La question de la vente forcée des logiciels fournis préchargés dans le matériel informatique continue de soulever d’épineuses questions juridiques que, bien souvent, les juges de proximité qui sont amenés à statuer dans ces dossiers, ne parviennent pas à résoudre : la jurisprudence des juridictions du fond (juge de proximité, tribunal de grande instance, cour d’appel) est fluctuante et dépend essentiellement des connaissances des juges, tant en informatique que sur les règles générales de droit civil et de droit de la consommation. Le constat est gênant : alors que le droit de la consommation est un droit protecteur, les juges ont malheureusement tendance à mal l’appliquer ou refusent parfois de l’appliquer en cette matière à enjeux importants, sans doute par peur des conséquences que les grands constructeurs brandissent, et qui n’existent pas si l’on regarde les choses attentivement.
Cette fois-ci, les hésitations viennent de la Cour de cassation elle-même dans un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 17 juin 2015…
Monsieur Vincent D. est un consommateur que je défends depuis plusieurs années. Il a demandé à la société SONY Europe Ltd. le remboursement des logiciels fournis préchargés dans son ordinateur portable. Par un jugement du 13 septembre 2012 de la juridiction de proximité du tribunal d’instance d’Asnières, Monsieur D. a été débouté de ses demandes. En substance, le juge de proximité n’avait pas compris que SONY ne produisait pas le même modèle d’ordinateur que celui commandé par Monsieur Vincent D., mais dépourvu de ces logiciels préchargés. Il n’avait pas non plus compris que ce consommateur n’avait pas eu la possibilité de ne pas payer le prix des logiciels dont il ne souhaitait faire l’acquisition, alors que seul l’ordinateur portable lui convenait. Le juge en avait conclu qu’il n’y avait pas de vente forcée car Monsieur D. avait fait son achat en sachant que des logiciels étaient préchargés et qu’il avait donc fait un achat en connaissance de cause…
Cette motivation n’ayant pas de sens en droit, nous avions alors porté cette affaire devant la Cour d’appel (pour les processualistes : un appel est bien possible dans ces matières, nous nous en sommes expliqués devant le Conseiller de la mise en état). Le 5 novembre 2013, la Cour d’appel de VERSAILLES a rendu un arrêt déboutant mon client de sa demande de remboursement des seuls logiciels.
En substance, la Cour d’appel avait estimé, à tort, que la connaissance préalable du préchargement des logiciels était équivalente à une commande préalable de ces logiciels, ce qui est insensé. La Cour n’avait même pas statué sur la demande que j’avais formée selon laquelle je demandais à faire juger que le matériel et les logiciels étaient bien deux éléments distincts (assortis d’obligations juridiques distinctes). La Cour avait considéré, à l’instar du premier juge, que Monsieur D. avait donc fait un achat en connaissance de cause et que de ce fait, son comportement économique n’avait pas été altéré. Pire, sur le remboursement des logiciels, la Cour d’appel s’était permis une interprétation totalement subjective des intentions des consommateurs, puisqu’elle avait décidé de retenir que le choix des consommateurs n’était déterminé que par le prix unitaire et global de l’ordinateur… qu’il pouvait facilement comparer à des produits concurrents « sachant quels types ont été pré-installés ». Partant, la Cour avait considéré que le calcul du prix global entrait dans la politique commerciale de la société Sony et que la volonté du constructeur de ne pas donner le prix des logiciels au consommateur ne pouvait constituer une manœuvre ou une tromperie…
Évidemment, nous ne pouvions pas laisser sévir une si médiocre motivation !
Avec mon confrère Maître Pauline CORLAY, Avocat aux Conseils, nous avons alors formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt et continué à ferrailler pour démontrer à la Cour de cassation qu’elle se trompait sur bien des points (notamment, des arrêts récents pouvaient apparaître comme contradictoires au sein d’une même chambre). Pourquoi « ferrailler » ? Car une fois passé le stade des mémoires en demande puis en défense, le rapporteur désigné fait son rapport et le Procureur Général donne aussi son avis. Au-delà des arguments de la société SONY, c’est ce rapport qui m’a démontré que la Cour de cassation n’englobait pas tout le débat et méconnaissait les mécanismes de vente et de fourniture des logiciels. Profitant de ce que plusieurs affaires étaient en cours sur le sujet devant la Cour de cassation (notamment dans une autre affaire contre SAMSUNG), nous avons fourni des réponses plus poussées pointant à nouveau les questions demeurées sans réponse à ce jour.
Dans un arrêt du 17 juin 2015, la Cour de cassation a finalement décidé de surseoir à statuer et décidé de renvoyer l’examen des pratiques commerciales des constructeurs devant la CJUE à qui elle va poser trois questions :
« 1°) les articles 5 et 7 de la directive 2005/29 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur doivent-ils être interprétés en ce sens que constitue une pratique commerciale déloyale trompeuse l’offre conjointe consistant en la vente d’un ordinateur équipé de logiciels préinstallés lorsque le fabricant de l’ordinateur a fourni, par l’intermédiaire de son revendeur, des informations sur chacun des logiciels préinstallés, mais n’a pas précisé le coût de chacun de ces éléments ?
2°) l’article 5 de la directive 2005/29 doit-il être interprété en ce sens que constitue une pratique commerciale déloyale l’offre conjointe consistant en la vente d’un ordinateur équipé de logiciels préinstallés, lorsque le fabricant ne laisse pas d’autre choix au consommateur que celui d’accepter ces logiciels ou d’obtenir la révocation de la vente ?
3°) l’article 5 de la directive 2005/29 doit-il être interprété en ce sens que constitue une pratique commerciale déloyale l’offre conjointe consistant en la vente d’un ordinateur équipé de logiciels préinstallés, lorsque le consommateur se trouve dans l’impossibilité de se procurer auprès du même fabricant un ordinateur non équipé de logiciels ? »
Ces questions sont fort intéressantes car elles répondent à une grande partie des questions que je ne cesse de soumettre aux tribunaux depuis… 2008 !
- l’absence d’indication du coût global des logiciels (prestations de services) d’un côté, séparément de l’affichage du prix du matériel (contrat de vente) constitue-t-il une pratique commerciale déloyale ?
- le fait de contraindre un consommateur à acheter les logiciels sans avoir d’autre choix que de révoquer la vente (qui n’a bien souvent pas été réalisée auprès du constructeur lui-même !!) est-il une PCD ?
- le fait pour un fabricant de ne produire que des machines avec des logiciels préchargés, sans offrir au consommateur la possibilité d’acheter la même machine sans logiciels, constitue-t-il une PCD ?
Il faut avouer que je suis impatient de la réponse. Je vais donc continuer de travailler avec mon confrère CORLAY sur le sujet, puisque plusieurs dossiers sont encore en cours devant la Cour de cassation.
Par ailleurs, je précise que je viens d’être entendu pendant 4 heures par l’autorité de la concurrence qui a décidé d’ouvrir une enquête sur les ententes dans le marché des systèmes d’exploitation. Bien entendu, des entreprises comme HP ou DARTY seront concernées par ces enquêtes. Pour mémoire, je rappelle que HP est capable de vendre l’OS libre FreeDos (qui est gratuit) plus de 4.193 € à ses clients professionnels qui ne voudraient pas de Windows (constat d’huissier de HP à l’appui).
Je vous tiendrai informé de nos avancées devant la CJUE, car il est inutile de vous dire que la décision de la Cour induira des conséquences colossales dans toute l’Europe… ou non !
Bonjour,
Du coup aujourd’hui si on achète un pc portable avec des logiciels pré installé nous n’avons aucune garantie de nous faire rembourser ce logiciel par le constructeur ? Ou ne faut-il pas porter plainte avant d’acheter ?
Cordialement 🙂
Bonjour,
Non, aucune garantie de se faire indemniser (car personne n’a jamais été remboursé stricto sensu, puisque le prix de vente n’est pas connu…). Porter plainte, vous pouvez, avec le risque que votre plainte soit classée sans suite. Mais parfois, la plainte est encore poursuivie, ça arrive et j’ai eu vent d’un cas il y a encore peu de temps. Mais la jurisprudence, telle qu’elle est appliquée désormais en France est perverse et conduit souvent à un rejet des actions : si vous vous ménagez une preuve comme quoi, avant l’achat, vous avez demandé un ordinateur sans OS et que finalement vous achetez cet ordinateur avec OS (alors que le même n’est pas disponible sans OS), la justice vous répond que vous avez fait un achat en toute connaissance de cause… Et si vous n’avez rien pris comme précautions, la justice vous répond que le constructeur a le droit de présenter l’ordinateur comme il en a envie (même si cela heurte les principes du droit de la consommation…)
En d’autres termes, les juges français refusent d’appliquer la directive qui prévoit pourtant de sanctionner les pratiques commerciales déloyales des entreprises… et pas de réglementer le comportement du consommateur. Le scandale grandit, dans l’indifférence générale ! FC
« plus de 4.193 € »
Je me disais que 4 euros de plus c’est pas un super élément, jusqu’à ce que l’article de référence me montre que le séparateur des milliers est ici incorrect et qu’
il fallait écrire « plus de 4193 € »
Le séparateur de milliers est toujours au même endroit !