La transaction et l’instance

A l’heure où les règles de procédures civile changent aussi régulièrement que passe le Père Noël, donc toutes les fins d’année, j’ai l’occasion de revenir sur la question de l’effet d’une transaction dans une instance en cours.

C’est le jugement d’un tribunal judiciaire qui m’en donne l’occasion et je suis toujours gêné de constater que les règles de procédure civile ne sont pas toujours comprises par nos magistrats, même après plusieurs années d’application, puisque la décision en question a été rendue en vertu de la loi ancienne puisque l’instance avait été introduite en octobre 2019, soit avant les dernières réformes de procédures de 2019 et 2020.

Pourquoi cette question de procédure civile est-elle intéressante ici ? Parce que cela me donne l’occasion de rappeler qu’un litige n’est pas gratuit et que lorsque les juges ne sont pas formés et qu’ils n’appliquent pas les règles, ce sont les justiciables qui font les frais de cette déroute. Explications.

Le litige et la question de droit.

Un différend était né entre deux parties qui avaient décidé d’y mettre fin par la signature d’une transaction.

Un an plus tard, l’une des deux parties a finalement refusé d’appliquer la transaction précédemment conclue et a décidé de faire assigner son cocontractant qui, lui, avait appliqué la transaction, devant le tribunal de grande instance.

En droit, l’article 2052 du Code civil, dans sa rédaction applicable à la cause (soit octobre 2019), disposait que :

« La transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet. »

La partie qui avait exécuté la transaction et qui se retrouvait assignée à tort devant le tribunal, a alors conclu au fond à l’irrecevabilité de la demande de son adversaire (celui qui n’avait pas appliqué la transaction), en soutenant que la transaction faisait conclue un an avant, faisait obstacle à l’introduction de l’instance pour juger des mêmes faits entre les mêmes parties.

Dans son jugement, le tribunal judiciaire a débouté le défendeur de sa demande d’irrecevabilité au visa de l’ancien article 771 du CPC qui précise que le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal (donc le tribunal saisi au fond) pour statuer sur les incidents mettant fin à l’instance. Pour appuyer son interprétation, le tribunal ajoutait que selon l’article 384 du CPC, l’extinction de l’instance résultait notamment de l’effet de la transaction et reprochait au défendeur de n’avoir pas soulevé, devant le juge de la mise en état « qui était seul compétent pour statuer », sur les conséquences de la transaction dont il constatait pourtant qu’elle était intervenue… un an avant l’introduction de l’instance !

Voilà, à mon sens, une bien curieuse motivation !

D’une part, parce que le tribunal judiciaire a retenu que la transaction intervenue dans ces conditions (un an avant l’instance) était un « incident mettant fin à l’instance », ce qui pose la définition d’un « incident ». L’incident est un acte susceptible de modifier le cours de l’instance. Le CPC énumère quatre grandes sortes d’incidents aux articles 367 à 410 qui sont :

  • la jonction et la disjonction d’instance ;
  • L’interruption de l’instance ;
  • La suspension de l’instance ;
  • L’extinction de l’instance.

S’il est tout à fait exact que la transaction éteint l’instance en cours, encore faut-il que l’instance soit en cours lorsque la transaction intervient pour qu’elle puisse être qualifiée d’incident d’instance.

Et c’est là que la décision n’a pas de sens

En l’espèce, la transaction avait été signée un an avant l’introduction de l’instance devant le tribunal judiciaire. Par conséquent, cette transaction n’était pas intervenue en cours d’instance à proprement parler et ne pouvait donc pas être qualifiée « d’incident » au sens procédural du terme. Intervenue un an avant, elle faisait simplement obstacle à l’introduction de l’instance conformément aux dispositions de l’article 2052 du Code civil.

Cela signifie aussi que le juge de la mise en état n’était pas du tout compétent pour juger cette question, qui relevait de la compétence du juge du fond.

D’autre part, parce que si ce n’est pas un incident, il ne pouvait s’agir que d’une fin de non-recevoir. L’article 122 du CPC dispose que :

« Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »

C’est ici la chose jugée qui était visée puisque l’article 2044 du Code civil précise que « la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. » En d’autres termes, il était mis fin à la contestation par un acte qui la constatait définitivement. D’ailleurs, la Cour de cassation le rappelle régulièrement : la transaction, même signée en termes génériques, a l’autorité de la chose jugée sur la contestation qu’elle tranche (cf. notamment : Soc. 20 févr. 2019, FS-P+B, n° 17-19.676)

Or, sous l’empire de la loi ancienne, le juge de la mise en état n’était donc pas compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir. Par conséquent, le juge ne pouvait pas débouter le défendeur de sa demande d’irrecevabilité au motif qu’il n’avait pas saisi le juge de la mise en état. C’était bien le juge du fond qui devait trancher la difficulté dans cette affaire.

Les conséquences.

Il est toujours très compliqué de faire comprendre aux clients pourquoi une affaire, en apparence simple, peut finir par coûter cher devant le tribunal. Nous en avons ici un bon exemple.

D’abord, parce que le demandeur avait refusé de céder en négociation, alors qu’il savait qu’il avait passé une transaction et qu’il ne l’avait pas respectée. Il savait aussi que l’objet de sa demande devant le tribunal était le même que celui de la transaction. Avant de tirer à boulets rouges devant le tribunal contre un adversaire récalcitrant, j’ai toujours l’habitude de tenter une négociation précisément pour éviter à nos clients d’engager des frais importants de procédure. Mais face à ce refus déraisonnable, le défendeur n’avait pas d’autre choix que d’engager des frais pour sa défense devant le tribunal.

Ensuite, parce que devant le tribunal, conclure pour le défendeur à l’irrecevabilité de la demande du demandeur était un moyen pour éviter d’engager trop de frais, à part les conclusions devant le tribunal. Le demandeur était irrecevable en raison de l’existence d’une transaction, un juge affûté en procédure civile se serait immédiatement emparé du moyen d’irrecevabilité du défendeur et aurait rendu un jugement d’irrecevabilité, sans statuer au fond.

Mais ici, en se trompant sur les règles de procédure civile, le juge a décidé de trancher le fond… et débouté quand même le demandeur de toutes ses demandes. Conclusion : en n’étant pas déclaré irrecevable, le demandeur, perdant à l’instance qu’il avait initiée, décide de former appel devant la Cour… alors qu’il ne l’aurait certainement pas fait si le tribunal l’avait déclaré irrecevable à agir du fait de la transaction.

Par conséquent, il revient au défendeur initial qui avait exécuté sa transaction, de supporter les frais de sa défense devant la Cour d’appel pour tenter de faire juger une nouvelle fois irrecevable l’appel de son adversaire…

Voilà comment des erreurs augmentent le coût des procédures.

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