Une semaine après l’arrêt de la Cour de cassation du 25 juin 2015 renvoyant devant la CJUE l’examen de la question des pratiques commerciales déloyales de vente forcée des logiciels avec le matériel informatique, la Cour de cassation a rendu le 1er juillet 2015 un autre arrêt… en sens totalement contraire !!
La pilule est vraiment trop grosse ; cela mérite des explications…
Madame Bachelot est là encore une consommatrice que je défends depuis plusieurs années. Comme tous les autres consommateurs, elle m’a saisi pour demander au juge de proximité le remboursement des logiciels qu’elle avait été contrainte de payer avec son matériel informatique en raison de la pratique commerciale détestable de préchargement des logiciels par le constructeur de la machine. J’insiste sur ce point, afin de rappeler à la Cour de cassation que son dernier arrêt du 1er juillet 2015 révèle… une motivation ahurissante en droit !
Nous savions que les pressions des constructeurs étaient très fortes, à tous les niveaux[1]. Les procès sont perdus globalement depuis les amendements au projet de loi consommation de Benoît HAMON que j’avais rédigés à la demande de Madame Jacqueline Fraysse… qui n’est jamais venu soutenir son texte à l’Assemblée en raison, semble-t-il, des pressions exercées à l’époque par son président de groupe. La politique a ses raisons que la raison ne connaît pas… Mais le peuple lui en sera indéniablement comptable !
Ainsi, dans un arrêt non publié du 1er juillet 2015, la Cour de cassation rejette purement et simplement le pourvoi de Madame Bachelot qui portait sur les mêmes questions que je soumets usuellement à la Cour de cassation depuis plusieurs années pour les consommateurs qui me saisissent des ces problèmes de vente forcée des logiciels. On a beau chercher quelque chose de valable dans cette décision, on ne peut qu’en conclure que la Cour de cassation a manifestement cédé aux pressions dont elle a dû faire l’objet.
Ce n’est pas la première fois que la Haute Cour rend des décisions politiques, comme par exemple sur le sujet délicat de la suppression des Avoués de Cours. Mais dans le cas présent, c’est tout de même un peu gros : deux arrêts radicalement opposés à 7 jours d’intervalle, alors que la première chambre de Cour de cassation était composée de la même manière dans les deux décisions…
Certes, les enjeux économiques sous-jacents sont importants, mais comment continuer décemment à faire perdurer ce « hold-up planétaire » (comme le titrait Roberto Di Cosmo dans son ouvrage sur les pratiques de la société Microsoft) qui consiste pour les constructeurs de matériel à précharger en usine le système d’exploitation Windows (ainsi que de nombreux logiciels applicatifs) et à revendre ces logiciels aux consommateurs qui ne les ont pas préalablement commandés, tout en leur dissimulant le prix payé pour ces logiciels ? Je pensais que la Cour suprême aurait fait preuve d’un peu plus de courage… je me suis trompé…
Rappel de la décision du juge de proximité de Grenoble.
Madame Bachelot avait fait l’achat de son ordinateur chez un revendeur, comme beaucoup de consommateurs. Ici, il s’agissait de la société CDISCOUNT. Dans un jugement rendu le 19 novembre 2012, le juge de proximité du tribunal d’instance de Grenoble l’a déboutée de ses demandes.
Après avoir pourtant constaté au préalable que le matériel et les logiciels constituaient deux éléments distincts (tant par nature que juridiquement), le juge estimait qu’il appartenait à Madame Bachelot, conformément aux dispositions de l’article 1315 du code civil, de rapporter la preuve de ce qu’elle ne souhaitait pas des logiciels fournis. Première grosse « bourde » en droit…
En effet, en matière de pratiques commerciales déloyales, la charge de la preuve est inversée, puisque la directive précise expressément qu’il appartient au professionnel de démontrer que sa pratique commerciale, telle que dénoncée par un consommateur, n’est pas déloyale. L’article 1315, règle générale, devait donc nécessairement s’effacer devant une règle spéciale émanant, de surcroît, d’une directive Européenne dont les dispositions s’imposent au juge national (d’autant plus que la directive a été transposée en droit français). Les logiciels étant préchargés dans le matériel en usine par le constructeur, il appartenait donc au juge de demander à SAMSUNG de prouver que sa pratique commerciale n’était pas déloyale. Il ne fallait manifestement pas trop en demander à ce juge de proximité qui n’a même pas lu la directive pour rendre sa triste décision…
Le juge déboutait aussi Madame Bachelot au motif que :
« En outre l’ordinateur a été acheté auprès de la Société Cdiscount et non auprès de la Société Société SAMSUNG.
C’est donc le distributeur a qui elle a payé le prix d’acquisition du matériel en ce compris celui des logiciels intégrés à l’encontre duquel son grief devrait être formulé.
La pratique commerciale dénoncée n’est donc pas constituée à ce titre à l’égard de la Société SAMSUNG, fabricant et non vendeur de l’ordinateur en l’espèce. »
Hein, sérieusement ?
S’il était exact que l’ordinateur avait été acheté chez CDISCOUNT, il demeurait néanmoins que les logiciels sont depuis toujours installés par le constructeur en usine. C’est donc le constructeur seul qui en connaît le prix et il ne le communique pas au distributeur au mépris des règles du Code de commerce relatives à la transparence sur les prix entre les professionnels (raison pour laquelle il est inutile de dépenser du temps, de l’énergie et de l’argent à poursuivre les distributeurs qui répondent tous la même chose : « on n’en sait rien, et on ne peut pas le savoir! »). Le distributeur devrait, en toute logique, interroger le constructeur sur le prix du matériel d’un côté et des logiciels de l’autre, afin de pouvoir répercuter cette information aux consommateurs.
Mais je précise tout de même que l’information sur les prix sur laquelle s’est principalement basé le juge de proximité, n’est pas le principal problème. C’est un problème. Je rappelle que le principal problème réside dans la vente forcée des logiciels, sans aucun choix possible pour les consommateurs :
- pas de possibilité de choisir les logiciels qu’ils veulent ;
- pas de possibilité de refuser les logiciels qu’ils ne veulent pas ;
- pas de possibilité de ne pas payer les logiciels qu’ils ne veulent pas.
Le prix des logiciels est donc une notion surabondante qui vient rendre la pratique encore plus déloyale.
Mais passons, le juge n’avait manifestement pas compris les questions qui lui étaient posées.
Mais là où le juge a fait une erreur encore plus grosse en droit, réside dans la qualification des relations juridiques entre le consommateur et les deux autres protagonistes, tous deux professionnels. En effet, la directive du 11 mai 2005 s’applique, conformément à ce qu’elle précise expressément, indifféremment aux relations contractuelles ou non. En d’autres termes, la directive s’applique qu’il y ait un contrat ou non avec le professionnel. En effet, la directive a pour but de sanctionner une pratique commerciale déloyale, c’est à dire qu’elle vient sanctionner en quelque sorte une « voie de fait », constituée par le paiement forcé de logiciels par le biais de la pratique commerciale du préchargement des logiciels en usine. Il importait donc peu de savoir avec qui Madame Bachelot avait contracté pour les logiciels, le constructeur ou le distributeur, puisqu’elle a été contrainte de payer ce qu’elle ne pouvait faire retirer : les logiciels. À ce titre, elle pouvait assigner en justice qui elle voulait et, de manière plus pertinente pour la solution du débat, le constructeur qui est le fournisseur des logiciels non demandés.
Au demeurant, je rappelle aussi que le consommateur n’a pas plus de contrat avec l’éditeur des logiciels, puisqu’il n’accepte pas la licence d’utilisation des logiciels qu’il a pourtant payés !
Je vous passe les autres éléments ineptes en droit de cette décision, notamment celui selon lequel le juge de proximité estime que le fabricant n’est pas soumis à une obligation d’information à l’égard du consommateur, alors que le fabricant est un professionnel visé par la directive (j’y reviendrai plus loin)…
L’arrêt de la Cour de cassation du 1er juillet 2015.
Nous sommes donc partis en cassation avec mon confrère REMY-CORLAY, fort de ces constats communs en droit et des dispositions précises de la directive, en soutenant notamment :
« qu’une pratique commerciale d’une entreprise vis-à-vis de consommateurs s’entend, au sens de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative « aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur », de toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs. »
La Cour a estimé :
« Mais attendu qu’après avoir constaté que l’ordinateur acheté par Mme Bachelot l’avait été auprès de la société Cdiscount et non auprès de la société Samsung et énoncé que l’obligation d’information sur le prix incombait au vendeur à qui Mme Bachelot s’était adressée en vue d’acquérir l’ordinateur et non à la société Samsung, qui n’avait pas présenté d’offre commerciale à Mme Bachelot, la juridiction de proximité, qui n’avait pas à procéder à la recherche inopérante visée par la troisième branche, en a exactement déduit que sa demande tendant à voir constater l’existence d’une pratique commerciale agressive consistant dans l’exigence du paiement immédiat de logiciels fournis sans avoir été demandés, d’une pratique commerciale trompeuse par dissimulation du prix des logiciels lors de l’achat de l’ordinateur et d’une pratique commerciale de vente subordonnée présentant un caractère déloyal n’était pas fondée, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la deuxième branche ; que le moyen ne peut être accueilli. »
Mais bon sang, les pressions seraient-elles si fortes que la Cour de cassation en oublierait-elle de statuer en droit ? C’est ce que cet arrêt démontre en tout cas.
En premier lieu, la directive s’adresse à tous les professionnels pour encadrer leurs pratiques commerciales qui pourraient être considérées comme déloyales. SONY était un professionnel et CDISCOUNT aussi. Ils étaient donc tous deux soumis à une obligation d’information sur le prix des produits en vertu des articles 6 et 7 de la directive.
En deuxième lieu, la motivation de la Cour de cassation piétine allègrement le point 29 de l’annexe 1 de la directive qui prohibe la vente forcée, considérée comme une pratique commerciale déloyale « en toutes circonstances ». Par conséquent, juger qu’il n’y a pas de vente forcée au prétexte que l’ordinateur a été acheté chez CDISCOUNT est une… ineptie.
En troisième lieu, comme je l’ai indiqué, la directive précise expressément qu’elle s’applique tant en matière contractuelle que délictuelle. Le 13e considérant de la directive 2005/29/CE précise à cet égard :
« L’interdiction générale commune et unique établie par la présente directive couvre donc les pratiques commerciales déloyales altérant le comportement économique des consommateurs. Afin de renforcer la confiance des consommateurs, l’interdiction générale devrait aussi s’appliquer aux pratiques commerciales déloyales qui sont utilisées en dehors de toute relation contractuelle entre le professionnel et le consommateur ou consécutivement à la conclusion d’un contrat ou durant l’exécution de celui-ci. Cette interdiction générale est développée par les règles relatives aux deux types de pratiques commerciales de loin les plus nombreuses, à savoir les pratiques commerciales trompeuses et les pratiques commerciales agressives. »
On peut difficilement être plus clair et c’est en ce sens que la Cour de cassation a pris une motivation contraire à la directive, qui est une norme qui s’impose à elle aussi…
J’ajoute que dans le cadre des procès intentés par les consommateurs, l’article 12 de la directive précise (indiqué aussi au considérant numéro 21 de la directive) que:
« Les États membres confèrent aux tribunaux ou aux autorités administratives des pouvoirs les habilitant, lors d’une procédure judiciaire ou administrative visée à l’article 11:
a) à exiger que le professionnel fournisse des preuves sur l’exactitude de ses allégations factuelles en rapport avec une pratique commerciale si, compte tenu de l’intérêt légitime du professionnel et de toute autre partie à la procédure, une telle exigence paraît appropriée au vu des circonstances du cas d’espèce ; (…) »
Il appartenait donc à la juridiction de proximité de demander au constructeur des preuves tendant à établir que sa pratique commerciale de vente forcée n’était pas déloyale, et la Cour de cassation n’a là encore pas fait son travail en refusant de censurer la décision du juge de proximité qui n’avait pas procédé à cette recherche.
Quelle suite, maintenant ?
Il est certain que la réponse de la CJUE va avoir des conséquences très importantes dans toute l’Union.
La Cour de cassation Italienne était, elle, allée beaucoup plus loin que la Cour de cassation Française en estimant dans un arrêt « Pieraccioli »du 24 juin 2014 que le prix de l’OS Microsoft devait lui être remboursé et que la pratique commerciale constitue une entrave à la concurrence. Pourtant, n’en déplaise à la Cour de cassation française, le prix de l’OS Windows a bien été payé, sans avoir égard à qui il a été payé, tant que nous sommes en matière de pratiques commerciales déloyales… Espérons donc que nous serons convaincants lorsque nous irons plaider ce dossier à la CJUE.
Mais clairement, ce qui se profile désormais est une action contre l’état. Nous sommes donc en train d’étudier la question d’un recours en manquement contre de l’état sur ce sujet car, ne l’oublions pas, la directive précise à l’article 11 :
« 1. Les États membres veillent à ce qu’il existe des moyens adéquats et efficaces pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales afin de faire respecter les dispositions de la présente directive dans l’intérêt des consommateurs. Ces moyens doivent inclure des dispositions juridiques aux termes desquelles les personnes ou organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à lutter contre les pratiques commerciales déloyales, y compris les concurrents, peuvent:
a) intenter une action en justice contre ces pratiques commerciales déloyales,
(…) »
Et clairement, rien n’a été fait sur le sujet…
[1] Journal de l’Assemblée Nationale, 1re Séance du 4 octobre 2011, propos de François BROTTES, page 4858 (chercher l’expression « si nous subissons des pressions »)
J’étais déjà dubitative, maintenant cela se confirme. Nous ne pouvons avoir confiance qu’en nous-mêmes. Les gouvernants s’auto-protègent, le peuple reste le tiers-état… Bravo pour votre persévérance. Je suis professeure d’économie-gestion en terminale, j’enseigne le droit. Je ferais l’étude de ce cas d’espèce avec mes élèves et aurons des débats non seulement sur la loi sur le renseignement mais également sur les lobbies et le droit… nous formons des citoyens. D’ailleurs j’ai eu votre lien sur le site de l’académie de Lyon. https://www2.ac-lyon.fr/wiki-dane/logiciels_libres que je remercie.
Je constate qu’à tous les niveaux c’est pareil : je me bats avec ma municipalité depuis 5 ans pour faire en sorte que la directive de l’éducation nationale (qui incite fortement à l’utilisation de logiciels libres à l’école) soit respectée… Rien n’y fait : tout Microsoft dès le CE1, comme ça on sait qu’arrivés à l’âge des choix l’habitude fera que Microsoft sera gagnant à tous les coups.
Et même plus fort, voici les instructions reçues de la mairie pour rédiger un article dans le journal municipal :
Rappel du format requis : texte en Word, Police : Arial-Taille du texte : 12 et les images + logo sous format JPG.
Je commence à en avoir assez de Microsoft qui corrompt le marché à coup de ventes forcées et d’autres agissements illégitimes. Je me demande à quel point leurs accords avec les constructeurs doivent être immondes. Il faudrait que les gens écoutent un peu de Richard Stallman…
Bonjour,
Et pas que Stallman ! 😉