Les contrats intelligents par la technologie blockchain : une inévitable révolution

Dans le cadre de la deuxième conférence que je donne aux Cafés Techno à Niort ce 25 juin 2018 en partenariat avec le réseau SPN, je publie à nouveau l’article que j’avais écrit il y a quelques mois sur les « smarts contracts, qui  utilisent la technologie de la blockchain.

Le sujet est d’actualité plus que jamais et le professionnel que je suis, maniant les contrats en tous genres, ne peut pas passer à côté de cette révolution contractuelle qui va révolutionner la manière de concevoir les contrats et éviter dans bien des cas le recours au juge. Alors, de quoi s’agit-il ? Qui est concerné ? Comment comprendre les enjeux ? C’était tout l’objet de cette conférence dont je vous retranscris ici le contenu et que j’actualise?

Pour comprendre ce que sont les contrats intelligents, il faut d’abord comprendre la technologie informatique qui leur est sous-jacente et consubstantielle : la blockchain. J’ai présenté cette nouvelle conférence avec Samir Saïdani, chercheur, qui a consacré une première partie sur la techno de la blockchain, sur laquelle repose lesmart contract.

Je vous propose deux mises en situation pour bien saisir le sujet. Ces deux mises en situation ne sont pas de moi, mais elle sont tellement parlantes que vous devriez comprendre l’essentiel.

1. Mise en situation

1.1. Première analogie : le tour de vaisselle

Vous pouvez retrouver cette analogie de manière complète sur le site suivant et je remercie les auteurs de leur clarté. Je n’en reprendrai pour ma part qu’une partie.

Léo, Jules, Marie et Elsa sont 4 frères et sœurs vivant dans la même maison. Comme dans beaucoup d’autres familles, la corvée de vaisselle, imposée par les parents, est un sujet sensible et propice à de nombreuses discordes. Entre celui qui prétend avoir effectué sa corvée plus souvent, celle qui a oublié son tour, et le dernier qui affirme avoir plus travaillé il y a deux semaines, le casse-tête est infini ; la confiance envers les uns et les autres disparaît peu à peu. Ainsi le dilemme prend souvent fin avec l’intervention autoritaire des parents, qui ont le dernier mot.

Pour résoudre ce problème, le père a une idée. Il attribue à chacun des frères et soeurs une couleur de palet différente. Puis il construit un long tube transparent indestructible, qu’il fixe dans le sol de la maison pour accueillir ces palets à chaque tour de vaisselle réalisé (image). Pour éviter de tricher, l’accès au tube n’est possible qu’avec la présence d’au moins la majorité des frères et soeurs. En effet un couvercle sur le dessus est fermé par des serrures différentes dont chacun possède une clé. Il rappelle alors les 3 règles suivantes :

  • “Vous devez faire chacun votre tour la vaisselle”
  • “À chaque tour de vaisselle que vous réalisez, vous devez vous munir de votre palet et venir le placer en haut du tube”
  • “Les autres frères et soeurs doivent ensuite valider le fait que la corvée ait bien été réalisée en ouvrant ensemble le couvercle grâce à leurs clés respectives ce qui a pour conséquence de faire tomber le palet de couleur à l’intérieur du tube. La majorité des clés suffit à faire tomber le palet.

Ainsi chacun peut vérifier la bonne réalisation des tâches ou savoir à qui est le prochain tour en jetant un œil au tube. Il est ici impossible de falsifier le tube en essayant de venir récupérer de quelconque manière un palet déjà tombé à l’intérieur. Infalsifiable et indestructible, on pourrait dire de ce tube qu’il est en quelque sorte l e tube de la vérité, acceptée par le consensus .

Malheureusement ce principe fonctionne bien si l’honnêteté est de mise dans la maison. Mais si 2 ou 3 frères sont un jour de mauvaise foi, alors le palet ne sera pas validé ! Pour réduire considérablement ce risque nous reproduisons ce tube dans une fratrie de 10000 frères et sœurs. Ainsi, si je veux bloquer la vérité, cela nécessite de corrompre la moitié des frères et sœurs en même temps, ce qui est plutôt compliqué.

Physiquement, avec un tube, la consultation et l’ajout de palets dans ce tube serait problématique : les gens se bousculeraient et ne pourraient accéder au tube, sans parler de la présence des milliers de serrures…Cette difficulté peut être contournée par le numérique et Internet en dématérialisant le tube ; donnant ainsi l’accès à des milliers de personnes en même temps, instantanément et n’importe où dans le monde grâce au réseau sans se gêner.

Pour comprendre comment la dématérialisation peut rendre la vérité du tube indestructible, nous proposions au visiteurs du café techno de prendre en photo l’installation et de la publier sous le hashtag #blockchainvaisselle : si nous souhaitions détruire le tube, nous ne pourrions l’effacer des téléphones. Cette vérité subsistera donc numériquement à travers des centaines d’appareils numériques.

Ce principe existe aujourd’hui sous le nom de blockchain. Un grand registre mémorise de manière transparente l’empilement historique des palets. L’ensemble des actions que doivent réaliser les frères pour certifier leur tour de vaisselle est lui automatisé grâce au numérique et aux technologies cryptographiques de la blockchain. Il est par conséquent impossible de dire que Léo n’a pas fait son tour de vaisselle si son block est bien présent dans la blockchain.

Cette analogie est un début pour comprendre le fonctionnement de cette technologie. La réalité est plus complexe. Ceux qui valident les blocs (tour de palet) de la blockchain s’appellent en réalité des mineurs. Ces participants du réseau font fonctionner un logiciel sur leur ordinateur afin de vérifier l’authenticité et la validité des transactions soumises au réseau, puis résolvent un problème mathématique complexe pour prouver le travail accompli. Lorsqu’un mineur valide un bloc, il le soumet au réseau qui vérifie rapidement que le mineur a bien travaillé, et s’accorde sur un nouvel état de consensus. Ainsi la technologie blockchain permet aujourd’hui à nos quatre protagonistes de supprimer le besoin de confiance ; de faire la vaisselle à tour de rôle et de manière juste ; de toujours nécessiter le consensus de la fratrie et donc d’autonomiser les enfants de leur parents.

1.2. Seconde analogie : la place de la Concorde

Elle aussi est reprise d’un site qui a très bien expliqué la chose ; je remercie également les auteurs. Je n’en reprends ici qu’une partie.

Imaginez qu’au centre de la place de la Concorde à Paris, à côté de l’Obélisque on installe un très grand cahier, que librement et gratuitement, tout le monde puisse lire, sur lequel tout le monde puisse écrire, mais qui soit impossible à effacer et indestructible. Cela serait-il utile ? Il semble que oui.

  • On pourrait y consigner des engagements : « je promets que je donnerais ma maison à celui qui démontrera la conjecture de Riemann : signé Jacques Dupont, 11 rue Martin à Paris ».
  • On pourrait y déposer la description de ses découvertes rendant impossible qu’on en soit dépossédé  : « Voici la démonstration en une page que j’ai trouvée du Grand théorème de Fermat …».
  • On pourrait y laisser des reconnaissances de dettes qui seraient considérées valides tant que celui à qui l’on doit l’argent n’a pas été remboursé et n’est pas venu l’indiquer sur le cahier.
  • On pourrait y donner son adresse qui resterait valide jusqu’à ce qu’une autre adresse associée à au même nom soit ajoutée, annulant la précédente.

Pour que cela soit commode et pour empêcher les tricheurs d’écrire en se faisant passer pour vous, il faudrait qu’il soit possible de signer ce qu’on écrit. Il serait utile aussi que l’instant précis où est écrit un message soit précisé avec chaque texte déposé sur le grand cahier (horodatage). On ajoute des pages à ce cahier au fur et à mesure des besoins : Testaments, contrats, certificats de propriétés, récits divers, messages adressés à une personne particulière ou à tous, attestations d’antériorité pour une découverte, etc., tout cela deviendrait facile sans avoir à payer un notaire, ou un huissier. Ce serait plus qu’un tableau d’affichage offert à tous sur les murs d’une entreprise, d’une école ou d’une ville, eux aussi temporaires. Ce serait plus que des enveloppes déposées chez un huissier, coûteuses et dont la lecture n’est pas autorisée à tous.  Ce serait, plus qu’un registre de brevets, robuste mais sur lesquels il est coûteux et difficile d’écrire. Ce serait plus que les pages d’un quotidien qui sont réellement indestructibles car multipliées en milliers d’exemplaires, mais sur lesquelles peu de gens ont la possibilité d’écrire et dont le contenu est très contraint.

Inconvénients de la place de la Concorde :

  • Ce cahier localisé en un point géographique unique ne serait pas commode pour ceux qui habitent loin de Paris.
  • Par ailleurs, ceux qui y rechercheraient des informations en tournant les pages se gêneraient les uns les autres, et gêneraient ceux venus y inscrire de nouveaux messages.
  • Faire des recherches pour savoir ce qui est écrit dans le cahier deviendrait vite impossible en pratique quand le cahier serait devenu trop gros et que ses utilisateurs se seraient multipliés.

Ces trois inconvénients majeurs  — (a) localisation unique rendant l’accès malcommode et coûteux ; (b) impossibilité de travailler en nombre au même instant pour y lire ou y écrire ; (c) difficultés de manipuler un grand cahier — peuvent être contournés par l’informatique et les réseaux de communication.

C’est la  «révolution de la blockchain » ou plus explicitement et en français : « la révolution de la programmation par un fichier, partagé et infalsifiable » :

  • (a) l’accès à la blockchain, grâce aux réseaux, se fait instantanément de n’importe où dans le monde, pourvu qu’on dispose d’un ordinateur ou simplement d’un smartphone ;
  • (b) des milliers d’utilisateurs peuvent y lire simultanément sans se gêner ;
  • (c) chacun peut gratuitement et sans limitation ajouter de nouveaux messages de transactions selon un procédé qui assure la cohérence et la robustesse du fichier blockchain.

1.3. Le système actuel : centralisation

Le système actuel des contrats au sens large, mais aussi pour une grande part en informatique, est basé sur la centralisation des données. Ainsi, une banque centralise les contrats qui vous permettent d’échanger des devises, le service de publicité foncière centralise les titres de propriété et la propriété est transmise par l’intermédiaire d’un notaire (pas systématiquement, notamment pour le domaine public). Plus largement, un assureur qui vous fournit un « cloud » stocke sur ses propres serveurs informatiques les données que vous pouvez éventuellement lui transmettre ; là encore, c’est l’assureur qui centralise l’information. Le tribunal centralise aussi les affaires qui y sont portées par les justiciables, etc. Bref, presque tout est centralisé.

Et bien, ce système n’est pas du goût de tout le monde !

1.4. Un modèle dans le futur : la décentralisation et l’exécution automatique

Un exemple pertinent de la décentralisation des données est ce qu’on appelle le « peer-to-peer » ou pair à pair. Ce mode d’échange des données a été longtemps décrié car les données qui étaient échangées par ce biais étaient, pour partie, protégées par des droits d’auteur (musique, films, etc). Mais aujourd’hui, utiliser le pair à pair ne fait pas de vous un pirate en puissance dès lors que vous échangez des données autorisées : les systèmes d’exploitation GNU/Linux (concurrents de Windows) sont téléchargeables en pair à pair en utilisant des protocoles de transmission de données comme BitTorrent. Pour simplifier, tout le monde possède sur son ordinateur la même information et cette information est librement accessible à tous ceux qui veulent l’avoir. Le logiciel récupère les données souhaitées en se connectant, non pas à un seul ordinateur qui centralise les données, mais à tous les ordinateurs sur lesquels sont stockées les données recherchées. Ce système permet d’échanger de grandes quantités de données sans saturer un serveur central par d’effrénées requêtes de téléchargement.

Dans les contrats, on pourra imaginer demain qu’un agriculteur, qui est assuré contre la sécheresse (c’est d’actualité !), pourra se faire indemniser automatiquement. On imagine que le contrat est traduit en langage informatique et que ses clauses prévoient qu’au bout de 30 jours sans pluie, une indemnisation de l’agriculteur soit effectuée automatiquement. Un logiciel vérifie alors que les conditions d’exécution de ce contrat sont réunies  ; il va pour cela consulter automatiquement différents sites de météo incontestables et comparer les données pour vérifier que sur les parcelles possédées par l’agriculteur assuré, il y a effectivement eu une pénurie d’eau pendant 30 jours.  Si la règle est vérifiée, l’agriculteur est indemnisé 30 jours plus tard, sans déclaration de sinistre ni intervention humaine. Le contrat ne sera même plus stocké chez un assureur, il sera une « blockchain sur le réseau internet » dont l’exécution sera assurée informatiquement et de manière confidentielle par des logiciels chargés de vérifier que les conditions sont réunies.

2. Que sont les blockchains et quelles sont leurs applications ?

2.1. Tentative de définition

Les blockchains sont donc une technologie informatique permettant la création de registres décentralisés de transactions. Ces registres ont la particularité de se passer de ce qu’on appelle un « tiers de confiance » (une banque, un notaire, une administration, etc. qui centralisait auparavant les données et qui apparaît comme un organe de contrôle). En utilisant des techniques de chiffrement des données, chaque utilisateur partage ce registre sur le réseau tout en s’assurant de son intégrité, alors même que l’information numérique est manipulable à volonté (attention, le contenu de l’information n’est pas manipulable, il est modifiable par les parties intéressées au contrat). Le terme de « blockchain » ou chaîne de blocs, vient du fait que les transactions enregistrées par le réseau sont groupées par blocks et que chaque bloc d’informations est lié au précédent par signature numérique qui est ici la « chaîne ».

Une blockchain a donc pour effet de garantir plusieurs éléments essentiels à son existence :

  • l’horodatage d’abord, car ce registre, cette base de données, contient l’historique précis de tous les échanges qui ont été effectués par les utilisateurs de cette blockchain depuis sa création. On peut donc imaginer à l’avenir que tout ce qui a besoin d’être horodaté et constaté dans un contrat peut être « blockchainable » (pardon pour ce néologisme) ;
  • l’immutabilité et l’intégralité du registre car tout ajout, retrait ou modification d’une transaction invalide l’empreinte cryptographique de la chaîne toute entière. Il faut à nouveau recueillir un consensus et faire valider par au moins la moitié de tous les intervenants vérifiant la transaction.

Il s’agit donc d’une technologie de stockage décentralisé (on dit qu’elle est « distribuée par la technologie du pair à pair évoquée plus haut) et de transmission de l’information, transparente, sécurisée (elle peut être partagée par ses différents utilisateurs, sans intermédiaire, chacun pouvant vérifier la validité de la chaîne) et fonctionnant sans organe central de contrôle.

Ça décoiffe, non ?

3. Sujet d’actualité, y compris par législateur qui a anticipé le besoin.

Les premiers travaux législatifs français traduisent une illustration parfaite de l’intérêt de cette technologie. Le cas d’école risque d’être l’authentification et le transfert de propriété, aujourd’hui assurés par les notaires. Mais pas seulement.

Ainsi, l’ordonnance du 28 avril 2016 relative aux bons de caisse, a créé les « mini-bons ». Les bons de caisse sont des engagements à rembourser, émis par des sociétés en échange d’un prêt, et acquis par des particuliers. À l’échéance du prêt (entre un mois et cinq ans), le particulier est remboursé du montant nominal investi et perçoit en outre le montant des intérêts fixés initialement. Il s’agit d’un outil de financement ancien, apprécié des PME, qui est utilisé en matière de financement participatif. Ces bons permettent de contourner le fait que seules les personnes physiques peuvent faire des prêts via des plates-formes de crowdfunding et que ces personnes ne peuvent pas prêter plus de 2 000 € par projet.

La loi a consacré la chaîne de blocs et les mini-bons avec le nouvel article L. 223-12 du code monétaire et financier (CMF). Celui-ci prévoit que : « l’émission et la cession de mini-bons peuvent être inscrites dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification de ces opérations ». L’article L. 223-13 du CMF ajoute que le transfert de propriété de mini-bons résulte de l’inscription de la cession dans une blockchain et que cette inscription tient lieu de contrat écrit pour l’application des prescriptions des articles 1321 et 1322 du Code civil relatifs aux cessions de créance et à leur forme. Ce point est important car il va à l’encontre de ce qui est adopté dans le Code civil en matière de cession de créance (elle doit être constatée par écrit, à peine de nullité, et l’écrit qui la consacre doit se faire en respectant les caractéristiques de la signature sous seings privés, article 1372 du code civil). Alors que pour la blockchain, on utilise qu’une empreinte cryptographique de la cession, la loi considère donc que ce système est équivalent à une cession classique. Il appartiendra au Conseil d’état de mettre en place les conditions de sécurité exigées pour l’émission et la transmission de ces mini-bons, afin de certifier l’authentification des opérations, et donc leur validité juridique.

La commission des finances du Sénat a considéré, lors de ses travaux sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, que la blockchain pouvait être définie comme une « technologie informatique d’authentification décentralisée des opérations, sans l’intervention d’un tiers de confiance central et un grand registre de transactions public et accessible sur Internet, qui utilise un protocole de pair à pair (peer to peer) pour valider toute opération réalisée entre deux personnes. »

4. Les applications

Cette technologie est aussi indissociable de son application historique, le Bitcoin, qui existe depuis 1999. Il s’agit d’une « cryptomonnaie », ce qui signifie une monnaie sans banque ni banque centrale, virtuelle, décentralisée et en partie anonyme. Le but de son concepteur : disposer d’un système monétaire « sans confiance ».

Il existe deux grandes catégories de blockchains :

  • Les blockchains publiques : dans ces blockchain, les permissions de lecture et d’écriture sont ouvertes à tous. Chacun peut participer à la validation des transactions. Il n’y a pas de tiers de confiance. C’est ce qui correspond à la philosophie de ses promoteurs : éliminer les « tiers de confiance ». La confiance ne résulte plus d’un organe central identifié comme tiers de confiance, mais réside dans le réseau lui-même.
  • Les blockchains privées : dans ces blockcains, les permissions de lecture et d’écriture sont définies et limitées par une ou plusieurs entités centrales. On imagine mal en effet une banque perdre totalement le contrôle de l’échange des devises sans réagir, raison pour laquelle elles expérimentent cette technique afin de contrôler les opérations, mais économiser à terme une certaine masse humaine qui était dédiée à la vérification de l’exécution des données.

Les applications des blockchains sont nombreuses : les cryptomonnaies, la compensation interbancaire (Ripple, R3 consortium), ou encore les contrats intelligents objet de mon article, l’enregistrement authentique de documents (BitProof) ou encore l’identité numérique (ShoCard).

5. Les smarts contracts, de quoi s’agit-il et « comment ça marche » ?

5.1. Terminologie

Comme je le disais encore ce matin à Niort, je n’aime pas cette terminologie de « smart contact » car elle laisse supposer que le contrat est naturellement intelligent et qu’il aura comme caractéristique intrinsèque d’être sans risque ou mieux rédigé que les autres. Ce n’est pas le cas. Un smartphone n’est pas un téléphone intelligent, mais un téléphone avec des fonctionnalités évoluées dont l’utilisation est directement dépendante du niveau de connaissances de son utilisateur.

Je préfère la terminologie de « contrat auto-exécutable » où l’exécution des clauses programmées du contrat est lancée automatiquement par le contrat. La machine va chercher les informations qui lui manquent pour exécuter les clauses du contrat et une fois que l’information collectée est vérifiée, alors, on passe à l’étape suivante.

Quelques exemples vous permettront de mieux comprendre.

5.2. Définition

Ce sont des protocoles informatiques ou programmes, pouvant exécuter n’importe quel contrat (achat, location, livraison…) et garantir l’exécution des obligations des cocontractants, sans que ces derniers n’aient à construire une relation d’affaires fondée sur la confiance réciproque.  Ces programmes sont accessibles et auditables par toutes les parties autorisées, dont l’exécution est contrôlée et vérifiable. Ils sont conçus pour exécuter les termes d’un contrat de façon automatique lorsque toutes les conditions programmées sont réunies. Dans ces circonstances, ce ne sont plus les agents de la transaction (la ressource humaine) qui en contrôlent ou en garantissent le sérieux, l’intégrité et l’efficacité de la transaction, mais la technologie informatique elle-même.

Cela laisse supposer une diminution importante du recours à la ressource humaine pour ces opérations. Les emplois se déporteront encore vers d’autres métiers. Nick Szabo, le créateur du bitcoin, donnait déjà en 1997 l’exemple d’un contrat de leasing pour un véhicule. « Si le propriétaire cesse d’effectuer les versements, le smart contract peut invoquer un protocole qui rend automatiquement le contrôle de la clé du véhicule à la banque ». C’est aussi ce qui peut permettre l’ouverture de la porte de la maison que vous avez louée pour l’été en famille lorsque le règlement a été effectué.

Le corollaire des contrats intelligents est l’utilisation d’une monnaie programmable ou cryptomonnaie. Le transfert automatisé de valeurs programmables est réalisé dès lors qu’est assuré le respect des conditions d’exécution du contrat connues entre les cocontractants.

Comment rédige-t-on un contrat informatique auto-exécutable ? On utilise le hachage. Selon Wikipédia, c’est une « fonction particulière qui, à partir d’une donnée fournie en entrée, calcule une empreinte servant à identifier rapidement, bien qu’incomplètement, la donnée initiale. Les fonctions de hachage sont utilisées en informatique et en cryptographie. »

Pour être payé, il faut donc que la clé privée de l’utilisateur autorisé corresponde à la clé publique liée à la monnaie programmable. Les transactions s’effectuent sur base d’adresses électroniques contrôlées par une clé cryptographique. Seule la personne possédant la clé correspondant à une adresse Bitcoin peut signer une transaction valide depuis cette adresse. Un utilisateur du réseau Bitcoin ne possède donc pas de compte bancaire lié directement à son identité, mais contrôle autant d’adresses Bitcoin.

Pour certains, Bitcoin c’est un système anonyme d’échange de cryptomonnaie. Seulement, si vous souhaitez vous faire livrer de votre colis, il faudra bien associer votre adresse au transfert de Bitcoins. Il y aura alors une désanonymisation des transactions liées à cette adresse. C’est aussi pour cette raison que le Bitcoin ne rend pas le blanchiment plus facile.

5.3. Quelles sont les applications ?

On l’a vu, l’agriculteur assuré en cas de sécheresse. En france, le projet WEKEEP travaille sur une assurance sans tiers de confiance, c’est-à-dire sans assureur. Avec la technologie Blockchain, le citoyen n’aura plus besoin d’un tiers de confiance, en particulier pour la preuve de la propriété dont l’organe central de contrôle est actuellement le notaire. Tous les métiers risquent donc d’être impactés : avec Bitcoin ou Ethereum, le compte en banque ne n’est plus nécessaire. Le monopole bancaire avait déjà volé en éclats il y a quelques années, le risque est aujourd’hui encore accru.

En comptabilité, la technologie risque aussi de transformer le métier puisque la blockchain pourra sans doute valider des comptes d’entreprises de manière automatisée.

Mais attention, le fait qu’un contrat soit intégré dans une blockchain ne garantit pas sa « validité » au sens juridique du terme. Ce n’est pas parce qu’un contrat existe et qu’il est exécuté (automatiquement ou non) qu’il est pour autant valable. Tous les jours, les tribunaux se prononcent sur les déséquilibres dans les relations contractuelles et la technologie blockchain ne donnera pas plus de légitimité aux contrats exécutés sous cette forme.

6. Faut-il craindre cette évolution ?

Régulièrement, on peut lire dans certains articles, y compris de mes éminents confrères en veille technologique comme moi, que ces nouveaux contrats vont supprimer des emplois. Je ne le crois pas, tout du moins pas dans l’acception habituelle.

De toute évidence, les métiers juridiques vont subir de plein fouet cette nouvelle méthode contractuelle, car elle va permettre une exécution bien plus rapide et sécurisée des contrats. Par exemple, faire exécuter instantanément un pacte d’associés sans devoir passer par la case tribunal qui est toujours sujette à des interprétations, des erreurs ou aux lenteurs habituelles de la justice.

Les avocats vont donc devoir évoluer, de manière drastique : prendre l’habitude de travailler en tout numérique, avec des clés de chiffrement pour assurer la sécurité, avoir recours à des langages des programmation comme Solidity qui permet l’écriture de ces contrats. Mais la nature a horreur du vide et cette évolution se fera.

Les avocats recentreront leur travail sur leur meilleur terrain : le conseil, l’inventivité juridique, la création contractuelle, en dédiant finalement à la machine le soin d’exécuter les tâches auparavant rébarbatives. Le droit se déplacera, tout simplement.

Et puis il y a de formidables opportunités pour s’approprier la technique des ICO (Initial Coin Offering), l’équivalent cryptomonétaire des IPO (Initial public Offering ou introduction en bourse). Il s’agit d’une méthode de levée de fonds par l’émission d’actifs numériques échangeables par des cryptomonnaies. Si la seconde vous permet d’acquérir des parts de capital d’une société, la première vous permet d’acquérir des tokens, ou jetons digitaux, dissociés du capital de l’entreprise, mais représentant le projet numérique de l’entreprise. Ces tokens peuvent ensuite être revendus sur des plateformes d’échange contre de la monnaie réelle, pour peu que la plateforme en question accepte ce token. C’est donc une toute autre gestion du risque qu’il faut intégrer. Les investisseurs ICO sont des personnes intéressées dans le développement du projet. Cette méthode diffère des investisseurs « traditionnels » en « capital risque » (ou venture capital, VC) qui apportent plus que des fonds (méthode, expérience, carnet d’adresse…).

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