resteraient la propriété de la procédure. En effet, le repreneur ne s’est pas engagé dans ces termes au titre de la reprise des en-cours de production, en réponse à la demande faite par les administrateurs, au point 7 paragraphe 2 de la page 5/11 du courrier d’observations du 8 aout 2024.

15- Il en résulte que sur ces deux points, le tribunal a, dans le jugement critiqué, imposé au repreneur des charges autres que les engagements qu’il avait souscrits par écrit lors de la préparation du plan, ce qui est contraire aux dispositions de l’article L. 661-6, II du code de commerce.

16- Dès lors, et sans qu’il soit nécessaire d’analyser l’argumentation subsidiaire des parties, concernant la position exacte prise par le candidat repreneur lors de l’audience du 19 septembre 2024 (qui donne d’ailleurs lieu à contestation dans le cadre de la procédure d’appel), ni la recevabilité ou la portée des notes en délibéré échangées entre les parties, Il convient d’infirmer le jugement (…) »

7. Notre conseil : un accompagnement rigoureux.

Lorsque vous présentez une offre en vue de la reprise d’une entreprise, les administrateurs judiciaires qui ont fait tourner la société convoitée pendant sa période d’observation, seront souvent tentés de vous faire supporter toujours plus d’engagements au profit de la société liquidée, qui deviendra une coquille vide. En effet, il reste souvent des créanciers à payer et les organes de la procédure sont rémunérés de leurs diligences avec ce qu’il reste de fonds, de manière prioritaire.

Le renvoi à l’audience est la seule manière de faire accepter une offre, car tout ce que vous pourrez dire à l’audience n’a aucune valeur. Il faut bien avoir les règles en tête pour ne pas être surpris le lendemain de l’audience.

Dans tous les cas, il convient de ne pas se présenter seul seul à une audience de procédure collective, quelle qu’elle soit. Faites-vous accompagner par un professionnel averti. Mon client était parfaitement accompagné par mon confrère Vendeville devant le tribunal de commerce, qui a fait les bons choix et su accompagner son client jusqu’au bout. Je le remercie chaleureusement de notre agréable et fructueuse collaboration, avec ce client fort sympathique qui m’a également fait confiance. L’équipe était bonne !

Le bureau de Bordeaux de LX AVOCATS que je dirige, intervient régulièrement en procédures collectives devant les tribunaux de commerce pour vous accompagner, quel que soit le lieu du tribunal de commerce puisque les règles de représentation y sont souples. S’agissant de la Cour d’appel, la matière est technique, les voies de recours complexes et il faut là encore des professionnels aguerris pour vous accompagner. Ne l’oubliez pas.

 


[1] Le plumitif, ce sont les notes d’audience tenues par le greffier de toute juridiction. Il y consigne les propos des personnes présentes à l’audience. Ce document est accessible aux avocats pour permettre d’avoir la preuve de ce qui s’est dit et il lui est loisible de demander au greffier d’y noter des propos qu’il estime nécessaires pour la défense de son client.

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