J’ai tardé à commenter ce nouvel arrêt du 14 décembre 2016. Sans doute écœuré par l’issue de cette affaire que je pressentais.
Dans mon précédent article sur l’arrêt rendu par la la CJUE le 7 septembre 2016, je m’étais étonné des questions préjudicielles posées par la Cour de cassation et avais déploré le manque de réalisme de la Cour de justice de l’Union qui a, ni plus ni moins, esquivé le fond du problème. J’estimais alors qu’il ne fallait rien attendre de la « solution » qui serait donnée par la Cour de cassation et j’avais raison, malheureusement.
Voici mon analyse.
La Cour de Cassation s’est donc cantonnée à vérifier si la Cour d’appel avait correctement appliqué la règle de droit. Sur le plan des principes, c’est son travail. Restait à savoir si elle estimait que cette règle de droit avait effectivement été bien appliquée.
Elle relève :
« Qu’elle a, d’abord, constaté, s’agissant de la conformité de la pratique en cause aux exigences de la diligence professionnelle, qu’il ne pouvait être reproché à la société Sony de ne pas vendre séparément l’ordinateur nu et les logiciels, dans la mesure où son analyse du marché l’avait conduite, en toute bonne foi, à vendre un produit composite doté d’une configuration prête à l’emploi répondant aux attentes d’une part importante des consommateurs, lesquels préféraient disposer d’un produit unique préinstallé et d’utilisation immédiate plutôt que d’acheter séparément les divers éléments le composant et de procéder à une installation jugée difficile par un consommateur moyen ou, en tout cas, non souhaitée par celui-ci ; qu’elle a relevé, par motifs propres et adoptés, que M. Deroo-Blanquart avait été dûment informé de l’existence de logiciels préinstallés sur l’ordinateur qu’il avait acheté et des caractéristiques précises de chacun de ces logiciels ; qu’elle a ajouté que M. Deroo-Blanquart pouvait obtenir le remboursement de cet ordinateur s’il estimait qu’en définitive, l’appareil ne correspondait pas à ses attentes ;
Que la cour d’appel a, ensuite, s’agissant de l’existence ou du risque d’existence d’une altération substantielle du comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé à l’égard du bien considéré, estimé, par motifs propres et adoptés, que la circonstance que M. Deroo-Blanquart avait été dûment informé de l’existence de logiciels préinstallés sur l’ordinateur acheté et des caractéristiques précises de chacun de ces logiciels, lui permettant, comme tout autre consommateur, de faire un choix différent auprès d’autres professionnels en achetant un autre appareil vendu avec ou sans logiciels, témoignait également de l’absence d’une telle altération ;
Attendu qu’en l’état de ces constatations et appréciations, dont il résulte que la pratique commerciale litigieuse n’est pas contraire aux exigences de la diligence professionnelle et n’altère pas ou n’est pas susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen à l’égard de ce produit, la cour d’appel a décidé à bon droit que la pratique commerciale en cause n’était pas déloyale ; »
Première aberration : se résoudre à admettre que la directive 23005/29/CE aurait pour finalité de protéger les entreprises et leur propre définition du marché. Non, je ne suis pas d’accord et ce n’est pas du tout dans cette optique que cette directive a été prise et il suffit pour s’en convaincre de regarder la communication qui a été faite par la commission européenne sur ce point.
Cette directive est censée protéger les consommateurs contre les dérives des pratiques commerciales des entreprises en position de force sur les consommateurs, et pas l’inverse. En l’espèce, il n’a jamais été établi que les consommateurs préféraient des machines avec des logiciels préchargés, puisque cette pratique du préchargement des logiciels s’est progressivement imposée par les constructeurs en raison de leurs accords commerciaux avec Microsoft et uniquement Microsoft. Il suffit de regarder les rayons des magasins vendant de l’informatique grand public pour s’en rendre compte. Pas une machine de grand constructeur qui n’est pas sans Windows. S’il s’agissait vraiment d’une attente des consommateurs, on trouverait d’autres systèmes d’exploitation préchargés sur les machines, comme notamment les distributions Linux (comme Ubuntu, Mint et d’autres) dont la qualité n’a rien à envier aux Windows de Microsoft ! Alors, lire que c’est « en toute bonne foi » que Sony procède à ce type de réglementation du marché, c’est se moquer du monde.
Deuxième assertion erronée : il importe peu que Monsieur DEROO BLANQUART ait été informé de l’existence de logiciels préchargés dans sa machine, dès lors qu’il n’a pas eu le choix de les refuser et de ne pas les payer. Mon client n’a d’ailleurs jamais obtenu le remboursement des logiciels de sorte qu’on se moque bien de savoir s’il a été informé de cette possibilité totalement irréaliste. Et quel choix différent Monsieur DEROO BLANQUART pouvait-il faire avec cette information relative à l’existence de logiciels préchargés ? Aucun, puisqu’en définitive, il n’a pas pu ne pas payer le prix de logiciels qu’il n’avait pas expressément demandés, et qu’il n’a pas plus été remboursé du prix de ces logiciels non demandés.
Alors oui, je maintiens que la pratique commerciale du préchargement des logiciels est totalement contraire à la diligence professionnelle et je me battrai pour faire admettre le contraire. J’ai déjà une stratégie, que je suis en train de mettre en place, pour les consommateurs qui me font confiance dans l’analyse des textes et de la jurisprudence.
Sur la question de l’information relative au prix des logiciels, la Cour de cassation a botté en touche, une fois encore, avec bien peu de courage.
Elle poursuit :
« Attendu qu’après avoir constaté que le caractère composite du produit proposé à la vente n’imposait pas à la société Sony de détailler le coût de chacun de ses éléments, le consommateur moyen pouvant se déterminer en fonction du prix unitaire de l’ordinateur, qu’il était en mesure de comparer à des produits concurrents, dès lors qu’il connaissait les types de logiciels qui avaient été préinstallés, la cour d’appel en a exactement déduit que la pratique commerciale en cause n’était pas trompeuse. »
La Haute Cour estime donc que même sans information sur le prix des logiciels, le consommateur pouvait tout de même « se déterminer en fonction du prix unitaire de l’ordinateur qu’il était en mesure de comparer à des produits concurrents »…
Cette motivation se passe de commentaire tant, manifestement, les magistrats du Quai de l’Horloge sont éloignés des réalités du marché informatique. Nous le savons bien, la différence de prix des ordinateurs est notamment due à la qualité des composants et au choix d’assemblage fait par le constructeur. Pour les initiés, la chose est plus facile à comprendre : une machine dédiée aux jeux, équipée du dernier processeur graphique NVIDIA ou ATI n’aura pas le même prix qu’une machine de bureau équipée d’une carte fanless. Mais les configurations des ordinateurs sont tellement variées qu’il est impossible de faire une comparaison basée sur l’équipement des machines.
Car la donnée économiquement variable du prix d’une machine demeure le prix des logiciels, qui est totalement inconnu, et qui représente une part non négligeable du prix de l’ensemble (matériel et logiciels). Or, on sait que les logiciels qui sont fournis préchargés ne sont pas gratuits et j’ai démontré à de nombreuses reprises que le prix d’une même machine pouvait varier de 30% en fonction de ce qu’elle était ou non fournie avec des logiciels préchargés. Je rappelle aussi qu’un constat d’huissier produit par le constructeur HP a démontré qu’il était capable de vendre 4 193 € un système d’exploitation (FreeDos) gratuit lorsqu’il s’agit de refuser le système d’exploitation Windows fourni préchargé. Il est regrettable que la Cour de cassation ne se soit pas réellement penchée sur le sujet pour le comprendre, laissant ainsi un amer sentiment d’amateurisme et sans doute d’opportunité économique.
Mais comme je l’ai indiqué, je n’ai pas dit mon dernier mot !
Maître Frédéric CUIF.