Annexe à la déclaration d’appel : le point sur le décret du 25 février 2022.

Le 25 février 2022, le ministre de la justice Éric DUPOND-MORETTI a signé un décret de procédure civile relatif à l’annexe à la déclaration d’appel et un arrêté du même jour, laquelle a posé beaucoup de difficultés à bon nombre d’avocats imprudents. Sur les réseaux sociaux, j’ai pu lire de la part de certains membres du CNB qui ne sont pas spécialement reconnus comme des processualistes, l’affirmation suivante : « Nous attendions cet arrêté avec impatience car il fait échec à l’arrêt du 13 janvier 2022 pour tout ceux qui auraient des incidents sur ce point. Il confirme la circulaire de 2017 sur l’annexe et ne laisse plus de place à l’interprétation. »

Mon sang n’a fait qu’un tour sur cette affirmation qui est fausse, et je vous explique pourquoi.

L’article est évidemment réservé à un public de professionnels avertis.

1. Rappel des problèmes actuels.

En appel, l’article 901, 4° du CPC oblige les avocats à indiquer dans la déclaration d’appel les chefs de jugement critiqués. La chancellerie a mis en place un service Web permettant aux avocats de faire appel. Coté Chancellerie, l’interface s’appelle le RPVJ (réseau privé virtuel justice) et côté avocats, elle s’appelle RPVA (réseau privé virtuel des avocats). C’est bien entendu la Chancellerie qui pilote les possibilités informatiques, le RPVA n’étant qu’une interface graphique dépendant directement de la programmation du RPVJ.
Or, la chancellerie a limité à 4080 le nombre maximum de caractères (espaces compris) permettant de mentionner les chefs de jugement critiqués, comme on le voit dans la capture d’écran que j’ai faite ci-dessous :

En cas de dépassement, il est clairement indiqué que « vous devez annexer une pièce jointe afin de lister l’ensemble des points critiqués de la décision attaquée et préciser dans le corps des 4080 caractères que la suite de la déclaration se trouve dans l’annexe jointe à la déclaration. Cette pièce jointe, établie sous forme de copie numérique, fera ainsi corps avec la déclaration d’appel. Pensez à préciser dans le corps de votre saisie qu’une pièce jointe est annexée et n’oubliez pas de la téléverser avant envoi de la déclaration au greffe »

Conformément à l’article 3 de l’arrêté technique du 20 mai 2020, lorsque l’avocat valide ce champ réservé à l’objet et la portée de l’appel, la machine génère une déclaration d’appel au format XML qui est envoyée à la chancellerie. Un « récapitulatif » de la déclaration d’appel est immédiatement généré automatiquement par la machine, au format PDF à destination de l’avocat accompagné de l’annexe éventuelle. Puis, peu de temps après, le greffe envoie à l’avocat une « vraie » déclaration d’appel, au format PDF reprenant les mentions portées par l’avocat, accompagnée de l’annexe éventuelle.

Or, de nombreux avocats ont pris la mauvaise habitude, dès la réforme de l’article 901 du CPC en 2017, de ne pas remplir ce champ XML et rédiger leur déclaration d’appel exclusivement sur une annexe en PDF et de la joindre. Ils mentionnent juste, dans le champ en question, que les chefs de jugement critiqués sont portés sur l’annexe. La machine génère donc une déclaration d’appel sans les chefs de jugement critiqués, mentionnant que ceux-ci se trouvent sur l’annexe.

Cette pratique n’a pas posé de difficultés particulières, jusqu’à ce qu’un avocat la soulève jusque devant la Cour de cassation.

2. Le nœud de la discorde.

Dans un arrêt du 13 janvier 2022 publié au bulletin (donc une valeur jurisprudentielle forte), la 2e chambre civile de la Cour de cassation retient [1] :

« 6. Selon l’article 901, 4°, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la déclaration d’appel est faite, à peine de nullité, par acte contenant notamment les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible. En application des articles 748-1 et 930-1 du même code, cet acte est accompli et transmis par voie électronique.
7. En application de l’article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, seul l’acte d’appel emporte dévolution des chefs critiqués du jugement.
8. Il en résulte que les mentions prévues par l’article 901, 4°, du code de procédure civile doivent figurer dans la déclaration d’appel, laquelle est un acte de procédure se suffisant à lui seul.
9. Cependant, en cas d’empêchement d’ordre technique, l’appelant peut compléter la déclaration d’appel par un document faisant corps avec elle et auquel elle doit renvoyer.
10. Ayant constaté que les chefs critiqués du jugement n’avaient pas été énoncés dans la déclaration d’appel formalisée par la banque, celle-ci s’étant bornée à y joindre un document intitulé « motif déclaration d’appel pdf », la cour d’appel, devant laquelle la banque n’alléguait pas un empêchement technique à renseigner la déclaration, en a exactement déduit que celui-ci ne valait pas déclaration d’appel, seul l’acte d’appel opérant la dévolution des chefs critiqués du jugement

Cet arrêt a été massivement critiqué, à juste titre par les professionnels et la doctrine [2] car la Cour de cassation a fait preuve d’un rigorisme inopportun, à la limite du juridisme, même si sa position s’explique. Cette jurisprudence est surtout critiquable car elle s’appuie implicitement sur la circulaire du 4 août 2017 pour justifier son raisonnement, ce qui choque.

3. Les raisons d’être de cette motivation.

Si la Cour de cassation pêche par juridisme, sa position s’explique par les termes de la circulaire du 4 août 2017 [3] qui précise :

« Dans la mesure où le RPVA ne permet l’envoi que de 4080 caractères, il pourra être annexé à la déclaration d’appel une pièce jointe la complétant afin de lister l’ensemble des points critiqués du jugement. Cette pièce jointe, établie sous forme de copie numérique, fera ainsi corps avec la déclaration d’appel. L’attention du greffe et de la partie adverse sur l’existence de la pièce jointe pourra opportunément être attirée par la mention de son existence dans la déclaration d’appel. »

Textuellement, ce n’est donc que lorsque la mention des chefs de jugement critiqués dépasse les 4080 caractères que l’utilisation d’une annexe est possible. Le texte est toutefois abscons : si l’on comprend bien que le recours à une annexe n’est possible qu’en cas d’impossibilité technique relative au nombre de caractères, la suite est contradictoire puisqu’elle précise qu’une pièce jointe peut venir compléter la déclaration d’appel et que cette pièce vient lister l’ensemble des points critiqués.

L’hésitation est donc permise : faut-il commencer à rédiger les chefs de jugement critiqués dans le champ XML et les terminer sur la déclaration d’appel PDF ou rédiger tous les chefs de jugement critiqués sur l’annexe si on dépasse les 4080 caractères ? Si les mots ont un sens, « compléter » la déclaration d’appel signifie l’obligation de commencer la déclaration d’appel sur le champ XML et la terminer par un document PDF (encore qu’il soit possible d’arguer que c’est seulement pour compléter la déclaration d’appel et pas compléter les chefs de jugement)… sauf que le texte précise que l’annexe en question vient « lister l’ensemble des points critiqués du jugement »

On pourrait donc croire qu’il faudrait commencer à rédiger la déclaration d’appel dans le champ XML et, avant que vous n’arriviez au bout, joindre une annexe qui liste de nouveau l’ensemble des points critiqués du jugement.

En d’autres termes, ce texte est idiot, car on y lit très clairement la volonté de la chancellerie de « planter » les appels en cours des avocats, plutôt que de donner à la justice les moyens de travailler. Mais la Cour de cassation, au lieu de simplifier les choses en faisant œuvre de pragmatisme, a bassement servi les intérêts d’un gouvernement incapable de donner les moyens de travailler correctement.

Après le tollé qu’a appelé cette décision, le garde des Sceaux a pris un nouvel arrêté technique le 25 février 2022 modifiant l’arrêté du 20 mai 2020.

4. L’analyse de l’arrêté du 25 février 2022.

Autant révéler le suspens tout de suite, cet arrêté n’est d’aucun secours contrairement à ce que j’ai pu lire ça et là dans des publications confidentielles de membres du CNB.

L’article 1 vient compléter l’article 3 de l’arrêté du 20 mai 2020, ce qui nous donne la disposition complète suivante :

« Le message de données relatif à l’envoi d’un acte de procédure remis par la voie électronique est constitué d’un fichier au format XML destiné à faire l’objet d’un traitement automatisé par une application informatique du destinataire.

Lorsque ce fichier est une déclaration d’appel, il comprend obligatoirement les mentions des alinéas 1 à 4 de l’article 901 du code de procédure civile. En cas de contradiction, ces mentions prévalent sur celles mentionnées dans le document fichier au format PDF visé à l’article 4. »

Il signifie donc que pour les actes de procédure remis par voie électronique (les envois, les remises et notifications mentionnés à l’article 748-1 du code de procédure civile) et lorsqu’il s’agit d’une déclaration d’appel (cela ne touche donc pas les constitutions d’intimé), c’est bien le champ au format XML qui prévaut sur l’annexe à la déclaration d’appel, mais seulement « en cas de contradiction »… Et contradiction de quoi avec quoi, cet arrêté inepte ne le dit pas.

On pourrait logiquement supposer que la contradiction visée serait celle entre le champ XML et l’annexe à la déclaration d’appel… mais je ne vois pas pourquoi un avocat qui fait appel d’un jugement, rédigerait des mentions contradictoires sur les chefs de jugement critiqués entre le champ XML et son annexe. Il sait sur quoi il veut faire appel, qu’il le note dans un champ XML ou dans un document PDF ! À s’en tenir au texte (et on peut craindre que la Cour de cassation suive le gouvernement le doigt sur la couture du pantalon…), faut-il en déduire que cette disposition ne pourrait s’appliquer qu’en cas de « contradiction » entre la DA au format XML et la DA au format PDF ? Le doute est permis et cela ne va en rien résoudre les problèmes des incidents actuellement pendants devant les conseillers de la mise en état de France et de Navarre !

Cela signifie en tout cas que la pratique de la seule annexe à la déclaration d’appel, sans motif technique, est toujours proscrite.

L’article 2 du nouvel arrêté précise que l’article 4 de l’arrêté du 20 mai 2020 est remplacé par les dispositions suivantes :

« Lorsqu’un document doit être joint à un acte, ledit acte renvoie expressément à ce document.
« Ce document est communiqué sous la forme d’un fichier séparé du fichier visé à l’article 3. Ce document est un fichier au format PDF, produit soit au moyen d’un dispositif de numérisation par scanner si le document à communiquer est établi sur support papier, soit par enregistrement direct au format PDF au moyen de l’outil informatique utilisé pour créer et conserver le document original sous forme numérique. »

Il est donc acquis que lorsqu’on dépasse les 4080 caractères (puisque le champ XML est renforcé par rapport à l’annexe), il faut toujours indiquer que la suite des chefs de jugement critiqués est notée sur une annexe en PDF (pdf texte ou pdf image).

L’arrêté modifie enfin l’alinéa 1 de l’article 901 du CPC qui précisait : « La déclaration d’appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le cinquième alinéa de l’article 57, et à peine de nullité : (…) » et qui dispose désormais :

 » La déclaration d’appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le cinquième alinéa de l’article 57, et à peine de nullité : (…) »

Seule la mention en gras a été ajoutée.

5. conclusion

Cet arrêté ne résout aucun problème, bien au contraire :

  • la pratique de la seule annexe à la DA n’est toujours pas validée ;
  • le recours à l’annexe n’est possible qu’en cas d’empêchement d’ordre technique, c’est-à-dire lorsqu’on justifie dépasser 4080 caractères ;
  • en dessous de 4080 caractères, c’est toujours la DA XML qui est préférée ;
  • si vous avez besoin d’une annexe, il faut toujours indiquer dans le champ XML qu’on va ajouter cette annexe ;
  • en cas de contradiction entre le champ XML et l’annexe jointe en PDF, c’est la DA au format XML qui est préférée.

Par conséquent, rien n’a changé et cela ne va absolument pas changer l’issue des incidents qui sont actuellement examinés par les conseillers de la mise en état des cours d’appel saisies, sauf pour ce magistrat à résister à la jurisprudence insensée de la Cour de cassation, mais il y a fort à parier que l’avocat qui a soulevé cette difficulté de procédure et qui voit le conseiller de la mise en état prendre une décision contraire à celle publiée de la Cour de cassation, se pourvoit en cassation pour faire gagner son client !

Il ne faut pas oublier que la jurisprudence du premier degré (juridictions de première instance et d’appel) n’a aucune valeur et que seule la Cour de cassation dit le droit, puisque son contrôle s’exerce justement sur le respect, par les juridictions de degré inférieur, de la règle de droit.

La résistance des Cours d’appel est de bon aloi.

Dans un arrêt du 16 février 2022, la Cour d’appel de Riom rappelle [4] :

« Aucune de ces dispositions n’interdit à l’appelant de faire figurer les chefs de jugement contestés dans une annexe à sa déclaration d’appel, qui fait corps avec celle-ci ; une telle faculté est d’ailleurs prévue à l’article 8 de l’arrêté du 20 mai 2020, relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cour d’appel. La société EO2 pouvait donc, ainsi qu’elle l’a fait dans le cas particulier, énoncer les chefs de l’ordonnance critiqués non pas dans le formulaire même de sa déclaration d’appel du 6 août 2021, mais dans une annexe à ce formulaire de déclaration d’appel, lequel renvoyait explicitement à l’annexe (« Appel limité aux chefs de l’ordonnance expressément critiqués selon annexe à déclaration d’appel ci-jointe ») ; la cour d’appel est régulièrement saisie de ces chefs, sur lesquels l’effet dévolutif de l’appel s’est opéré. L’exception soulevée par M. X doit être rejetée. »

Or, l’article 8 de l’arrêté du 20 mai 2020 prévoit :

« Le message de données relatif à une déclaration d’appel provoque un avis de réception par les services du greffe, auquel est joint un fichier récapitulatif reprenant les données du message. Ce récapitulatif accompagné, le cas échéant, de la pièce jointe établie sous forme de copie numérique annexée à ce message et qui fait corps avec lui tient lieu de déclaration d’appel, de même que leur édition par l’avocat tient lieu d’exemplaire de cette déclaration lorsqu’elle doit être produite sous un format papier. »

Le fichier récapitulatif est celui qui est généré automatiquement par la machine (donc par la Chancellerie) et que l’avocat peut récupérer dans sa « boîte d’envoi » du RPVA. Avec l’annexe, le décret précise qu’il « tient lieu de déclaration d’appel » et que c’est l’édition, le cas échéant, au format papier de ce fichier récapitulatif qui constitue la déclaration d’appel… sauf que ce récapitulatif n’est pas conforme aux exigences de l’article 901, 3° du CPC puisqu’il ne mentionne pas la Cour d’appel devant laquelle le litige est porté ! C’est la déclaration d’appel envoyée par le greffe, qui n’est pas consacrée comme document de référence, qui mentionne bien la Cour d’appel saisie…

On me dit néanmoins que les 4080 caractères seraient doublés, ce qui devrait éviter le recours à l’annexe.

À cause des errements de la chancellerie, qui ne sait même pas appliquer les textes de lois dans les dispositions informatiques qu’elle-même met en place, les appels des justiciables sont irrémédiablement menacés ! Un scandale de plus dans une justice à bout de souffle avec des agents de l’état qui pondent des textes avec une piètre connaissance de la pratique et de la technique.

Par Maître Frédéric CUIF, avocat à la Cour de POITIERS.

 


[1] Civ. 2e, 13 janv. 2022, pourvoi n° 20-17.516, P

[2] cf. notamment : « L’accessoire suit le principal : application inopportune à propos de l’annexe de la déclaration d’appel » par Corinne BLÉRY, Professeur de droit privé à l’Université Polytechnique Hauts-de-France (Valenciennes) Faculté de droit et d’administration publique Directrice du Master Justice, procès, procédure Membre du conseil scientifique de Droit & Procédure : La lettre juridique n°892 du 27 janvier 2022 : Procédure civile : https://www.lexbase.fr/article-juridique/77689455-document-elastique

[3] BOMJ n°2017-08 du 31 août 2017 – JUSC1721995C

[4] CA Riom, ch. com., 16 févr. 2022, n° 21/01786.

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